ÎLES ÉPARSES | Infrastructure – Agalega, un avenir qui se conjugue à l’inquiétude

  • Des Agaléens : « Nou ankor pe atann nou kontra lakaz e pa finn ena okenn sanzman kote lasante »

L’archipel d’Agalega, faisant partie intégrante de la République de Maurice, a été sous les projecteurs durant ce dernier mois de l’année avec cette décision de l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), et qui a fait l’effet d’une bombe, à savoir une éventuelle garantie bancaire de Rs 403 000 imposée aux Mauriciens souhaitant s’y rendre en visite. Certes, face aux salves de critiques acerbes que cette annonce a soulevées, l’administrateur de ces deux îles a été contraint de mettre en veilleuse son projet, mais au-delà de cette exigence financière, que certains considèrent « anticonstitutionnelle », il règne aussi au sein de la population de l’archipel un sentiment de profonde déception mêlée d’amertume en cette fin de 2020. Pourtant, une année, qui avait été annoncée, prometteuse pour le développement de l’archipel.

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Le bilan de l’année écoulée n’est guère réjouissant pour les Agaléens, car leurs principales doléances pour un “upgrading” du service de santé et pour l’obtention d’un contrat de propriété de leur logement n’ont pas reçu de réponses concrètes. D’où leur inquiétude grandissante quant à leur avenir sur leurs îles natales après la mise en service des nouvelles infrastructures aéroportuaires. « Quelle sera notre place à Agalega ? » se demandent-ils.

La seule chose qui réconforte la population agaléenne en cette fin d’année est que leur archipel est “COVID-free”, à l’instar de Rodrigues. À ce sujet, les habitants ne manquent pas de relever le plan de prévention COVID-19 spécifique pour Agalega, élaboré par tous les “stakeholders” de l’archipel. Et de souligner la vigilance accrue des personnes résidant au village de La-Fourche pendant la période de confinement national pour faire respecter in toto les exigences sanitaires à chaque arrivée de bateau, et figurant dans ce protocole.

« Si nous n’avions pas été sur nos gardes pendant la période de confinement, alors que Maurice enregistrait ses cas de coronavirus, nous aurions pu être confrontés au pire chez nous, car nous n’avons pas les moyens nécessaires pour traiter cette maladie » affirment des habitants. Selon ces derniers, les habitants de La Fourche, à proximité du lieu d’embarquement et de débarquement, ont adopté une extrême vigilance à l’arrivée de chaque bateau pour s’assurer que le protocole concernant l’équipage et le débarquement des marchandises soient bien respectés. « Il y a eu un arsenal de mesures pour protéger la population, et nous sommes fiers des résultats », disent-ils.

Cependant, si le fait d’être “COVID-Free” est certes rassurant, cela ne suffit assurément pas à apaiser la population par rapport à leur devenir dans l’archipel. En effet, autant les Agaléens se disent ravis devant la progression remarquable des travaux de construction de la nouvelle jetée et de la nouvelle piste d’atterrissage – attendus soit dit en passant depuis des lustres –, autant ils sont anxieux de ce que l’avenir leur réserve, car jusqu’ici, le gouvernement s’est refusé à répondre à leurs nombreuses interrogations relatives à la mise en service de ces nouvelles infrastructures aux normes internationales.

D’après le constat des habitants qui suivent avec intérêt le déroulement des travaux, Afcons Infrastructures pourrait terminer son chantier vers octobre 2021, soit dans dix mois, moyennant bien sûr un nombre suffisant d’ouvriers indiens sur les deux sites de construction durant les mois à venir. En effet, en cette fin d’année, leur nombre tourne autour de 800, alors que le contracteur a envisagé la présence d’un millier de travailleurs vers l’achèvement des travaux, et ce, principalement des ouvriers ayant des compétences dans le domaine de la finition de constructions. Or, la pandémie de COVID-19 en Inde freine quelque peu la démarche du contracteur pour recruter de nouvelles paires de bras dans cette catégorie de travailleurs.

Au vu des travaux en cours, les Agaléens craignent ainsi de ne pouvoir circuler librement à l’avenir aux alentours du nouvel aérodrome et dans la future zone portuaire. Les résidents se disent « dans le flou » sur plusieurs aspects, qu’ils résument dans les interrogations suivantes, et sur lesquelles ils attendent des réponses :

Pourquoi une piste d’atterrissage longue de 4,2 km et quels sont les avions qui pourront s’y poser ?

Prévoit-on des vols commerciaux et, si oui, a-t-on envisagé un tarif spécial pour les résidents agaléens ?

À qui le gouvernement confiera-t-il la gestion des nouvelles infrastructures ?

Quel est le coût de la réalisation de ces projets ?

Quelles sont les personnes qui auront de l’emploi dans ces nouveaux services, et est-ce que les Agaléens obtiendront un travail ?

Pourront-ils vivre jusqu’à leur dernier souffle sur leur archipel ?

Pour autant, la plus grosse déception de la population agaléenne en cette fin d’année concerne deux problèmes spécifiques : le service de santé, jugé lamentable aujourd’hui, et la longue attente pour obtenir leur contrat de propriété de leur maisonnette. « Nou bien desi parski finn ena okenn devlopman pozitif lor sa de demann ki nou pe fer depi lontan. Toutes nos demandes pour des choses essentielles sont parties à la poubelle », constatent amèrement les habitants.

« Akoz samem nou pe per pou nou lavenir isi. Eski gouvernma pe panse pou fer nou kit nou zil, akoz samem zot pa le donn nou kontra lakaz ek aranz enn nouvo lopital ? », lancent d’autres. Les chefs de famille ne comprennent d’ailleurs pas pourquoi le gouvernement prend « autant de temps » à leur remettre le contrat de leur maison alors qu’ils ont déjà soumis aux autorités mauriciennes tous les documents administratifs nécessaires. D’où leur cri du coeur envers les autorités : « Nou pa bann skwaters ! Donn-nou enn kontra lakaz ! »

La population se dit également de plus en plus déçue de la lenteur des autorités à rénover le service de santé, demande d’ailleurs récurrente à chaque visite ministérielle dans l’archipel. « L’amélioration du service de santé est une priorité pour la population. Nous pourrions alors réduire le nombre de déplacements vers Maurice. Que le gouvernement n’avance pas cette fois l’argument de la pandémie pour justifier le retard à réaliser ce projet ! » tonnent des habitants. Selon eux, « l’hôpital » de l’Île du Nord fait pâle figure à côté de l’Afcons Medical Unit (voir photo). Et pour cause : ce service de la compagnie indienne est doté de plusieurs équipements modernes et sophistiqués pour entreprendre certains tests, tels qu’une échographie, voir pour prodiguer certains traitements spécifiques. En outre, la Medical Team d’Afcons a aussi à sa disposition deux ambulances en cas d’accidents sur les chantiers de construction.

Dans le même temps, du côté de la population locale, les habitants doivent demander de l’aide auprès de l’administration en cas de malades à transporter en urgence à « l’hôpital » de l’Île du Nord. Sans compter que l’Afcons Medical Unit étant une “restricted Area”, seuls les malades référés par le médecin de « l’hôpital » peuvent y avoir accès, selon les dires des habitants. « Nou pa kapav al laba par nou-mem e prezant dokter Afcons nou kart idantite. Fode gagyn enn papie ek dokter nou lopital », dit un père de famille.

Autre facilité dont bénéficient les travailleurs d’Afcons, et qui donne lieu à une certaine frustration parmi les habitants dans leur vie quotidienne : l’installation d’un système de dessalement d’eau de mer et d’eau saumâtre. Et ce, pendant que la population des deux îles a toujours recours à l’eau de pluie pour pourvoir à leurs besoins journaliers. « L’OIDC aurait pu demander à Afcons d’étendre son système de dessalement d’eau aux habitants. Sa bann teknolozi Afcons pa pe profit ditou a bann abitan. Nous avons été tenus à l’écart complètement de ces travaux de construction », soulignent des résidents.

L’association Les Amis d’Agalega, qui suit avec grand intérêt la situation dans l’archipel depuis le début des chantiers, partage elle aussi les inquiétudes de la population, et se dit « très déçue » de ce qu’elle qualifie « d’indifférence des autorités » à considérer les deux principales demandes des habitants. « Il ne s’agit pas de requêtes farfelues, mais du respect des droits des Agaléens, qui font partie eux aussi de la République de Maurice, à bénéficier d’un bon système de santé et d’être propriétaire de leur terrain et de leur logement. Malerezma, lavwa bann Agaleen pandan sa lane-la pa finn tande dan Moris », déplore ainsi Laval Soopramanien, président de cette organisation.

La jeune génération, selon les observations de quelques aînés, a de son côté peu d’espoir de voir s’améliorer leurs conditions de vie dans leurs îles natales. Et de citer en exemple les difficultés des collégiens en début de chaque année pour obtenir un transport pour rentrer à Maurice à temps afin de reprendre l’école le même jour que tous les autres scolaires de Maurice et de Rodrigues.

Des parents appréhendent aussi les conséquences du problème du chômage, qui affecte les jeunes après l’école.

Pour autant, les habitants gardent l’espoir que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui détient aussi le portefeuille des “Outer Islands”, effectue une visite à Agalega au cours du premier trimestre 2021. En espérant bien entendu qu’il réponde à leurs nombreuses interrogations et dissipe leurs inquiétudes quant à leur avenir.

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Des constructions moins visibles

Si les travaux de la nouvelle piste d’atterrissage et de la nouvelle jetée sont fort visibles, en revanche, certaines constructions en parallèle aiguisent la curiosité des îlois, car étant hors de vue des habitants.

Ainsi, il y aurait entre cinq et six « grands bâtiments » en construction sur un terrain complètement en retrait des passages publics fréquentés, et à mi-chemin entre le village de La Fourche et le Village 25. « Ces bâtiments sont disposés en cercle et s’apparentent à des maisons. Cela ressemble à l’installation d’un village intégré », selon des Agaléens ayant eu l’occasion de s’approcher du site.

Aussi les habitants commencent-ils à se poser des questions sur ces constructions. À commencer par savoir « à quoi serviront ces bâtiments ? ». Or, les autorités sont restées jusqu’ici silencieuses par rapport à ces bâtiments. Un silence qui donne lieu à pas mal de spéculations parmi la population, certains se demandant même s’il ne s’agirait pas là d’une éventuelle… base militaire !

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Père Michel Moura : « Des travaux impressionnants ! »

Le père Michel Moura est en mission à Agalega pour la Noël, et y restera jusqu’à la deuxième semaine du mois de janvier. Il n’est cependant pas un inconnu de la population agaléenne, car ayant déjà exercé dans l’archipel comme fonctionnaire avant de s’engager dans la prêtrise. Son dernier séjour dans les deux îles en tant que prêtre remonte à 2011. Aussi, à son retour, il y a quelques jours, soit neuf ans plus tard, il s’est dit surpris par ses découvertes.

« Il y a beaucoup de changements. Je savais qu’il y avait des constructions dans l’archipel, mais je ne m’attendais à voir des travaux aussi impressionnants et autant d’équipements lourds sur un si petit archipel », confie le père Moura, avant de faire part de son étonnement devant « la grande dimension de la piste d’atterrissage », tout comme les habitants eux-mêmes d’ailleurs. « Les Agaléens avaient-ils besoin d’une si grande piste d’atterrissage ? » se demande-t-il.

Soulignons que les catholiques de l’archipel n’ont pas eu de prêtre depuis 2018, et que, de ce fait, ils n’ont pas eu de messes ces dernières années lors des principales fêtes figurant au calendrier liturgique, notamment pour la Pâques. Les fidèles nous font ainsi part de leur « immense joie » d’avoir pu participer à la célébration eucharistique pour la Noël cette année. Outre la veillée de Noël à l’Île du Nord, le prêtre a aussi célébré la messe le 25 décembre dans les deux îles. Durant son séjour, le père Moura célébrera également des baptêmes, des premières communions et des confirmations.

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