Hommage à Yusuf Abdullatiff, poète des confluences spirituelles

CATHERINE BOUDET

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Un poète des fenêtres ouvertes sur le monde et des confluences spirituelles s’en est allé pour son grand voyage, ce 17 juin 2020. Connu principalement comme haut fonctionnaire et pour son combat social en faveur des victimes des accidents de la route en mémoire de sa fille Jehan, Yusuf Abdullatiff, né en 1944, était également un poète prolifique et inspiré.

Celui qui fut Chef de cabinet au ministère de la Formation et qui durant sa carrière sillonna la planète à la recherche d’opportunités d’emplois pour les Mauriciens, comptait aussi à son actif cinq recueils poétiques. Des ouvrages qui, comme le suggèrent leurs titres, étaient autant de fenêtres ouvertes sur le monde : Window on Mauritius, Voices under my window, Islander Poetry, Window Destinations et The Borderless Window.

Son goût pour la poésie est né très tôt d’un épisode inattendu, lorsqu’un professeur qu’il aimait beaucoup composa un poème en pleine salle d’examen. L’enseignant avait écrit ce poème sur un papier d’examen et à la fin de l’épreuve, l’avait remis au jeune Yusuf, alors âgé de 15 ans. Le jeune homme, très ému et marqué à vie par ce geste, publia son premier poème la même année. Et, bien sûr, il devait le dédicacer à ce professeur.

Ce premier texte poétique de Yusuf Abdullatiff s’intitulait « Wedding ». Car, enfant, l’auteur habitait en face de l’Eglise Immaculée, à Port-Louis, et l’inspiration de « Wedding », c’était les mariages qu’il pouvait voir depuis le balcon de sa maison. Yusuf Abdullatiff est resté fidèle à cette veine poétique initiale, faite de descriptions quasi-photographiques et d’inspiration religieuse.

Au fil de ses recueils, ce fin intellectuel s’est ainsi forgé dans la langue de Shakespeare un style descriptif d’ambiances et de scènes vécues, qu’il alimenta de ses multiples voyages à travers le monde. Tout d’abord, ses voyages en Inde, berceau natal de sa famille, son père étant né à Mumbaï. Lui-même fit ses études à Alighargh, dans l’Andhra Pradesh. Le lien d’ancestralité s’étant renforcé par ses années d’études dans la Grande Péninsule, pour Yusuf Abdullatiff l’Inde devait rester une alma mater, toujours éblouissante.

Devenu fonctionnaire au retour de ses études en 1968, ses différents postes dans l’administration mauricienne post-indépendance l’amenèrent à effectuer de nombreuses missions à l’étranger et donc à découvrir d’autres pays. C’est à l’occasion de ces déplacements vers des destinations aussi lointaines que le Danemark ou la Finlande, qu’il composa ses nombreux poèmes. Et les scènes dont il fut témoin n’étaient pas toujours idylliques. Elles l’amenèrent au contraire à prendre conscience des réalités parfois difficiles vécues par les populations des pays qu’il visitait. Ainsi, l’un de ses souvenirs les plus marquants fut l’Allemagne de l’Ouest et le mur de Berlin, avec les soldats pointant leurs armes vers lui. Peu importe, brûlantes ou paisibles, ces expériences de voyage lui donnèrent la sensation émerveillée d’appartenir au monde et d’embrasser l’univers dans sa diversité spirituelle, ainsi qu’il le décrit dans son poème « Confluence », extrait de Window destinations (2010) : « I am here : In the fragrance of your lobans, incense, agarbattis and josh sticks. I am there: In your edifices : temples, churches, mosques and pagodas… »

De sorte que Yusuf Abdullatiff ne ressentit jamais le besoin de prendre des photos lors de ses voyages. Ses recueils étaient pour lui à la fois appareil photo et carnets de voyage. Ses poèmes furent autant de balises dans sa vie de pèlerin du monde. Lorsqu’il voulait se rappeler la date de tel ou tel de ses voyages, il lui suffisait de se référer à ses recueils de poésie.

La poésie l’a également soutenu dans les moments les plus douloureux de sa vie, comme en 2004, lorsque sa fille Jehan est victime d’un accident mortel à Flic-en-Flac et que le père meurtri se heurte à une bureaucratie froide et impitoyable. Là encore, c’est une poésie de mots à la fois précis et pudiques qui s’impose pour décrire et survivre : « To the uninformed newspaper reader, it was only a news item; to us it was devastation: our only daughter, our sons’ only sister… » Ainsi commence le poème dédié à Jehan, écrit le jour même de son départ…

En ce mois de juin 2020, Yusuf Abdullatiff s’en est allé sur la pointe des pieds rejoindre sa fille aimée. Ce pèlerin du monde, parti pour son grand voyage, restera pour toujours parmi nous car, comme il l’a écrit lui-même : « I am everywhere. Here, there. In your many ways of remembrance, in your night and day meditation and prayers… »

MORCEAU CHOISI


« Confluence »

I am everywhere

Here, there.

In your many ways of remembrance,

In your night and day meditation and prayers:

Sunday Mass;

Friday Jumu’a salaat;

Thursday zikr.

In the beads of your mala, rosary or tasbihs ;

In URS sweetmeats, in the seven curries and in Easter’s brioches

In your hymns, bhajans, kirtans; naats, qassidas and qawallis.

I am here:

In the fragrance of your lobans, incense, agarbattis and josh sticks.

I am there:

In your edifices : temples, churches, mosques and pagodas.

I am there:

In your pilgrimages:

Makkah and Madinah;

Banaras;

Lourdes.

I am here in the harmony of peaceful living Mauritians!

I am… your spiritual confluence.

Yusuf Abdullatiff, Window destinations (2010)

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