Gopal Ramchurn : « La technologie évolue sans cesse et il faut s’y adapter »

Le Professeur Gopal Ramchurn était récemment à Maurice à l’invitation du National Computer Board, et ce dans le cadre du salon InnovTech. Ce Mauricien professeur en intelligence artificielle et directeur du Centre for Machine Learning de l’Université de Southampton, au Royaume-Uni, demande aux jeunes de s’orienter vers les technologies émergentes, « car les TIC évoluent à une vitesse phénoménale et ne pas s’y intéresser aujourd’hui pourra causer des regrets à l’avenir lorsque ces technologies deviendront courantes ». Il ajoute : « La technologie évolue continuellement et il faut s’y adapter. »

- Publicité -

Quel est votre constat sur l’intelligence artificielle à Maurice ? Sommes-nous sur la bonne voie s’agissant de cette technologie ?
Si nous comparons Maurice à d’autres pays, nous utilisons déjà l’intelligence artificielle dans des applications, avec lesquelles les gens sont familiers. Ces applications se servent de l’intelligence artificielle, comme Google ou Siri. Je constate qu’il y a une certaine conscientisation dans le pays. C’est-à-dire, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les affaires et les universités ont commencé à effectuer plus d’efforts à former les étudiants. De ce fait, nous sommes une nouvelle génération qui aura une expertise dans l’intelligence artificielle. Si en ce moment nous avons des utilisateurs de l’intelligence artificielle, bientôt nous aurons des experts en intelligence artificielle. Cela prendra du temps. Mais il y a des moyens d’accélérer à travers le plan de formation. Nous constatons déjà le National Computer Board et le ministère de la Technologie de l’Information et de la Communication qui vont d’école en école pour conscientiser les élèves sur l’intelligence artificielle, le Coding et le Machine Learning afin que nous ayons nos propres experts, de sorte que lorsque nous achetons un produit utilisant l’intelligence artificielle ou si nous fabriquons notre produit utilisant cette technologie, nous ayons nos propres experts qui pourront nous aider et l’adapter dans notre contexte et savoir comment l’implémenter ou l’appliquer pour que nous obtenions la valeur optimale. Il y a des efforts qui sont consentis, mais nous sommes encore au début. Avec la création de l’AI Council, celui-ci nous aidera à accélérer la révolution dans le domaine de l’intelligence artificielle à Maurice et aussi envers l’Afrique quant aux services que nous serions capables de lui offrir afin d’essayer de devenir un centre de services en intelligence artificielle et une économie qui y est basée.

Quelles sont nos forces et nos faiblesses quant aux technologies émergentes ?
Les technologies qui émergent en ce moment demandent beaucoup d’informations et de ressources, soit des images, ce que nous recherchons sur Internet. Ces technologies enregistrent ces données rapidement. Ainsi, nous obtenons des services très réactifs sur notre téléphone ou ordinateur, entre autres. Nous n’arrivons pas à le remarquer étant donné sa rapidité. Mais nous devons également considérer que nos données personnelles sont quelquefois enregistrées. Nos informations sont prises de manière systématique. Cela veut dire que les erreurs transmises à travers ces informations sont prises pour des vérités, ce qui est dangereux. Ainsi, des décisions qui ne sont pas bonnes peuvent être prises et la promotion de choses non appropriées peut être effectuée. Par exemple, nous avons eu des cas où des enfants de 12 ans naviguent sur Internet sans contrôle parental et qui visionnent des vidéos où des personnes se suicident. Ils ont tendance à faire de même. Il y a certains enfants qui sont tentés d’acheter des mises à jour lorsqu’ils sont en train de jouer sur Internet. Certaines personnes ont reçu des factures très élevées à cause de cela. C’est dangereux, car nous laissons cela dans la main des enfants qui ne connaissent pas les implications et ne savent pas quels sont les dangers auxquels ils sont exposés. Il faut qu’on informe les enfants et qu’on leur explique dans quel monde ils vivent. Nous vivons dans un monde où l’information nous arrive de n’importe quelle source. C’est vrai que nous ne pouvons surveiller les enfants du matin au soir, mais nous devons les éduquer pour qu’ils sachent ce qu’ils font. Si nous parlons de l’intelligence artificielle, celle-ci peut venir sous différentes formes, notamment des logiciels, des robots ou des applications. Pour que les nouveaux services puissent évoluer, nous devons éduquer la nouvelle génération à accepter cette technologie et comprendre ce qu’elle peut faire, et ce sans oublier de considérer les risques. Ainsi, dans les années à venir lorsqu’elle intègre nos systèmes et nos politiques, les risques sont très faibles. Tout ceci demande des efforts des décideurs politiques, des éducateurs et des enfants qui doivent s’intéresser aux matières scientifiques. Nous avons noté qu’il y a trop de jeunes qui s’orientent vers la finance au lieu de se tourner vers la technologie.

L’intelligence artificielle, la robotique et l’Internet des objets sont à la fois fascinants, mais provoquent aussi des inquiétudes. Quelle est votre observation ?
Nous nous inquiétons sur ces sujets, car nous ne les comprenons pas. Lorsque nous parlons de l’Internet des objets, il faut savoir ce que cela veut dire. Un capteur enregistre des données qui sont envoyées sur le Cloud. Mais seul, l’Internet des objets ne veut rien dire. Si nous prenons des capteurs que nous placerons dans des endroits particuliers pour mesurer par exemple l’humidité ou la température, cela permettra à un planteur de savoir quoi cultiver et quand irriguer ses plantes. Si on installe un capteur qui enregistrera notre consommation d’énergie à la maison, c’est l’application qui permet à l’Internet des objets de devenir utile. Il n’y a rien à avoir peur. Mais s’il y a une certaine crainte, il faut réfléchir sur les informations qui sont susceptibles à être connues par d’autres. Si mon capteur informe mes contacts que je ne suis pas à la maison, c’est à moi d’être blâmé. Il n’y a rien à avoir peur, il faut simplement savoir quelle application utiliser. Il faut être sûr que les données soient sécurisées.

On demande souvent aux entreprises d’adopter la technologie pour être plus productives et efficientes. Mais de l’autre côté, il y a les employés de différentes tranches d’âge. Ne croyez-vous pas qu’en adoptant rapidement les nouvelles technologies, plusieurs se retrouveront sur le pavé ?
Nous parlons aujourd’hui des robots qui travaillent nuit et jour pour fabriquer des voitures dans une pièce sombre. De ce fait, plusieurs mécaniciens et ingénieurs se retrouvent sur le pavé. Mais ces machines peuvent, très rarement faire des erreurs. Et lorsqu’elles tombent en panne, qui va les réparer ? Il faudra des ingénieurs pour la réparation. Nous avons peut-être mis à la porte dix mécaniciens, mais de l’autre côté, nous avons créé une centaine d’ingénieurs pour réparer les robots. Les mécaniciens devront se former à nouveau et accroître leurs compétences.

Vous avez affirmé qu’aucun emploi ne sera épargné à cause de la technologie. Mais que fera une personne qui est arrivée à un certain âge et qui se voit incapable d’aller se former à nouveau ?
Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin des compétences d’un dactylographe, car il y a des programmes qui font ces types de travaux. Nous avons optimisé le système et avons rendu redondante la personne qui faisait ce travail. Certes, c’est difficile pour une personne d’entreprendre une nouvelle formation à un certain âge. Mais si nous offrons l’opportunité à cette personne de se former ? Aujourd’hui, si une personne veut développer de nouvelles compétences, il existe une multitude de cours en ligne qu’elle peut suivre et devenir ainsi un expert. Je connais d’ailleurs des personnes qui sont devenues des programmeurs à l’âge de 50 ans et d’autres qui sont devenus des entrepreneurs. Mais tout dépendra de la personne, si elle veut faire des efforts et développer d’autres compétences. Il faut qu’on éduque notre population pour accepter ce changement, car la technologie avancera à une vitesse accélérée, soit à peut-être 1 000 km/h dans deux ans. La technologie évolue continuellement et il faut s’y adapter, car nous ne pourrons effectuer le même métier tout au long de notre vie.

Si un jeune ne s’intéresse pas à l’informatique, son avenir est-il voué à l’échec ?
Si un jeune étudie les arts, la psychologie, la comptabilité ou l’économie, il devra utiliser des données et l’intelligence artificielle. Est-ce que le jeune veut se voir comme un ignare et se former lorsqu’à 30 ans, il se voit incapable de comprendre les technologies ? On peut apprendre les matières non scientifiques plus tard. On n’est pas obligé de les apprendre après le cycle secondaire. Personne ne pourra étudier l’intelligence artificielle s’il n’a pas étudié une matière scientifique. Il faudra étudier les sciences pour avoir plus d’opportunités et il sera plus difficile de pouvoir se former lorsqu’on arrive à un âge avancé. Il est important de savoir faire des choix critiques. C’est très difficile pour un jeune de choisir une bonne filière, mais certaines personnes ont été chanceuses de choisir les sciences. Il ne faut plus considérer cet élément de chance, mais plutôt savoir guider les jeunes sur leur avenir.

Est-ce qu’un jour les machines que nous créons pourront, à leur tour, créer d’autres machines meilleures qu’elles ?
Des méthodes sont développées pour créer des “self replicating programmes” mais c’est très difficile pour les machines de développer leur capacité à coder. À un certain point, nous allons pouvoir le réaliser, mais ce n’est pas quelque chose que nous ne pourrons pas contrôler. Dans 10 à 15 ans, on verra si j’avais raison ou non. Mais je crois qu’on aura des développements mais pas à un niveau où ces machines deviendront super-intelligentes pour réaliser des choses qu’on ne pourra pas.

L’intelligence artificielle pourra-t-elle remplacer l’intelligence naturelle ?
Il existe plusieurs théories sur ce sujet. Mais je ne crois pas, à moins qu’il y ait des développements dans le domaine de l’informatique. Aujourd’hui, nous utilisons un système binaire. Si nous continuons avec ce système, nous ne pourrons créer des systèmes qui imitent l’homme. Il faudra une évolution dans le système que nous utilisons pour que nous puissions créer des machines qui peuvent être meilleures que les hommes. Mais cela pourrait arriver dans 50 ans.

Pensez-vous qu’un jour l’homme peut se détruire avec l’intelligence artificielle ?
L’homme se détruit déjà avec l’intelligence artificielle en utilisant des drones pour tuer les gens dans des guerres. Les machines ne sont pas responsables, mais plutôt ceux qui ne veulent pas que l’intelligence artificielle soit l’avantage des autres. La deuxième étape sera les machines qui le feront, car nous aurons une personne qui en sera responsable. Soit il le fait par erreur, soit intentionnellement. Mais cela ne se produira pas de sitôt.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour