HISTOIRE RELIGIEUSE – Marie-Madeleine, la grande dame du christianisme naissant

À la mémoire de Marie-Madeleine Cazala

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REYNOLDS MICHEL

Pour la plupart d’entre nous, le nom de Marie-Madeleine évoque la « pécheresse repentante » de l’Évangile qui couvre de baisers les pieds de Jésus, ou celle de la « pénitente aux cheveux dénoués avec le crucifix » ‒– souvent représentée dans l’art chrétien ‒– que « le pardon de Jésus a fait passer d’une vie dissolue à une vie nouvelle et qui exhorte à la repentance ». Cette représentation de Marie-Madeleine est-elle conforme aux données des évangiles (Marc, Matthieu, Luc et Jean) ? N’est-elle pas davantage ajustée avec ce qu’expriment les peintres ou à une certaine tradition chrétienne occidentale qui a fusionné plusieurs figures féminines évangéliques nommées Marie ?

L’invention de Marie-Madeleine

Qui était Marie-Madeleine et que sait-on d’elle ? D’où vient l’image de pécheresse accolée à sa représentation ? Pour l’historien Georges Duby (1919-1996), Marie-Madeleine est le personnage de l’Évangile le plus minutieusement décrit dans toutes ses attitudes : « Beaucoup de femmes paraissent dans le récit évangélique. Mentionnée à dix-huit reprises, la Madeleine est de toutes la mieux visible, celle dont les attitudes, les sentiments sont décrits avec le plus de précision, beaucoup moins effacée, abstraite, beaucoup plus dégagée du légendaire que l’autre Marie, la Mère de Dieu » (Dames du XIIe siècle, Gallimard, V 1, 1995). Ces dix-huit citations n’empêcheront pas la confusion progressive entre les trois Marie des évangiles : Marie de Béthanie, la sœur de Marthe et de Lazare, « celle qui a choisi la meilleure part » selon Jésus (Matthieu10, 38-42 ; Jean 11, 28-48 ; 12, 1-8) ; Marie, la pécheresse anonyme qui répand du parfum sur les pieds de Jésus chez Simon le Pharisien (Luc 7, 36-50) et Marie de Magdala, l’une de ses plus fidèles disciples de Jésus, témoin de sa Passion et la première à laquelle il apparait après sa Résurrection, celle-là même dont il expulsa « sept démons » (Luc 8, 2-3 et Marc 16,9).

Si les premiers interprètes de l’Évangile – auteurs chrétiens des premiers siècles, dits Pères de l’Église ‒– optent pour la distinction, la confusion s’installa assez vite. Entre, d’une part, Marie de Magdala, la femme guérie des « sept démons » (Luc 8, 2-3), et la pécheresse anonyme (Luc 7, 36-50) et, d’autre part, entre Marie de Béthanie, la sœur de Lazare ‒– celle qui versa du parfum sur les pieds de Jésus quelques jours avant sa mort (Jean 11,2) ‒– et la même pécheresse anonyme (voir plus haut). L’opération est prête pour mélanger les différentes femmes du même nom, pour la création de l’unité des trois Marie.

Le Pape Grégoire le Grand (540-604), pour la tradition latine et dans un contexte de la conversion des Lombards, a franchi le pas en faisant de toute les « Marie » (à l’exception de la mère de Jésus) une seule et même femme « pécheresse », lors d’une de ses homélies : « Celle que Luc appelle une pécheresse, et que Jean nomme Marie (Jn 11,2), nous croyons qu’elle est cette Marie de laquelle, selon Marc, le Seigneur a chassé sept démons (Marc 16, 9) » (Homélie 33, fin septembre 592). Et d’emblée, Grégoire identifie les sept démons : « Qu’est-ce qui est désigné par les sept démons, sinon tous les vices ? ». Marie-Madeleine est née. C’est l’invention de Marie-Madeleine, figure composite, tour à tour « pécheresse et repentante, voluptueuse et ascète, mondaine et ermite, la compagne de Jésus et sa confidente ». En donnant au couple Jésus/Marie-Madeleine une descendance, l’intrigue de Dan Brown, le Da Vinci Code, constitue une fascinante étape dans l’histoire de la réception du personnage de Marie-Madeleine (Cf. Régis Burnet, In Le Monde de la Bible, n° 224).

Derrière le mythe, une femme devenue

le premier témoin de résurrection

Mais pouvait-on, sans trahir les récits évangéliques, en rester à cette figure composite de Marie-Madeleine ? Quel lien a en vérité cette figure de Marie-Madeleine avec les évangiles de Jean, de Luc, de Matthieu et de Marc ?  Qui était donc Marie-Madeleine ? Quel rôle a-t-elle joué dans le mouvement de Jésus, puis aux origines de l’Église ? Comment caractériser sa relation au Maître de Nazareth ?

Marie-Madeleine de Jan Van Scorel (Rijksmuseum, Amsterdam) – vers 1530

Parmi les femmes qui accompagnent Jésus de Nazareth dans son ministère, une figure se détache : celle de Marie, dite de Magdala, en référence au village ou à la petite ville qu’elle habitait, située sur la rive occidentale du lac de Gennésareth, non loin de Tibériade. Cette précision ‒ – de Magdala (de l’hébreu migdal, tour) ‒– est rendue nécessaire étant donné la présence de plusieurs Marie dans les évangiles. Elle est, selon Luc 8, 1-3, l’une des femmes qui ont été guéries par le Nazaréen et qui l’ont ensuite suivi et servi de leurs biens tout au long de sa vie. Elle joue un rôle central lors des événements de la Passion et de la Résurrection. On la trouve avec la mère de Jésus et d’autres femmes près de la Croix (Matthieu 27, 55-56 ; Marc 15, 40-41 ; Luc 24, 49). Et ensuite dans le jardin où se trouvait le sépulcre, elle est la première à voir le tombeau vide et le premier témoin de sa résurrection, tout en étant également la première messagère à témoigner et à annoncer la bonne nouvelle (Jean 20, 1-18).

Bref, selon ces données des évangiles, la Marie de Magdala qui se révèle à nous dans sa proximité avec Jésus n’est pas celle construite par une certaine tradition chrétienne et iconographique à partir de l’image de la femme « pécheresse ». Son amour pour son maître n’a pas besoin d’être sexuel pour être profond. La transformer en pécheresse, disent les théologiennes féministes et autres exégètes, a permis d’effacer « son rôle d’apôtre et de bloquer la place des femmes dans l’Église ». Toutefois, une évolution se dessine depuis le Concile Vatican II. En 1969, le pape Paul VI décide que Marie-Madeleine ne soit plus fêtée comme « pénitente » mais comme « disciple ». Exit la Marie-Madeleine comme prostituée repentie.

La réhabilitation s’est poursuivie avec les autres papes. Tous la reconnaissent comme la première à rencontrer le Ressuscité et la première à annoncer aux apôtres sa résurrection. Mais, il faut reconnaître que c’est sans doute le pape François qui a fait le plus dans cette voie. Il a décidé, par un décret daté du 3 juin 2016, d’élever le 22 juillet, journée habituellement consacrée à la mémoire de la Sainte, au rang de fête liturgique dans le Calendrier Romain. Le but visé, c’est une première, est de mettre Marie-Madeleine, celle qui a été la première à proclamer la résurrection de Jésus, sur un pied d’égalité avec les apôtres. En faisant cela et, surtout, en donnant explicitement à Marie-Madeleine le titre d’« apôtre des apôtres » – un très ancien titre donné à Marie-Madeleine par Hippolyte de Rome, théologien du IIIe siècle, et reprise ensuite par Raban Maur, évêque de Mayence au IXe siècle, et saint Thomas d’Aquin au XIIIe  siècle ‒– le pape François ouvre la voie à une plus grande place des femmes dans L’Église, tout en rendant à Marie-Madeleine sa pleine humanité.

Sources

BURNET Régis, Qui était vraiment Marie-Madeleine ? In Aleteia, 21/07/2020

DAUZAT Pierre-Emmanuel, L’invention de Marie-Madeleine, In Monde de la Bible, n° 143, 2002

LACAU ST GUILY Agnès, Marie-Madeleine était présente, In Notre Histoire, n° 52, janvier 1989

ZUMSTEIN Jean, Le premier apôtre selon Jean, In Monde de la Bible, n° 143, 2002

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