L’histoire n’est pas un récit linéaire. Cependant, les récits historiques reflètent souvent la sphère académique, et par extension la société dans laquelle celle-ci évolue. Il a fallu attendre quelques générations d’historiens pour comprendre ce fait, et différencier ainsi narrations, régions, époques en vue d’établir des parallèles. Il a fallu entendre historiens, anthropologues et autres universitaires, souvent originaires de la région et non-blancs, pour explorer d’autres pistes – comme Hilary Beckles, sur la résistance des femmes à la Barbade, dans les années 80.
L’histoire des femmes, mises en esclavage, figure parmi ces pistes qui requièrent encore nombre de recherches et d’études. À l’heure où la parole se libère enfin sur des abus sexuels allégués à Maurice portant le hashtag Metoo et dans le contexte du lancement du Musée intercontinental de l’esclavage, nous revenons sur la sexualisation des corps de femmes (mises en esclavage ou précédemment en esclavage). Cette sexualisation, perpétuée après l’esclavage et accentuée par le capitalisme, ramène des personnes au statut d’objet. Les femmes en esclavage sous la colonisation française à Maurice font déjà l’objet de multiples préjugés, peu importe l’époque.
Dans son livre ‘Creating the Creole Island’, Megan Vaughan mentionne quelques récits des voyageurs de passage dont ceux de Moreau de Saint Méry affirmant que les femmes en esclavage sont prédisposées à l’immoralité et, qu’une fois libres, se livrent à la prostitution pour vivre. Ce type de discours à l’égard des femmes, marquées par l’esclavage, n’est pas unique. Dazille, ancien médecin en chef de l’hôpital militaire, dans son livre « Observations sur les maladies des nègres », publié en 1776, évoque la ‘dépravation’ de jeunes femmes en esclavage.
L’expérience des hommes et femmes esclaves a souvent été présentée de manière homogène mentionnant principalement leur déracinement, leurs conditions atroces de ‘travail’ et bien évidemment les punitions qu’on leur imposait, les unes plus barbares que les autres. Cependant, il existe plusieurs facteurs qui font que l’expérience féminine de l’esclavage ne peut être réduite à celle de son homologue masculin. L’un des facteurs principaux ayant influencé et continuant à impacter la vie de la gent féminine est bien évidemment la sexualité. Il est important de mentionner que la femme esclave était vue comme un objet de désir non seulement par ceux appartenant à la catégorie de propriétaires d’esclaves mais aussi par ses semblables. Beaucoup de femmes esclaves furent victimes de viols qualifiés à l’époque de « débaucherie » ou de « soutirage » – des mots qui rendent des actes abjects anodins.
Les rapports de police archivés révèlent d’innombrables cas de violences sexuelles sur ces femmes. Certains témoignages aux 18e et 19e siècles viennent de ces femmes elles-mêmes et mentionnent souvent des menaces de punitions corporelles si elles refusaient de se laisser faire. D’autres témoignages sont issus de propriétaires d’esclaves qui, eux, se plaignaient de ceux qui ‘debaucheraient’ leurs esclaves, les empêchant ainsi de mener à bien leur travail. Ce qui démontre donc que la principale préoccupation de ces propriétaires n’était certainement pas le bien-être de ces femmes mais le souci de l’appropriation de leurs ‘biens’.
De plus, ces femmes victimes se retrouvaient punies à la place de l’agresseur. Le 25 avril 1785 Sophie fût emprisonnée à la requête de son maître car un dénommé Lyonnois la ‘soutirait’. Cette dernière lui avait confié que Lyonnois l’aurait menacée de coups de bâton si elle ne revenait plus le voir. D’autres récits révèlent des agressions physiques et sexuelles de femmes esclaves par nul autre que des hommes esclaves. Zaïre a, elle, été enlevée et abusée à tour de rôle par sept esclaves marrons en août 1785.
Celles qui parvenaient à accéder au statut de libre n’étaient pas exempts de critiques, préjugés et de violences comme l’attestent des rapports de police sous la colonisation française entre 1805 et 1807 : de Julie, accusée de ‘soutirage’ par son voisin parce qu’elle parle souvent à un homme libre, à Jeanne, malgré son statut de propriétaire, giflée par un homme blanc.
Ce n’est pas pour autant que les femmes ‘libres’ ne menaient pas leur vie comme elles l’entendaient. Leur résistance et leur résilience méritent d’être rappelées, contées parce que cette transmission est au cœur même de nos fibres identitaires.