FREEDOM OF INFORMATION ACT : Pour que “le peuple admirable” ne se contente plus d’admirer

Si « l’information est l’oxygène de la démocratie », comme le fait remarquer l’ONG londonienne Article 19 qui milite internationalement pour le droit à l’information, alors on peut dire que la démocratie mauricienne étouffe !
Un Parlement prorogé alors qu’il est la seule interface par laquelle les citoyens peuvent espérer un semblant d’« accountability » de leur gouvernement… L’annonce d’une nouvelle aussi stratégique que la découverte de pétrole dans les eaux mauriciennes, offerte en manière de scoop à un média par un responsable universitaire… A l’inverse, un flou total entourant les implications du stockage des données personnelles et des empreintes digitales de toute une population dans un projet de carte d’identité biométrique… Autant d’éléments d’actualité qui rendent criant le besoin d’un Freedom of Information Act, préconisé d’ailleurs par le rapport Robertson d’avril 2013 et réclamé depuis à cors et à cris par la société mauricienne.
Encore un outil d’« approfondissement de la démocratie » (le mot est à la mode) qui dort dans les placards de l’Assemblée nationale. L’introduction d’un Freedom of Information Act a été prévue à l’agenda parlementaire pour la première fois en… 2006 !
Pourtant, l’UNESCO définit le droit à l’information comme un « droit universel d’accéder aux informations détenues par les pouvoirs publics », qui repose sur le principe selon lequel un gouvernement est au service de la population et « les organes publics détiennent l’information non pas pour eux-mêmes mais pour le public ».
L’ONG Article 19 (baptisée d’après l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme) précise les catégories d’informations que l’Etat devrait être tenu de publier : (1) Les types d’information dont disposent les organismes publics ; (2) Les informations sur le fonctionnement de ces organismes publics, notamment les états des comptes, objectifs et réalisations ; (3) Les réponses aux demandes et aux plaintes du public (4) La teneur des décisions politiques ayant des conséquences sur les citoyens, ainsi que les raisons pour lesquelles ces décisions ont été adoptées et la documentation clef ayant servi de support à cette prise de décision ; (5) Des conseils au public sur les moyens qui s’offrent à lui pour contribuer aux principales propositions décisionnelles ou législatives.
On mesure là à quel point le droit à l’information est crucial pour la vie démocratique et la justice sociale. Les observateurs s’accordent à dire que les citoyens en accédant à l’information nécessaire sur le fonctionnement de leur Etat sont mieux en mesure d’évaluer les actions de leurs gouvernants, d’estimer le sérieux des politiques publiques, de participer aux débats publics avec un jugement critique, de prendre des décisions personnelles efficaces, d’exercer un droit de vote informé et surtout… de mieux défendre leurs autres droits. Autrement dit, l’introduction d’un Freedom of Information Act permettrait au bon « Peuple admirable » de ne plus se contenter d’admirer (*) …
Ce qui pourrait demander un effort particulier à tous ceux qui sont habitués à fonctionner dans une culture du secret, car il est établi qu’une législation de type Freedom of Information Act garantit une meilleure transparence des gouvernements, qui font ainsi « l’objet d’une surveillance, et par conséquent deviennent plus ouverts, transparents, responsables », souligne Article 19. En particulier, le droit à l’information permet aux journalistes et aux whistleblowers de mieux dénoncer la corruption.
Pour l’instant, c’est la règle du secret qui prévaut, largement entretenue par le fonctionnement consociatif de la démocratie mauricienne, où les élites politiques négocient entre elles behind the curtain des solutions de compromis, voire de partage du pouvoir, au nom des communautés ethniques qu’elles sont censées représenter. Le jeu politique mauricien se joue donc à deux niveaux simultanément : une politique « invisible » de coopération au sommet, faite pour donner aux élites un maximum de latitude dans la conduite des affaires de l’État ; et une politique « visible » de compétition (du moins en apparence) dans l’arène électorale, faite pour recueillir les votes.
Dans ce cadre, on comprend que la suppression de l’information a pour principal objectif de minimiser la contestation populaire envers les décisions des leaders. L’information est restreinte à une forme de communication politique ayant vocation à susciter l’adhésion des citoyens-électeurs à la politique gouvernementale. Ce qui explique notamment le rôle de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) comme outil de communication, voire de propagande gouvernementale. Sans compter les traditionnelles conférences de presse du samedi matin…
Dans son rapport préliminaire publié en avril 2013, Geoffrey Robertson soutient qu’ « a new Freedom of Information provision is essential, as is greater protection for open justice », affirmant en outre que « reasonably open government leads to better government ».
Geoffrey Robertson ne se contente pas d’affirmer gratuitement que « putting both the interests of politicians and of the press aside, when the interests of the public are considered, it is clear that in a democracy they are entitled to know certain facts and information about what the government is planning to do ». Il propose également un certain nombre de mesures d’accompagnement d’une telle législation, l’instauration d’un médiateur indépendant pour examiner les refus de fournir l’information, ou encore des clauses de sauvegarde telle qu’un délai de 15 ans pour diffuser les minutes du Cabinet des ministres.
De son côté, l’ONG Article 19 établit une liste de 9 principes à respecter dans la rédaction d’un Freedom of Information Act. Des principes fondés sur les normes internationales, sur la pratique des États qui ont déjà une telle loi (environ 90 dans le monde actuellement) et sur les principes généraux de droit reconnus par l’ONU : (1) Principe de divulgation maximale de l’information détenue par les pouvoirs publics ; (2) Promotion de la transparence des administrations ; (3) Obligation de publier les informations importantes ; (4) Obligation de faciliter l’accès à l’information ; (5) Coût raisonnable de l’accès à l’information pour les citoyens ; (6) Limitation du nombre d’exceptions au droit à l’information ; (7) Ouverture des réunions et des bilans des organismes publics et parapublics à la population ; (8) Le principe de divulgation doit primer sur les lois sur le secret d’Etat ; (9) Protection des lanceurs d’alerte.
« Un mauvais gouvernement ne peut survivre que s’il pratique la culture du secret. Dans de telles conditions, l’incompétence, le gaspillage et la corruption ne peuvent que s’épanouir », observe Andrew Puddephatt, Directeur général d’Article 19. Sans doute les principes de la bonne gouvernance dicteront-ils que le Freedom of Information Act figure (à nouveau) sur les manifestes électoraux aux prochaines élections. A défaut de figurer à l’agenda parlementaire avec la réforme électorale lors de la réouverture du Parlement le 4 juillet prochain.
(*) Merci à Jean Sylvain Oriant pour cette expression.

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