Fragment du journal intime d’une femme enceinte

TANIA RAMSAMY

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J’ai été aux premières loges avec 9 mois de grossesse depuis mai 2020, et je me suis réjouie de ce miracle de la vie et du fait de pouvoir en témoigner.

En faisant une rétrospective de mon expérience pendant ces 9 mois, je souhaite à présent offrir un regard sur la femme enceinte en 2020-2021. Bien sûr, la grossesse n’est pas une maladie, mais elle nécessite tout de même une attention particulière et une réorganisation de son quotidien.

Les petites anecdotes…

Les « on-dit »

Dès le début de la grossesse, la femme est submergée de « fais attention à … », conseils qui vont des choix alimentaires aux choix vestimentaires. Certains m’ont suggéré, à titre d’exemple, à faire attention à tous les fruits locaux, d’autres de bannir l’ananas et la papaye de mon assiette.  Je me suis interrogée sur les fondements scientifiques de ces propos, afin de ne pas me retrouver avec des carences ou simplement de nouveaux interdits.  Je souriais intérieurement par moments en entendant des commentaires diamétralement opposés : « si tu es enceinte d’une fille, tu grossiras au niveau de la taille et tu risqueras de voir ton visage enfler » ou « si tu es enceinte d’une fille, ça se verra tout de suite… tu seras plus coquette ».  Tout esprit raisonnable saura faire le tri et comprendra que tout conseil vient d’une bonne intention.

Les « devinettes »

J’ai également fait l’objet des traditionnelles devinettes, tantôt amusantes, tantôt embarrassantes, l’essentiel étant de tout prendre au second degré et de garder l’esprit ouvert.  J’en profite pour préciser que la forme du ventre n’est pas toujours indicative du sexe du bébé: un ventre pointu ne signifie pas forcément que c’est un garçon ou dans le cas d’un ventre large qu’il s’agit d’une fille.  Qu’en est-il de cette fameuse phrase reprise dans un beau séga, qui porte de la lumière sur le sujet « garson premie lo…tifi deziem lot » ?  Je l’ai entendue une seule fois chez un commerçant et c’était la fois de trop ! Je suis restée bouche bée ; je ne m’attendais pas du tout à ce genre de réflexions en 2020.  Aujourd’hui, étant plus sereine qu’à ce moment-là, je me dis que j’aurais dû avoir la présence d’esprit de simplement dire « enn zanfan, se enn mirak, enn kado Bondie, pourvi li an bonn sante ».

Les choses sérieuses…

Les « working women »

La femme enceinte, selon les lois existantes, doit pouvoir s’adapter à l’environnement de travail, qu’importe le nombre de malaises, de nausées, de vomissements ou d’autres états de fatigue qu’elle subit : un environnement identique à celui d’une autre collègue ne vivant pas du tout la même situation. J’ai été touchée par la bienveillance de certains collègues qui ont su à travers des petites attentions rendre mon quotidien plus agréable.  La femme enceinte n’est pas un sujet organisationnel mais une personne à part entière.  Un environnement propice au bon déroulement de la grossesse de ses employés devrait inclure une pièce de repos en cas de fatigue extrême, des objets tels les ballons de grossesse, les petits tabourets sous le bureau afin de pouvoir garder les pieds élevés et, dans la mesure du possible, un ascenseur quand il y a plusieurs étages.  Je réitère le besoin de juxtaposer la possibilité de travailler de chez soi, dans la mesure du possible, et de veiller à une flexibilité tout autant constructive pour l’employeur que pour l’employée.

Le soutien du partenaire ou d’un proche

Il est primordial d’avoir un partenaire ou un proche présent tout au long de la grossesse.  Cumuler plusieurs rôles, en une journée, nécessite un appui solide tant pour l’écoute que pour l’aide au quotidien, afin d’avoir un état d’esprit serein et propice au bon développement du bébé. La grossesse nécessite une réadaptation afin de cohabiter à l’aise et en harmonie avec ce petit être.  Le premier trimestre est souvent jalonné de nausées et d’états de fatigue.  Je me souviens avoir juste eu envie de dormir en rentrant du travail.  Les hormones sont en ébullition.  Le rôle d’un partenaire est crucial.  J’ai été reconnaissante d’avoir systématiquement eu droit aux petits plats que le bébé et moi voulions.  Mon époux nous a introduit, lui, mon bébé et moi au « team  work »  en mode grossesse et je lui en suis éternellement reconnaissante. Il nous disait que cet accouchement serait l’apogée de nos efforts collectifs à ce moment.

Les « conseils dangereux »

Si les connaissances sur la grossesse se sont enrichies au fil du temps, il est possible qu’un proche nous donne des conseils à prendre avec des pincettes, bien que cela parte d’une bonne intention et d’une forte conviction. Un exemple : « surtout, faudra faire ton nouveau-né dormir sur le ventre ».  Ces conseils, m’a-t-on dit, viennent des « gran dimounn » dans certains cas… info ou intox?  Vivant ma première grossesse, je me suis tout de même documentée, et j’ai eu le privilège de bénéficier de conseils de sages-femmes avisées d’une clinique renommée de l’île.  Si tout conseil part d’une bonne intention, il est judicieux d’en vérifier la source.

Les « embouteillages »

Le développement des infrastructures publiques fait partie du progrès économique.  Je n’en doute pas.  J’ai néanmoins remarqué que tous ces chantiers et constructions provoquent souvent une file d’attente sur nos routes au quotidien. Cela entraîne une diminution d’énergie pour tout individu, et un risque en début de grossesse respectivement. La grossesse n’est pas forcément visible derrière un volant. Certains usagers de la route n’en prennent pas toujours conscience, et n’hésitent pas à abuser de leurs klaxons dès qu’ils s’aperçoivent que le véhicule avance à une vitesse inférieure à la leur.  Je pensais également à mes consœurs enceintes, devant prendre les transports en commun.  Je suis d’avis qu’une tenue de route calme et une campagne de sensibilisation incluant les femmes enceintes – usagères de la route, pourraient adoucir les mœurs.    

« Girls supporting other girls »

Ce monde a autant besoin d’amour que de solidarité féminine.  Entre le fait de partager et celui de créer une atmosphère tendue chez sa consœur, la ligne de démarcation est fine.  L’essentiel est d’échanger en faisant attention à ne pas heurter la sensibilité de celle qui vit ou souhaiterait vivre cette expérience de façon positive et constructive. Nous avons chacune un vécu, et c’est unies dans nos différences que nous arrivons à avancer.  J’ai aussi croisé sur ma route de bonnes fées qui m’ont soutenue à travers des gestes, paroles, prières, livres, partage de techniques de respiration parmi lesquelles l’« hypnobirthing », conseils d’allaitement, et d’autres moyens positifs pour bien vivre cette expérience.  J’encourage fortement ce type de partage.

“My way is the way – is it so?”

Aucun d’entre nous ne naît avec le manuel de « comment élever son enfant ».  Si autrefois, il y avait un sentiment de culpabilité autour du fait d’avoir subi une césarienne par rapport à un accouchement par voie basse, le choix de la péridurale ou encore de l’allaitement, je suis heureuse de voir que de plus en plus de femmes affirment haut et fort leur choix.  Nous vivons à une époque où, dans la plupart des cas, la césarienne est pratiquée afin d’éviter tout risque lors de l’accouchement pour la maman et le bébé.  Après avoir porté son enfant pendant 7-9 mois en général, il est primordial de vouloir un accouchement approprié selon la situation.  Chaque corps évolue à son rythme et chaque relation parent-enfant/parent-conjoint demeure tout autant situationnelle que circonstancielle.

Les papas dans tout ça?

Les papas n’ont droit qu’à une semaine de congé paternité, ce qui est loin d’être suffisant.  La période post-accouchement nécessite un accompagnement physique et psychologique.  Il ne faut pas prendre pour acquis que la femme a d’autres aides que celle du papa, bien que nous vivions, heureusement, dans une société où la cellule familiale permet aux parents/beaux-parents de nous venir en aide.  Il est vrai qu’il y a de plus en plus de nounous à qui nous pouvons faire appel.  À mon avis, le lien créé immédiatement post-accouchement entre un papa et son enfant ne peut être remplacé par ce type de service, et ce dernier n’est économiquement pas à la portée de tous.  La maman a tout autant besoin de se sentir aimée, doublement valorisée, accompagnée face à ce qu’elle vient de vivre et aux nouvelles responsabilités suite à la venue du bébé.

Pour conclure, je réitère que l’homme et la femme sont complémentaires.  Il est vrai que c’est une expérience unique et qu’à chaque fois qu’une femme enceinte fait face à un obstacle, j’ai envie de lui dire que ce petit bout de vie procure une force incroyable qui nous pousse à tenir bon jusqu’au bout. Je tiens néanmoins à mettre en avant la question de la condition féminine : a-t-elle une place prioritaire qui lui revient au sein des débats parlementaires, de la législation et de notre société ?

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