Enseignement secondaire :  la fausse bonne idée ou le déni de réalité ?

Depuis quelques jours, la photo d’une annonce circule sur les réseaux. En substance, le ministère de l’Éducation de la république de l’île Maurice recherche des enseignants pour les collèges. La particularité, de taille, est que les candidats concernés doivent être…à la retraite, sans avoir dépassé l’âge de 70 ans. Désormais, pour faire carrière dans l’éducation, il faut avoir déjà fait carrière dans l’éducation.

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J’ai cru à une mauvaise plaisanterie, mieux une fake news. Nonobstant toute logique, il semblerait que cela soit vrai puisqu’un quotidien rapporte l’information et l’agrémente d’explications, sans pour autant citer les sources. Ce recrutement (en catastrophe ?) se fait, toujours selon l’article, pour deux raisons. D’abord pour pallier le manque d’enseignants et puis pour attaquer le problème du manque de discipline.

Vraiment, il y a un manque d’enseignants dans nos collèges. Mettons de côté le fait que les autorités dites compétentes ont attendu le deuxième trimestre pour le réaliser et pour tenter de juguler l’hémorragie et posons cette question simple : ce manque d’enseignants est récent ou est-ce une réalité depuis des années ?

L’article donne des raisons pour expliquer ce vide dans le corps enseignant : le Covid-19 (qui a toujours bon dos…), la PSC qui n’aurait recruté pendant deux ans (on se demande pourquoi…), des éducateurs sont partis à la retraite (chose qui n’est bien entendu pas prévisible…) et des amendements à la loi qui ont rendu, soudainement, de nombreux candidats inéligibles (ah, le plaisir de changer la règle du jeu sans réfléchir aux conséquences…).

Il m’arrive, comme un élève devant une équation, de ne pas comprendre le pourquoi du comment. Le ministère de l’Éducation a les chiffres précis sur le ratio enseignant-élève et des rapports à n’en plus finir sur l’état des collèges. Une vilaine pensée me traverse : peut-être que ces rapports ne sont pas lus…

Reste à savoir comment les décisions sont prises et en se basant sur quoi ? Pas sur la réalité en tout cas. Je n’ai pas le sentiment que cette décision, celle de recruter des retraités, a été prise en considérant la réalité, si je puis, « réelle » des collèges. Une autre vilaine pensée me traverse : des décisions absurdes sont prises parce que ceux qui les prennent n’inscrivent pas nécessairement leurs enfants dans ces écoles ; il n’y a que l’enfant du peuple qui se trouve des mois durant sans enseignant. 

Et le peuple, on s’en fiche un peu quand il ne vote pas. Après tout, le plus important c’est de pouvoir mettre une ligne de plus sur bilan en fin de mandat pour pouvoir le haranguer sur une estrade, n’est-ce pas ?

L’annonce dit qu’un salaire de Rs. 50, 000 attend le courageux qui acceptera de quitter le bien-être de sa retraite pour retourner dans les tranchées de l’éducation publique. Certains internautes l’ont souligné avec justesse : avec cette somme, il serait possible de recruter deux jeunes (un novice touche environ Rs. 25,000. Pardonnez-moi l’expression, deux pour le prix d’un.

Mais ce serait si bête d’offrir un emploi à un jeune dont les parents ont fait des sacrifices pour qu’il étudie. Il faut un Degree Holder dans chaque maison, nous avait-on dit, sans préciser que l’enfant et son Degree devaient rester à la maison à ne rien faire.

Il y a bien entendu le problème des qualifications. Ils ont les trois années nécessaires pour une licence, un Degree, mais ils n’ont pas de formation professionnelle. C’est devenu obligatoire, il n’y a pas si longtemps… D’accord. Ce serait impensable de les recruter, puisqu’il y a urgence, et de leur donner un moratoire pour le faire et qu’ils travaillent en parallèle.

Deuxième raison, le manque de discipline. Enfin ! Il aura fallu plusieurs cas et autant d’années pour que nos dirigeants voient qu’il y a un problème d’indiscipline. Super. Il ne reste plus qu’à attendre qu’ils réalisent que tout le système mis en place pour régler ce problème, pour encadrer ces enfants en difficulté, ce machin est en grippe depuis bien longtemps.

Ma foi, ils l’ont sans doute compris et de là est venue la belle idée peut-être : prenons les retraités ! J’imagine la scène dans un bureau climatisé entre deux pauses de thé : Les vieux profs ! Mais bien sûr ! Ils ont de l’expérience, ils savent commencer à gérer les méchants garnements. Bravo pour l’idée, chers collègues ! 

Moi qui vis dans la réalité, moi qui ai discuté avec des collègues qui ont pris leur retraite ou qui vont la prendre, sans généraliser, je rencontre un discours récurrent : on en peut plus, les enfants ont changé. 

Ces enseignants de carrière tenaient bon, parfois par amour de l’enseignement, mais parfois juste pour toucher leur pleine retraite et maintenir le plus longtemps possible le style de vie que permet leur salaire.

Oui, les élèves ont changé depuis que ceux qui s’assoient dans les grandes institutions ont quitté les collèges. Certaines écoles, je l’entends quand je parle à des collègues d’autres établissements, ont des élèves irrespectueux, voire agressifs, jusqu’à la violence. C’est l’intimidation pour les hommes et les regards libidineux pour les femmes. Rien de nouveau, sans doute.

La nouveauté peut venir du smartphone qui vous prend en photo à votre insu. Avec une simple application, votre visage est apposé sur le corps d’une actrice de charme et vous circulez sous le manteau sur les groupes WhatsApp des élèves. Le temps d’en être informé ou d’informer l’ICTA, votre image peut circuler déjà dans d’autres collèges.

Est-ce que son expérience seule suffira quand l’enseignant se retrouvera devant une classe de 40 élèves après une réaction brûlante ? Cela demande de l’énergie de faire face à une classe entière. Cette énergie me manque parfois…

Mais soyons positifs. Il se peut qu’un super enseignant, tel un Rambo qu’on ressortirait de la retraite pour une dernière mission bien que ce ne soit pas sa guerre, ait le charisme qu’il faut pour que, d’un regard, il instaure la discipline. Au lieu de faire revivre le dodo, il faudrait cloner l’enseignant Rambo.

Suis-je gérontophobe ? Non. Les personnes âgées, les citoyens d’un certain âge, les seniors ont une place spéciale dans mon cœur puisqu’elles ont la richesse de leur expérience. Ils ont vécu des choses, géré des situations parfois inimaginables. 

J’ai le privilège d’enseigner dans l’école où j’ai été élève. J’ai appris beaucoup de mes anciens enseignants. Certains de ces collègues ont apporté énormément à l’enseignant que je suis, mais aussi à l’homme que je suis. 

Je crois même que, pour ceux qui le désirent, ces enseignants retraités pourraient agir comme mentor auprès d’un jeune enseignant. Il y a plus de savoir chez un enseignant de carrière que dans certains modules dispensés par le MIE. Et puis…si un ministre peut avoir un mentor…pourquoi pas nous, humbles enseignants…

Mais au-delà de tout cela, de l’aspect pratique des choses, je me demande si les gens derrière cette décision ont réfléchi à l’impact d’une telle décision, au signal que cela envoie à la société et plus particulièrement aux jeunes.

Quand j’ai appris cela, je me suis demandé si je devais faire classe. Peut-être que je devrais juste pousser les tables et dire aux garçons : La vie n’est pas ce que tu crois. C’est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. Retiens-la. 

La poésie contre l’absurde. Oui, c’est de l’absurdité quand le ministère de l’Éducation mauricien, ce ministère qui a pour devoir d’éduquer le citoyen de demain, pense que l’avenir du pays se trouve dans le passé en choisissant de ne pas faire confiance aux jeunes, une fois encore. 

 

 

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