ENSEIGNANT, CE MAL AIMÉ – Immersion dans un Staff Room

MÉLANIE THÉODORE

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Quand nous étions élèves, le Staff Room était ce lieu mystérieux où nos enseignants se retrouvaient. Y redevenaient-ils simples mortels ? Nous pouvions par chance les apercevoir un bref instant, un breuvage à la main, ou plongés dans un livre. Le prof était notre Yoda et la salle des professeurs, cet antre où il rejoignait ses semblables après nous avoir fait voyager dans l’imaginaire du Petit Prince, au centre d’un volcan, dans les méandres d’une équation ou au milieu du système digestif. Y partageaient-ils une nourriture spéciale avec leurs confrères qui leur conférait connaissance et bienveillance ? Avaient-ils des grimoires d’où ils puisaient leur savoir ? Beaucoup d’entre nous ne s’aventuraient dans les couloirs menant à ce lieu qu’avec déférence et toujours accompagné d’un.e ami.e téméraire. Et si jamais on nous confiait l’honorable mission de ramener un de ses manuels restés au Staff Room, nous étions tout fiers de nous rapprocher de ce lieu et de porter le précieux objet qui renfermait le savoir.

Janvier 2022

Avec la réouverture des classes en février, ce lieu va s’animer à nouveau après plusieurs semaines. La salle des professeurs rappelle qu’il y a des lieux aussi essentiels que la salle de classe, qu’il y a au sein de l’école d’autres relations aussi importantes que celle avec l’apprenant.  Dans cette salle de repos, où ils rangent livres, cahiers, protacteurs géants ou sandwichs, entre les classes ils rencontrent leurs pairs. Ils échangent autour d’un thé, leurs expériences récentes en classe, demandent et procurent des conseils, agissent comme mentor pour les recrues,  reçoivent des feedbacks précieux sur les méthodes qui fonctionnent. Ils discutent ensemble du programme à finir, chose cruciale quand ils se partagent des classes de la même section. La fermeture des classes avait fracturé ce lien. Ces échanges tantôt futiles sur la vie quotidienne tantôt constructifs sur l’apprentissage tantôt réconfortants et drôles ont manqué à de nombreux profs!

L’an dernier il en a bavé le prof! Et aujourd’hui tel un escargot il rampe péniblement vers la fin de l’année scolaire face aux mesures parfois ubuesques, les cas de contamination, le laxisme de quelques parents, le manque de moyens financiers de certains élèves, la fermeture abrupte des classes et de nouvelles tâches administratives.

En réalité, depuis le début de la pandémie, la magie de l’enseignement s’étiole peu à peu. Ceux que nous appelions jadis maîtres à penser revêtent de plus en plus l’habit de simples petits employés qu’on pousse à télétravailler. D’ailleurs, la télé ne les a-t-elle pas remplacés ces derniers jours ?

La pandémie et ses mesures imposées – politiques ou sanitaires – ainsi que cette capacité de l’enseignant à s’adapter à toutes les circonstances sans broncher ne dépouillent-elles pas cette noble profession de sa valeur ? Le prof forme à la vie, parle d’indépendance, de révolution, de développement personnel, de la beauté de la science, de modèles politiques et économiques ; il s’est vu acculé au pied du mur par des mesures coercitives, des protocoles changeants et de nouveaux règlements appliqués sans vrai débat. Certaines mesures sanitaires incohérentes, il les a vécues dans l’humiliation. Beaucoup de profs rouspètent, ne désirant pas faire la troisième dose, se sentant pris au piège. Que faire? Certains professeurs dont la présence – après de longs et loyaux services – est rendue indésirable sans cette injection ou cette dose de rappel, ont pleuré à chaudes larmes avant de se faire inoculer, incapables de choisir entre garder leur emploi et refuser le vaccin par conviction religieuse ou pour mille autres raisons. S’ils n’abdiquent pas, ils quitteront Poudlard sans solde. Tourner le dos à un système ingrat et dire adieu à ce qu’ils considèrent être une vocation, mais comment nourrir les siens, comment rayer des années d’études? Voilà le drame de cette crise, on nous ramène à nos besoins physiologiques et de sécurité.

On ne réalise pas que cet être qu’on veut faiseur de miracles et producteur de lauréats n’a plus son mot à dire. Il n’est qu’un moussaillon, se pliant aux exigences capricieuses du capitaine – ou des capitaines qui parfois ne se concertent pas sur le sort de tout l’équipage. Comment et quand est-il devenu un petit employé insignifiant ? On connaît le mépris dont il est victime quand il bénéficie de vacances bien méritées ponctuées d’ateliers (workshops) et de stages de formation. On ne peut qu’espérer que maintes fois, il a eu envie de hurler: « j’existe, j’ai une voix, j’ai des attentes, je suis d’accord avec vos décisions ou non je ne suis pas d’accord avec vos décisions, NON, non…! » Au cas contraire, cela voudrait dire qu’on aurait réussi à éteindre la passion en lui. Et si les profs étaient là « just to deliver the content », comment former de bons citoyens responsables et éclairés? La magie aurait disparu.

Si on pense à juste titre en priorité à la santé des jeunes apprenants, n’est-il pas nécessaire de s’enquérir des doléances des enseignants pour que l’apprentissage se passe dans les meilleures conditions et ainsi garantir l’épanouissement de tout un chacun. En France, les enseignants ont protesté contre la gestion de la crise sanitaire à l’école. Des manifestations sont prévues dans toute la France. Le prof mauricien est-il un être optimiste: ça ira mieux ou qui a peur de sortir dans les rues ? “Ki pou fer? Sindika ki pe dir? Pou koup nou cash ? Pou koup nou konze ?”

La pandémie a ravi ce métier de son prestige : enseignement à distance, rapport hebdomadaire de rigueur, intrusion dans sa vie personnelle, alors qu’il s’attelle à de nouvelles tâches administratives. L’espace d’apprentissage subit trop d’interférences au nom d’un virus. Quand on pense qu’il y a tellement de maladies aussi dangereuses et contagieuses en collectivité.

La rentrée 2021 a montré que la vaccination n’empêche pas la transmission et que les écoles ne sont pas des lieux de contamination. Ne faudrait-il pas libérer les enseignants, rendre à l’enseignement ses lettres de noblesse et replacer la confiance au centre des relations ? Si pour ses élèves, l’enseignant se tient prêt sur le pont qu’est sa salle de classe, ou son salon, marker ou portable à la main, chaussures ou savates au pied, le cœur sur la main, s’il est disposé à enseigner avec l’esprit, le cœur et la passion, à éveiller la soif de connaissance, à déclencher ce désir de réussir, alors qui fera de lui à nouveau un Merlin l’Enchanteur? Ou malheureusement devenu aveugle, muet et sourd, il perdra sa magie et exécutera les ordres, avec pour témoins de petits êtres innocents…

« Un bon enseignant explique. Un excellent enseignant démontre. Un très grand enseignant inspire. » – William Arthur Ward.

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