Et si on s’envolait ?

« Il est vrai que la culture est trop souvent le parent pauvre des politiques publiques mais aussi des projets de coopération régionale. Pourtant, la culture est bel et bien un levier d’épanouissement socioéconomique, d’innovation, de création. Elle est aussi un vecteur d’inclusion et de paix. »

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Ces mots du Professeur Vêlayoudom Marimoutou, secrétaire général de la Commission de l’Océan Indien (COI) vendredi dernier disent bien à la fois le manque, et le potentiel.

Pendant longtemps, on a pu se demander ce que la COI faisait pour la culture dans notre région. Alors que l’indianocéanie possède un si riche patrimoine, tant de créativité et tant de possibles au niveau artistique et culturel. Vendredi, la COI a répondu à cette question en dévoilant un premier volet de son projet régional de développement des industries culturelles et créatives, plus connu comme le projet ICC. De manière globale, le projet ICC vise, nous dit-on, « une meilleure cohésion sociale et la consolidation d’un sentiment d’appartenance régional qui contribue au développement économique, notamment par la structuration des acteurs culturels et de leur écosystème. »

Concrètement, ce dispositif prévoit des activités de formation, de co-création, de gouvernance et de structuration des filières, de soutien aux opérateurs et opératrices ou encore de valorisation des patrimoines.

Ce vendredi, la COI a donc enchaîné en lançant le programme nommé « AléVini ». Soit un Fonds d’aide à la mobilité des opérateurs et opératrices culturels de l’océan Indien (Madagascar, Maurice, Mozambique, Seychelles, Union des Comores, et La Réunion de manière indirecte) qui ne disposent pas toujours des moyens pour se produire à un festival, participer à un salon professionnel ou encore sonder les marchés et présenter leurs créations et services.

Il est intéressant également de noter que la première phase de ce dispositif prévoit d’accorder une attention particulière aux projets de mobilité « favorisant la participation, l’inclusion, l’autonomisation économique des femmes et des groupes vulnérables mais également des projets pour la prévention des violences basées sur le genre. »

Il est évident que le premier cycle d’appel et d’attribution de ces subventions à la mobilité, va susciter un intérêt très marqué dans un secteur encore plus en souffrance et en demande depuis le Covid. Et il y aura certainement des frustrations, vu qu’au final, il n’y aura « que » 250 000 euros à répartir en quatre cycles jusqu’à décembre 2026. Mais c’est un appel d’air conséquent pour les artistes de la région, au sein d’un dispositif global qui verra notamment la mise en place d’un fonds d’investissements pour la production d’œuvres numériques ; d’un fonds d’appui à l’entrepreunariat féminin dans le tourisme culturel ; d’un fonds d’investissement de co-création régionale, d’un soutien aux événements (festivals, salons, forums) ; d’un soutien à la filière E-Sport et aux écoles de danse ; de formation professionnelle en management culturel ou muséographie ; de bourses pour des Masters ; de la mise en place d’une plateforme des ICC de l’océan Indien entre autres.

Cela est d’autant plus notable que jusqu’ici, les artistes et opérateurs artistiques et culturels de l’océan Indien se sont trop souvent heurtés à la non-assistance, quand ce n’est purement aux bâtons dans les roues dans leurs pays respectifs. Il n’est d’ailleurs pas anodin de noter ici que ce dispositif pour les ICC mis en place par la COI est financé à hauteur de 5,1 millions d’euros non par les pays membres mais par l’AFD (Agence Française de Développement)…

À Maurice, l’expression la plus récente de ces obstacles parfois insurmontables est venue cette semaine du producteur musical Stephan Rezannah. Qui, après avoir dû annoncer il y a quelques semaines l’annulation du MOMIX 2023 faute de soutien financier, s’est fendu ce vendredi sur les réseaux d’un post rageur et plein d’amertume : « Clap de fin pour ce marché de musique mauricien. Le MOMIX est MORT ! Merci à tous ces vendeurs de rêves de la Culture… Ces entreprises hypocrites de la Musique… Ces Corporates à la culture copain/copine… Continuons à danser autour du feu, sur des faux accords… Lamizik pou res gamat dan zot latet! » Et l’on comprend le ras-le-bol de celui qui n’a cessé, tout au long de ces dernières années, de se battre comme un beau diable pour développer et exporter la création musicale de la région.

Nos dirigeants de tous bords auraient-ils peur de la culture, et ce qu’elle véhicule, au-delà du divertissement, en termes de déconstruction, de remise en question, de pensée critique ?

Un autre événement, cette semaine, donne des raisons d’espérer que la résistance à la tentative d’effacement est bel et bien vivace.

Vendredi dernier, un jeune homme de 25 ans, Raphaël Audibert, a lancé, au Centre Nelson Mandela pour la Culture Africaine, un ouvrage marquant intitulé Leritaz Maronaz, Chroniques de la résistance au colonialisme à l’île Maurice.

Celui que l’on connaissait jusqu’ici comme musicien-chanteur sous le pseudo de Rafiki (Couldn’tcaremuch) montre là à quel point he cares a lot pour notre construction culturelle, identitaire, sociale. Avec une détermination et une abnégation qui forcent le respect, il s’est attelé, ces dernières années, à réaliser cet ouvrage qui ouvre une fenêtre créative capitale. Dans un premier temps, il a décortiqué les travaux de feu Amédée Nagapen, et plus particulièrement la somme que représente son ouvrage L’histoire du Marronnage à l’Isle de France.

Ce qui est marquant ici, c’est que le marronnage est abordé dans une perspective foncièrement dynamique. Pas seulement comme une chose du passé, mais avec ce que cela irrigue dans notre présent, et ce que cela peut nourrir pour notre avenir. Dans une approche à la fois documentée et éminemment créative, cet ouvrage offre des textes concis et directs et renouvelle l’iconographie de l’esclavage et du marronnage à travers les superbes travaux graphiques de Sébastien Tahucatte et Mathieu Maigrot, qui se sont parfois aidés de l’IA.

En neuf grands chapitres, l’auteur y met en avant les personnages du marronnage; les femmes dans le marronnage; la culture des marrons ; les événements marquants de la période esclavagiste ; les résistances écrites et légales ; le marronnage maritime ; l’opposition au marronnage. Et puis, il met en lumière ce qu’il choisit de désigner comme « La continuité des luttes » (vagabondage pendant l’engagisme, Anjalay Coopen, et les traces du marronnage au 21ème siècle parmi lesquelles figurent le seggae ou le taxi marron).

« Comment ne pas s’émouvoir devant une cause relevant de la liberté des hommes sur leur vie ? Les marrons ont légué une identité forte mais incomprise à la société mauricienne. Tout comme les pirates, leur popularité s’inscrit plutôt dans le domaine du légendaire. Nous voulons mettre en lumière des aspects non traités de leur existence tels que la vie de famille, les éléments culturels, les croyances ou encore les ouvrages littéraires dont ils font l’objet. N’y a-t-il pas dans l’Histoire même des éléments identitaires soulevant la mémoire mauricienne au plus haut ? Y a-t-il dans le marronnage des éléments de dignité pour certains et une source de motivation pour d’autres, à accomplir l’impossible et à se permettre une libération totale ? Qu’est-ce donc d’être libres ? Comment vivons-nous la liberté ? » interroge Raphaël Audibert. Ce à quoi fait écho l’artiste Jason Lily dans sa préface : «L’esclavage, bien qu’aboli, a laissé des traces profondes dans l’imaginaire collectif des descendants d’esclaves et de nos citoyens. Le système oppressif a, depuis, changé de nom et nous invite, paradoxalement, à nous rebeller contre lui, à décoloniser nos imaginaires, à revendiquer la vérité, à devenir aussi des Marrons. » 

Cet ouvrage et ces propos sont l’œuvre de jeunes. Investis. Revendicatifs. Déterminés. Inspirants. Qui donnent envie, oui, de les rejoindre pour s’envoler vers des horizons plus créatifs.

Plus libres…

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