INNOVATION | Recherche spatiale – Le MIR-SAT1 positionne Maurice dans la New Space Era

Le premier satellite mauricien, (Mauritius Imagery and Radiocommunication Satellite 1), MIR-SAT1, développé par une équipe de chercheurs du Mauritius Research and Innovation Council (MRIC), sera lancé dans l’espace, selon toute probabilité, en février ou mars de l’année prochaine. Financé à hauteur de Rs 22 millions, ce petit satellite de 10 centimètres cubes est prêt à 95%. Grâce à cet engin, Maurice se positionne pour faire ses premiers pas dans l’exploration spatiale.

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Une rencontre avec l’équipe, composée de chercheurs et dirigée par le Dr Vikram Bissonauth, Research Coordinator au MRIC, a permis de voir le travail accompli dans les coulisses. « C’est une première initiative dans l’espace », soutient le Research Coordinator. Mais comment Maurice a-t-elle réussi à être retenue pour la construction d’un satellite ? Selon notre interlocuteur, le pays a bénéficié d’une opportunité de l’United Nations Office of Outer Space Affairs (UNOOSA), qui collabore avec la Japan Aerospace Exploration Agency (JAXA), afin de postuler pour le KiboCUBE Programme. « Ce programme permet aux pays en voie de développement d’élaborer leurs premières initiatives dans l’espace. Une proposition a été faite et soumise à la JAXA. Ils ont vu notre sérieux, notre vision pour ce nouveau créneau pour Maurice et comment nous nous sommes investis », explique le Dr Vikram Bissonauth.

Cette proposition a été élaborée par une petite équipe d’Aerospace Engineers composée de Ziyaad Soreefan et de Faraaz Shamutally, chercheurs auprès du MRIC, et le soutien d’experts internationaux. « Nous avons reçu le premier prix. Nous avons été très contents lorsque nous avons été retenus », ajoute-t-il. Avant Maurice, le Guatemala et le Kenya avaient été les gagnants des deux premiers concours respectivement. Le Research Coordinator précise à ce propos que le pays qui reçoit le premier prix se voit autorisé à construire un satellite et à l’envoyer à la JAXA, laquelle l’enverra ensuite à l’International Space Station, à ses frais. De là, le petit satellite sera alors lancé dans l’espace. Ainsi, Maurice pourra contrôler le satellite à partir de sa “Ground Station”.

Cependant, la construction du satellite n’aura pas été une mince affaire. Sa construction est d’ailleurs prise en charge par AAC Clyde Space, à Glasgow, avec le concours toutefois de l’équipe d’Aerospace Engineers du MRIC, dit-il. Ce satellite, en dépit de sa petite taille (10 cm2), intègre des charges utiles nécessaires à l’exécution des rôles pour lesquels il sera envoyé en orbite. « Des cartes électroniques sophistiquées sont installées sans oublier les mécanismes complexes associés avant que le satellite ne soit envoyé dans l’espace », fait-il ressortir.

Avant que le satellite ne soit envoyé dans l’espace, différents tests s’imposent. La raison, selon le Dr Vikram Bissonauth, est de donner l’assurance à JAXA que l’objet respecte les normes de sécurité. « Nous passons par une safety assessment review qui est très stricte », dit-il. Et d’ajouter que le satellite subira différents tests et conditions spatiales dans l’espace. Une fois les tests terminés, un rapport est fait par l’instance britannique. Des derniers tests sont effectués en ce moment. Ces tests terminés, le satellite sera livré au Japon à la fin de septembre. Une fois au Japon, des tests complémentaires seront effectués effectués pour assurer le fonctionnement du satellite avant de l’intégrer dans le “deployer” J-SSOD, qui sera ensuite achminé vers le module Kibo de l’ISS.

Mais avant l’envoi de ce satellite dans l’espace, le Dr Vikram Bissonauth fait ressortir que le satellite doit être dument enregistré auprès de l’International Telecommunications Union (ITU) et de l’International Amateur Radio Union (IARU). Cette procédure est primordiale afin de s’assurer que le satellite ait sa propre fréquence radio d’émission de signaux vers la terre. Ce processus d’enregistrement a pris plus de six mois car il fallait s’assurer que la fréquence proposée ne soit pas en conflit avec d’autres satellites. « Nous avons passé toute cette étape », assure-t-il. En ce moment, le satellite a déjà son indicatif radio et la “Ground Station” du MRIC est aussi enregistrée auprès de l’ICTA.

L’envoi du satellite par les Japonais se fera grâce à un protocole établi par JAXA vers l’International Space Station. « Un “slot” est réservé pour le satellite mauricien sur le vol vers l’ISS prévu en février 2021. Mais en ce moment, aucune promesse n’est faite que le satellite sera envoyé en février. Il se pourrait que l’engin soit aussi envoyé au mois de mars », fait-il ressortir. Une fois parti de la terre, l’objet restera un mois dans l’ISS et par la suite, une date spécifique sera donnée à Maurice pour son déploiement en orbite. En effet, ce sera un astronaute qui lancera le satellite dans l’espace par un module nommé le J-SSOD. Après 45 minutes dans l’espace, le satellite déploiera ses panneaux solaires et commencera à recharger ses batteries.

Après un certain temps, une communication sera établie avec le satellite pour constater son “health status”. Cette étape est importante pour voir le fonctionnement des installations du satellite en orbite. Toutes ces manœuvres seront faites via la Ground Station qui sera fournie par AAC-Clyde Space et installée dans les locaux de MRIC à Ebene. Le Ground Station comprend des équipements sophistiqués utilisés entre autres, pour le calibrage et la communication avec le satellite en orbite. Il est envisagé que le satellite envoie ses premières images environ un mois après son déploiement dans l’espace, une fois toutes les procédures de calibrage post-déploiement soient terminés.

« Le déploiement dans l’espace se fait par un astronaute de l’ISS. Ce dernier poussera le satellite via un module spécial sur l’ISS. Une fois dans l’espace, le satellite va virevolter pendant 45 minutes avant que les panneaux solaires et son l’antenne soient déployés. Ce n’est qu’après ces étapes, que le satellite pourra se stabiliser », explique Faraaz Shamutally.

Suivi à la trace

Selon lui, les coordonnées de déploiement spécifiées par JAXA couplées à une série de calculs qui sera fait par les ingénieurs du MRIC permettront de savoir quand le satellite passera sur Maurice. Une fois ces paramètres établis, le MRIC commencera à collecter les données du satellite en étape et suivant une méthodologie minutieuse.  La caméra prendra des photos et les stockera sur son “onboard computer” et ce sont les ingénieurs à Maurice qui devront télécharger les photos. Il est attendu que le satellite prenne jusqu’à une à deux images de la région autour de Maurice par semaine. Il ressort que le Ground station de la MRIC à Ebene sera en communication avec le satellite entre quatre à cinq fois  par jour quand celui-ci passera sur Maurice. Il est estimé que le temps maximum de contact avec le satellite à chaque passe sera de dix minutes. « Mais tout dépendra de sa position par rapport à la terre. Mais une réalité qu’il ne faut pas écarter, c’est que le satellite pourra passer au milieu de la nuit et les images qui seront prises seront automatiquement noires. Ce petit satellite prendra des photos. Mais les photos ne seront pas d’une résolution extraordinaire », révèle le chercheur. Selon les ingénieurs, le satellite passera  entre quatre à cinq fois sur Maurice par jour. « On s’attend à avoir deux à trois images par semaine », dit-il.

Faraaz Shamutally et Ziyaad Soreefan ont aussi bénéficié d’une formation pour mener à bien ce projet. D’autre part, avant qu’ils ne soient appelés à communiquer avec le satellite mauricien, Ziyaad Soreefan et Faraaz Shamutally commencent à explorer la manière dont les données satellitaires déjà disponibles et procurées par les satellites Sentinels pourraient être exploitées pour tirer des informations utiles pour Maurice. Durant le confinement, ces deux ingénieurs ont décortiqué les algorithmes complexes et ont appris à utiliser les logiciels disponibles sur le site de la European Space Agency leur permettant de traiter les données brutes des Satellites Sentinels afin de pouvoir compiler des images satellitaires parlantes de Maurice et les régions avoisinantes.  « Grâce à cette initiative, nous avons eu des images similaires que la presse internationale nous a données sur le déversement d’huile de Wakashio», avance leur Research Coordinator.

Avoir de grandes attentes pour ce projet mauricien serait poussé trop loin. Le Dr Vickram Bissonauth ne cache pas que ce projet a ses limites. Le satellite sera lancé à entre 400 et 420 km de la terre. Le risque de ne pas avoir les images claires à cause de la pluie ou des nuages est toujours présent. « Mais ce projet a aussi permis de tirer de précieuses leçons. Pour la première fois de notre histoire on aura la possibilité d’envoyer un objet dans l’espace », dit-il alors que des experts prévoyaient Maurice comme un pays voué à l’échec. « 52 ans plus tard, nous aspirons mettre notre premier satellite dans l’espace », fait-il ressortir. Le type d’image que le satellite va offrir dans sa catégorie de satellite ne peut pas être comparé avec des satellites qui sont plus pointus.

Mais le Dr Vickram Bissonauth avance que la caméra installée permettra d’avoir une résolution maximale d’environ 225 mètres. « Dans sa catégorie, la caméra installée sur le MIR-SAT1 est l’une des meilleurs que nous puissions avoir, même si sa résolution est d’environ 225 mètres. Nos images ne seront pas aussi ‘crystal clear’ mais cela ne diminue en rien l’effort que nous avons fourni. Ce satellite ne nous offrira pas des photos de haute résolution. Il faut qu’on soit clair sur ce sujet. »

L’installation d’une caméra nécessite toute une panoplie d’algorithmes et de logiciels pour qu’il y ait une coordination, avance le Research Coordinator. Pour lui, le plus objectif est d’envoyer un satellite dans l’espace alors que personne n’y a pensé depuis les dernières 50 ans. « Nous apprenons les ABC dans ce domaine car avant cette initiative on ne connaissait rien. En envoyant un objet dans l’espace, on se fait remarquer par la communauté internationale qu’en tant que petit État insulaire que nous avons un satellite. Cela nous ouvre des possibilités de collaborations et de recherches », dit-il.

Ce satellite permet d’envoyer des messages à différentes Ground Station. L’AAS Clyde Space offrira des équipements sophistiqués qui seront installés dans la Ground Station qui se situera au sixième étage du bâtiment Ebène Heights. « Cette station sera connectée à une antenne de 3,5 mètres de diamètre qui nous permettra de recevoir des signaux de notre satellite mais aussi d’autres satellites qui fonctionnent sur les mêmes bandes de radio amateur. Notre satellite va émettre sur les bandes des radios amateurs. C’est la raison pour laquelle on s’est enregistrée avec l’IARU. Toutes les radios amatrices savent que Maurice a un satellite et qui émet des fréquences. Notre Ground Station a une Radio Amateur Licence qui nous permettra d’opérer. Les deux ingénieurs ont aussi leur licence de radio amateur », souligné le Dr Vikram Bissonauth.

« Notre objectif est de regarder les secteurs émergents qui peuvent devenir un pilier économique de notre pays. Nous sommes tombés sir un filon à explorer et si nous savons bien jouer nos cartes, cela nous donnera un “boost” extraordinaire à ce qui a trait à l’innovation, la recherche et la technologie », dit-il. Mais le plus important, pour lui, est de savoir comment utiliser les informations. « Je ne dis pas que le satellite mauricien résoudra les problèmes de Maurice. Le résultat peut être ne pas parlant mais l’expérience et les leçons tirées sont énormes », mentionne cet expert. Grâce à ce projet, il est optimiste que les élèves se tourneront vers des études spatiales.

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Lancement : « Un moment historique »

« Ce sera un moment historique pour nous », explique le Dr Vikram Bissonauth. En ce moment, le MRIC travaille sur un Public Relations Committee pour ce lancement. Le satellite a aussi un site Web où tous les détails seront fournis. Idéalement, on aurait dû aller le “hand deliver”, mais à cause de la COVID-19, on ne pourra pas le faire. « Ce serait un premier grand pas », considère le Research Assistant étant donné que ce projet est une première pour Maurice. Il semblerait que le satellite sera envoyé au Japon par d’autres prestataires de services.

Le soutien du gouvernement est obtenu et un High Level Steering Committee a été mis en place. Présidé précédemment par Yogida Sawmynaden lorsqu’il était ministre des TIC, il a été remplacé par Deepak Balgobin qui assure maintenant la présidence. Ce comité s’est rencontré à six reprises. L’ICTA a offert son aide pour l’enregistrement du satellite. La Mauritius Amateur Radio Society a aussi offert son aide. « Ce comité nous aide dans nos difficultés et il est au courant de différentes étapes. » Par ailleurs, l’équipe se réjouit d’avoir été remarquée sur la scène internationale. « L’ONUSA nous prend comme “One Space Faring Countries” où nous avons l’opportunité de contribuer aux Space Laws. Nous sommes tout à fait dans un nouveau créneau et chaque pays qui a un objet dans l’espace est appelé à contribuer. Pourquoi ne pas avoir un groupe de petits États insulaires dans l’espace ? Une suggestion a d’ailleurs été faite par l’équipe à ce sujet. »

Grâce à ce satellite, l’équipe du MRIC souhaite développer le potentiel aérospatial à Maurice. « On a fait un petit effort et pour l’amener jusqu’au Côte-d’Or Techno Park, nous faisons appel aux universitaires et au secteur privé », demande l’équipe. De ce fait, un travail sera effectué sur une initiative spatiale à long terme pour le pays. « Cela se basera sur quatre points principaux dont le renforcement des capacités. Aujourd’hui nous savons ce qu’il faut pour construire un satellite. Nous connaissons toutes les étapes et nous avons appris ces leçons », dit-il. Et l’un d’eux est le développement des capacités. « À ce sujet, une phase pilote a commencé et les élèves de deux collèges, le Hassen Raffa SSS et le Forest-Side SSS Girls, ont été formés. » Les jeunes ont appris à construire leur propre antenne. Cela fait, ils ont pu télécharger des images des satellites des satellites ouverts.

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Une nouvelle ère commence

Selon l’équipe du MRIC, le Cube Sat est intéressant vu son ampleur. « Ces satellites sont modernes et sophistiqués », dit-elle. En effet, pour l’équipe, nous sommes dans la New Space Era et on envoie de petits satellites pour avoir plus de données avec moins de dépenses. « C’est le moment d’entrer dans ce domaine et c’est pourquoi il n’y a pas un écart de six mois entre les pays. Les pays africains y sont entrés alors qu’il y a 20 ans ces pays n’avaient pas à manger. Ils investissent dans les satellites et ont fait développer leurs économies grâce aux satellites », disent ces experts.

Le satellite a une durée de vie d’un à deux ans et dépendra du soleil pour sa longévité. Au terme de son “lifetime”, il quittera le “Low Earth Orbit”, se retrouvera dans l’atmosphère et se désintégrera. Selon les experts, le risque de collision est minime même s’il y a de nombreux petits satellites. Par ailleurs, les craintes de radiation du soleil qui peuvent affecter le satellite sont présentes. La matière avec laquelle le satellite a été conçu, dit-on, est adaptée à l’espace.

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