EXPULSIONS DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE : Les inquiétantes hésitations de l’opposition parlementaire

KRIS M.VALAYDON, Ph.D

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Barrister-at-Law

On est habitué à voir défiler le leader de l’opposition devant les caméras ou au micro des médias privés pour des points de presse dénonçant le traitement qu’il reçoit à l’Assemblée nationale. Aussi, il se révèle que l’opposition ne se tourne que vers le public pour régler les problèmes qu’elle rencontre dans la décharge de sa fonction d’opposant au gouvernement… L’impression qui se dégage de sa démarche d’alerter l’opinion publique semble indiquer qu’il n’existerait aucun autre recours pour mettre fin à la maltraitance qu’elle dit subir au parlement.

L’opinion publique

Or, la population peut être alertée sur des abus, mais elle ne peut rien faire pour les supprimer. La seule possibilité pour la population d’intervenir ne pourrait l’être que lors des élections générales. Mais, pour cela il va falloir attendre 48 longs mois, et avant cette échéance, le leader de l’opposition risque encore d’être expulsé, pour plusieurs, voire même toutes les séances parlementaires lors de la même session. Cette situation, elle est cocasse, puisque normalement c’est la population qui devrait se tourner vers l’opposition pour régler les problèmes d’abus et décrier les pratiques antidémocratiques et les injustices qu’elle constate, et non l’inverse.

L’opposition parlementaire n’a-t-elle vraiment aucun recours contre les abus, les expulsions et les suspensions, et est-ce par le biais de conférences de presse et des médias sociaux qu’elle pense que le problème sera réglé ? Une telle posture supposerait que la Constitution est si mal faite qu’elle va laisser perdurer un dysfonctionnement structurel dans l’exercice du pouvoir politique à Maurice. On ne le pense pas.

Recours au droit

Notre système de droit peut comporter certaines  failles, mais pas celles qui mettraient à risque le système lui-même. Ainsi, on ne peut dire que la Constitution de Maurice permet que des pratiques anticonstitutionnelles puissent être tolérées et ne peuvent être dénoncées. Lorsque l’opposition choisit d’aller dans la rue et animer des points de presse, elle s’attend à ce que le peuple juge et condamne. C’est peut-être une bonne démarche politique, mais elle est inefficace. Aucune solution, aucune sanction, n’est possible lorsqu’on s’adresse à la population. Et si l’on veut vraiment quelque remède contre les agissements abusifs à l’Assemblée nationale, le recours au peuple, afin de susciter son indignation, n’a qu’une portée limitée. Cela ne va pas faire changer de comportement à ceux coupables des abus allégués.

Jouer les martyrs ne sert pratiquement à rien vis-à-vis d’un gouvernement que l’on qualifie soi-même d’imperméable à la critique. Il est donc nécessaire à  l’opposition de revoir sa stratégie, et qu’elle ne se cantonne plus uniquement à alerter l’opinion, celle-ci étant incapable de modifier en quoi que ce soit les décisions du Speaker, et éliminer les expulsions et   suspensions, et autres actes contraires à l’esprit même   de la Constitution.

On se demande alors pourquoi l’opposition ne saisit pas la Cour suprême, la seule instance à Maurice habilitée à se prononcer sur la question et apporter une solution à un problème qui dure depuis des années, et surtout que le leader de l’opposition a un intérêt direct, un locus standi, dans une affaire qui concerne son expulsion et sa suspension du Parlement.

Nécessaire appel au judiciaire

L’opposition ne peut pas préjuger de la décision du juge, ni penser que le judiciaire n’a pas les compétences pour régler ce problème. Ce serait grave pour les institutions, et même pour le pays si l’opposition avait une telle perception du judiciaire. Si l’opposition pense vraiment que les décisions du Speaker sont contraires à la Constitution, elle devrait pouvoir porter l’affaire en Cour. Elle ne peut arguer que cela prendra trop de temps : il existe bien des procédures en droit pour faire en sorte que la question soit entendue et réglée dans les meilleurs délais.

Le leader de l’opposition est nommé pour opérer IN THE ASSEMBLY, et non sur le trottoir ou par le biais de Facebook ! Sans leader de l’opposition ou sans Leader of the House, le parlement n’est pas validement constitué. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il est absent, le Premier ministre, qui est aussi Leader of the House, se fait remplacer. L’absence du leader de l’opposition est encore plus grave puisque dans son cas, la Constitution prévoit expressément qu’il en faut un au parlement.

Suprématie de la Constitution

Oui, la Constitution prévoit une certaine indépendance au Parlement qui peut décider de la manière de mener ses affaires, de faire des Standing Orders. Mais, cette disposition de la Constitution ne saurait être interprétée comme un changement dans la hiérarchie des normes juridiques du pays. La Constitution ne perd pas sa suprématie au profit des règles faites par le Speaker de l’Assemblée nationale. Il n’est donné aucune carte blanche, que ce soit au parlement ou à n’importe quelle autre institution du pays de se défaire des dispositions de la Constitution. La Constitution est suprême à l’île Maurice et s’il faut le rappeler, la section 119 dit expressément : « Saving for jurisdiction of courts » —

« No provision of this Constitution that any person or authority shall not be subject to the direction or control of any other person or authority in the exercise of any functions under this Constitution shall be construed as precluding a court of law from exercising jurisdiction in relation to any question, whether that person or authority has performed those functions in accordance with this Constitution or any other law or should not perform those functions. »

Assumer ses responsabilités

La balle est dans le camp de l’opposition. Si elle constate qu’il y a des abus, des entorses à la Constitution, c’est son devoir de saisir les instances appropriées pour rétablir la situation. Les récentes réactions de l’opposition n’amènent pratiquement pas   la solution. Le recours au judiciaire est une nécessité.  Qu’importe le verdict, la population saura juger alors qui est en train d’assumer ses responsabilités et qui est en train de commettre ou tolérer une violation répétée de la Constitution du pays.

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