Gheerishsing Gopaul : « La bibliothéconomie n’offre pas de module pédagogique »

La Mauritius Library Association (MLA) fête ses 50 ans cette année. À cette occasion, et en marge de la Journée internationale de l’alphabétisation dont il en fait un de ses combats, le président de l’association, Gheerishsing Gopaul, réitère sa demande aux autorités pour offrir aux bibliothécaires des établissements scolaires « une formation pédagogique qui comprendrait, entre autres, des modules de psychologie et de gestion de classe qui sont primordiaux pour répondre au mieux aux besoins de leur public estudiantin ». Il observe que des études de bibliothéconomie ne sont pas une formation pédagogique. « Or, pour travailler dans les écoles, il est important d’avoir une formation pédagogique. » Lors de cet entretien accordé au Mauricien, il revient sur la création de la MLA, son évolution et les activités qu’elle entreprend pour atteindre ses objectifs dans les court et long termes.

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La MLA célèbre ses 50 ans cette année. Pouvez-vous nous dire dans quelles circonstances cette association a vu le jour ?
Une bibliothèque est synonyme d’éducation. Elle offre d’innombrables possibilités d’apprentissage qui contribuent aux développements économique, social et culturel d’un pays. Autant que je sache, les membres fondateurs de l’association qui œuvraient dans le domaine de la bibliothéconomie à l’époque, soit en 1973, ont senti le besoin de se regrouper pour dynamiser et professionnaliser le secteur tout en attribuant une identité propre à la profession. À l’époque, il n’y avait pas d’études de bibliothéconomie à Maurice et il n’y avait pas de structure pour encadrer le personnel, non plus. La création de la MLA est venue répondre à ce manquement.

Comment est-ce que l’association a évolué ?
Elle a grandi avec le soutien de ses membres. De cette structure et sans doute avec du lobby pour l’amélioration de la profession, elle a contribué à la création de postes importants dans le domaine. On a, par exemple, la création d’un Library Cadre au sein du ministère de l’Éducation. La création de la Bibliothèque nationale de Maurice et, plus récemment de bibliothèques dans les écoles primaires et le recrutement d’un personnel qualifié. On a aussi des études universitaires en bibliothéconomie. Tout cela a vu le jour à l’issue des rencontres et des négociations entre le comité exécutif de la MLA et les autorités.

Et comment s’est-elle adaptée à l’évolution de la société ?
C’est bien de noter que la MLA n’est pas une autorité mais une association. C’est la voix des bibliothécaires. Comme mentionné plus haut, elle a été l’épine dorsale de plusieurs développements dans le secteur. Aujourd’hui à l’ère du numérique – avec les points Internet, les liseuses et d’autres types de matériel qui ont fait leur apparition – il est un fait qu’il y a très peu de médiathèques à Maurice. La majorité des bibliothèques ne sont pas encore devenues des médiathèques.

En tant qu’association, nous attirons l’attention des autorités dessus et nous militons pour sa concrétisation. Nous avons œuvré pour des bibliothèques au primaire, ce qui est une réalité aujourd’hui.

Qui sont vos membres ?
Nous avons une centaine de membres qui sont des bibliothécaires des écoles primaires et des collèges privés et publics, ceux des municipalités, un petit nombre des centres de documentation des ministères et deux des bibliothèques universitaires.

Quel est l’objectif de la MLA ?
Le but est de rehausser continuellement la profession en lien avec les normes et l’éthique qui la régissent pour faire de la société mauricienne une société alphabétisée. Pour cela, nous organisons des rencontres avec d’autres professionnels du livre.

Nous avons des rencontres régulières avec nos membres pour passer en revue la situation et pour réfléchir sur des sujets qui nous touchent directement. Nous participons à des rencontres internationales qui nous permettent de nous tenir au courant de l’évolution dans le secteur et de partager les meilleures pratiques avec nos pairs. On peut citer, en exemple, les rencontres avec l’American Library Association ou la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques. Nous organisons aussi des activités pour encourager la lecture parmi les jeunes.

Pouvez-vous nous éclairer sur les normes et l’éthique du métier ?
Être bibliothécaire est un travail noble. Nous œuvrons dans l’intérêt des usagers de la bibliothèque. Ainsi, nous devons nous assurer de leur offrir un service de qualité. Une formation appropriée en fonction de l’usager qu’on sert est primordiale. La demande dans une bibliothèque scolaire n’est pas la même que celle d’une bibliothèque municipale ou de la Bibliothèque nationale. Chacun doit pouvoir répondre aux besoins de ses usagers de manière responsable, en les respectant et en privilégiant la qualité du service.

Quel type de lecture encouragez-vous ?
Quand on parle de bibliothèque, on fait souvent une synthèse de ce qu’on fait. Cependant, cela dépend de quelle bibliothèque nous parlons. La lecture longue est importante et bénéfique pour la connaissance, développer l’esprit critique et la concentration et enrichir son vocabulaire. Il y a aussi toute une dimension recherche qu’on fait à la bibliothèque. Comme on dit : “First we learn to read then we read to learn.” Il y a aussi la lecture pour le plaisir.

De quelle manière promouvez-vous la lecture ?
Ce travail se fait à travers les membres. Ils sont encadrés. Ils bénéficient de formations. Par exemple, nos membres qui travaillent dans des établissements scolaires ont eu une formation sur l’animation autour du livre dans le cadre de la Journée internationale du livre. Cela s’est fait en collaboration avec l’Institut français de Maurice. Nous avons eu un retour positif car ils sont nombreux à mettre en place des animations similaires, notamment en ce qui concerne le story telling, au sein de l’école où ils travaillent. Nous identifions les demandes et cherchons des solutions pour mieux les former

La MLA a fait une requête auprès du ministère de l’Éducation pour une formation pédagogique structurée et adéquate destinée au personnel des bibliothèques qui pourrait s’échelonner sur six mois, voire une année. Ils pourront s’en sortir avec un certificat avec des modules couvrant, entre autres, la psychologie, l’éducation et la gestion de classe.
En bibliothéconomie, il n’y a pas de formation pédagogique. Des études de bibliothéconomie concernent les techniques de gestion et d’organisation des bibliothèques et de l’information publiée. Les bibliothécaires des établissements scolaires apprennent sur le tas. Cette formation contribuera grandement à mieux servir la population estudiantine parce que les bibliothécaires pourront mieux encadrer les élèves. Cela apportera de la valeur ajoutée au travail qu’ils font.

Quel constat faites-vous concernant la lecture parmi les jeunes ?
Elle a connu un déclin. Par rapport à plus de 40 ans, il y a aujourd’hui plus de distractions pour un jeune : téléphone portable, tablette, télévisions. Il y a les jeux, les réseaux sociaux… Bref, il y a aussi les parents qui passent beaucoup de temps sur le téléphone portable et on lit de moins en moins le livre comme auparavant. C’est ainsi aujourd’hui et on ne peut se passer de ces technologies.

Mais la lecture sur Internet n’est pas forcément une bonne lecture, non plus. Ou on peut prendre sa tablette avec l’intention de lire mais on est distrait par autre chose : des mails qui rentrent, les réseaux sociaux, les messages. Parfois, même si on a un Kindle avec 200 à 300 livres dessus, est-ce qu’on les lit ? Alors que quand on prend un livre papier, on a un objectif et on peut s’y mettre sans se laisser distraire. Intéresser les jeunes à la lecture est devenu un défi pour les bibliothécaires.

C’est pareil chez les adultes aussi. Le temps qu’on donne au livre a diminué et pourtant les bénéfices qu’on en retirerait sont innombrables. Le rapport de la Banque mondiale, en collaboration avec les autorités mauriciennes, a conclu qu’il y a un déclin dans la littératie chez nos jeunes. Les élèves n’arrivent pas à s’exprimer et à écrire convenablement sur papier. La qualité est en train de baisser.

Vous opérez au sein des établissements scolaires. Est-ce que les écoles sont équipées pour encourager la lecture longue ?
Nous sommes une association et nous pouvons seulement attirer l’attention sur la situation. Au niveau du primaire surtout, il n’y a pas assez d’équipements pour encadrer les élèves. Il y a encore des choses à mettre en place pour intéresser les élèves à la lecture.

Que prévoyez-vous pour la Journée internationale de l’alphabétisation ?
Nous réitérons notre demande pour cette formation pédagogique à l’intention des bibliothécaires. Sinon, comme c’est le troisième trimestre et que nous sommes en pleine période de préparation des examens, nous ne faisons pas d’activité. Nos membres travaillent.

Nous allons marquer cette journée par une réunion élargie pour discuter de la situation générale et réfléchir sur les propositions à soumettre au Pay Research Bureau en marge des consultations prévues dans le cadre de la publication du dixième rapport qui prendra effet le 1er janvier 2026.

Quels conseils donnez-vous aux parents ?
De nos jours, c’est vrai que la vie a changé. Les parents passent aussi beaucoup de temps sur leurs portables, pour le travail ou autres. Je pense qu’on doit s’arranger pour trouver du temps pour la lecture et créer une habitude dans ce sens.

Quels conseils aux professeurs des écoles avec qui les enfants passent beaucoup de temps ?
Ils enseignent des matières et ils font déjà bien leur travail. La lecture dont on parle, c’est de facto le travail du personnel des bibliothécaires et il complète le travail de l’enseignant. Les parents ont un rôle important à jouer dans la promotion de la lecture chez leurs enfants.

 

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