INTERVIEW : Nous avons vu des gens en larmes, a déclaré Brian Glover

Le rapport intérimaire de l’Equal Opportunities Commission (EOC) a été rendu public hier. Au total, 352 cas ont été traités au cours des six premiers mois d’opération de la Commission. Brian Glover, le président, revient sur ce parcours et évoque les défis à relever pour une société plus juste. Il parle également de la dimension « sociale » de sa mission, et évoque la volonté politique nécessaire pour l’intégration des principes fondamentaux de l’égalité des chances.
Sur 352 cas enregistrés, sept seulement ont été résolus à ce jour. Cela peut donner l’impression que la Commission ne parvient pas à résoudre les conflits…
D’abord, il convient de rappeler que plus de 40 % des plaintes étaient d’emblée hors jeu car elles ne cadraient pas dans les conditions requises par la loi. Comme vous le savez, tout plaignant doit d’abord établir que la discrimination subie est sur la base de son statut, c’est-à-dire par rapport à une caractéristique qui lui est propre ou qui lui est imputée par le discriminateur mis en cause. Pour le moment la loi prévoit 12 définitions du statut. Et si le plaignant ne se reconnaît pas dans une des 12 définitions, il n’y a rien que la Commission puisse faire. Voilà pourquoi nous pensons qu’il est souhaitable d’élargir la définition du statut du plaignant.
Ensuite, la loi contient aussi des dispositions prescriptives. Je m’explique : l’acte de discrimination allégué doit avoir eu lieu dans les 12 mois qui précèdent la mise en application du texte de loi. Comme c’est le 1er janvier 2012, l’acte de discrimination ne peut être avant le 1er janvier 2011. Pas mal de cas étaient ainsi hors du délai de prescription.
De plus, il ne faut pas perdre de vue qu’un bon nombre de plaintes ont été classées sans suite, et ce, après enquêtes et des séries d’audiences. Beaucoup de dossiers sont encore en cours. Et il y a un dossier qui ira devant le Equal Opportunities Tribunal. La sensibilité des dossiers que l’on traite requiert de la patience, du tact et beaucoup de psychologie. La mise en application d’un texte de loi sans humanisme est une opération dangereuse pour la justice. Il ne faut jamais perdre de vue qu’un axe prioritaire de la mission de la Commission consiste à promouvoir les bonnes relations entre personnes de différents statuts. Cela demande beaucoup de psychologie et une justice de coeur. Donner le temps au temps n’est donc pas une tare dans un contexte pareil. Dans bien de cas nous avons vu des gens en larmes… D’autre fois, il a fallu ramener des hystériques à la raison. Devant une cour de justice, le magistrat ou le juge fait intervenir un officier de la cour ou même un policier. Nou pa kapav fer sa nou. Nou travay enn lott. Sans compter ceux qui au bord du gouffre démontrent des signes de dépression chronique. On n’a pas le droit de ne pas les écouter, de les laisser vider leur sac. Le “healing of hearts process” est une nécessité à laquelle nous ne pourrons jamais nous désengager. Les conflits doivent se résoudre dans une win-win situation et non dans l’amertume, le regret et la colère. Sinon nous faillirions à notre devoir de promouvoir les bonnes relations. Finalement, lorsqu’on parle de sept cas “conciliated”, l’on parle de cas qui font l’objet d’un accord enregistré auprès du Tribunal. Mais il y a beaucoup de cas où les parties ont trouvé des solutions à l’amiable grâce à notre intervention.
Lorsqu’on analyse le nombre de plaintes enregistrées au fil des mois, on note une baisse certaine, passant de 93 en mai à 20 en octobre. Ne craignez-vous pas que l’engouement autour de l’EOC ne s’estompe ?
Cette baisse est compréhensible. D’abord, nombreux sont les plaignants qui attendaient derrière la porte, qui étaient impatients de voir l’avènement de cette Commission et qui ont défoncé les “flood gates” aussitôt qu’ils ont su que la Commission était en opération. L’on a alors assisté à un véritable déferlement. Après cette première vague il était normal que les choses se stabilisent. Puis, nous pensons que notre campagne de sensibilisation paye. Primo, l’existence même de la Commission et le travail qu’elle a entamé ont sans doute eu un effet dissuasif sur les discriminateurs potentiels. Secundo, le but de cette Commission ce n’est pas de régler les choses dans l’adversité. Donc avoir moins de conflits est un très bon signe.
Le travail de la Commission ne se limite pas à gérer des conflits et à enquêter sur les gens. Notre mission est sociale. La conscientisation et l’éducation demeurent des mots clés. La mise en place de codes de conduite pour une politique basée sur l’égalité des chances est un grand chantier. Ce sont ces mesures qui changeront les mentalités et casseront les mauvaises manières. Ce n’est certainement pas savoir qui a gagné ou qui a perdu un cas qui fera de notre société une meilleure société. Le sensationnel ne doit jamais prendre le pas sur la réflexion profonde et le travail de base. L’une relève d’une sensation à court terme tout à fait stérile alors que l’autre est productive à long terme. Je préfère cette dernière approche. C’est comme ça que nous arriverons à progresser et à penser différemment. Qui gagne ou perd des cas ne m’intéresse pas. Je veux que mon pays gagne à long terme. Je travaillerai toujours dans ce sens et pour cela.
Le rapport relève que les femmes sont moins nombreuses à porter plainte. Comment comptez-vous les encourager à venir vers l’EOC ?
Il nous faut d’abord comprendre le pourquoi de cette statistique. Ne me dites pas que les femmes sont moins discriminées ; je n’en croirais pas un mot. Après de nombreux ateliers de travail avec les diverses associations féminines, je pense que cette situation est essentiellement due au fait que la vraie émancipation de la femme, dans le sens large du terme, est encore à venir.
Nous vivons dans une société hautement patriarcale. Lorsque j’ai procédé au lancement du SADC Barometer pour Gender Links j’ai compris qu’il y avait encore un énorme travail à abattre avant que la femme trouve la place qu’elle mérite sur la base de son talent, sa compétence et son désir de travailler. De plus, le concept de “equal pay for equal work” est encore embryonnaire. La conscientisation et l’éducation de tous sont primordiales pour un changement de mentalités là aussi. L’EOC a toujours répondu présent et je me suis montré très proactif auprès de l’Association des Femmes Entrepreneurs, de Women in Network, de Gender Links, du Women National Council, entre autres. En travaillant étroitement avec ces institutions, nous devrons nous battre pour que ce qui est encore un mythe devienne une réalité : l’égalité des sexes et la chance pour tous.
Que faites-vous pour préserver la présomption d’innocence, surtout que votre travail est très médiatisé ?
Vous allez voir dans notre rapport intérimaire qu’une de nos recommandations concerne cela. Trop de plaintes sont sans fondement et parfois frivoles, voir même fausses. Il faut que les plaignants viennent avec les mains propres. Il devrait y avoir une obligation d’agir de bonne foi. Et des dispositions dissuasives doivent voir le jour. Ce n’est pas correct de balancer n’importe quoi sur n’importe qui sans pour autant être inquiété. Le “fair go principle” doit exister pour tous. Nous veillerons à cela.
Votre rapport intérimaire arrive en pleine campagne électorale. Ne craignez-vous pas qu’il soit relégué au second plan par les politiciens ?
Dans mon message d’introduction dans le rapport intérimaire de l’EOC, j’explique que l’intégration des fondamentaux de l’égalité des chances est tributaire de trois volontés essentielles : la Volonté Institutionnelle, la Volonté Populaire et la Volonté Politique. L’ordre dans lequel je place ces trois volontés n’est pas par hasard. Lorsque la population comprendra l’outil qui est entre ses mains avec la Equal Opportunities Act, elle fera sentir aux politiciens qu’ils ne pourront pas traiter à la légère cette nouvelle donne. Lorsque la Volonté Populaire sera en branle, la Volonté Politique emboîtera le pas. Il n’y a pas à sortir de là. Comme disait l’autre : le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté.
Voilà pourquoi je pense que la conscientisation populaire fera bouger les politiques. Le choix nous appartient. Notre destin est entre nos mains. Ceci étant dit, je suis confiant que les principes de l’égalité des chances transcendent les clivages politiques. Vous n’avez qu’à voir le consensus politique à l’Assemblée nationale lorsque cette loi a été passée et par la suite amendée. C’est bien sur une proposition du Leader de l’Opposition que notre institution a été dotée d’une plus grande autonomie. De plus, j’ai eu l’occasion de m’entretenir brièvement avec le Premier ministre et le leader de l’Opposition cette semaine. Et je peux vous assurer que malgré leurs emplois du temps chargés, ils ont démontré leur vif intérêt pour ce rapport intérimaire. Je n’ai aucun doute qu’ils collaboreront pleinement dans le brassage d’idées qui est vital pour une réflexion sur l’avenir de l’égalité des chances dans notre pays.
Aucune institution ne doit travailler en isolation. Toutes les suggestions constructives sont les bienvenues. Outre le président de la République, le Premier ministre et le leader de l’Opposition, tous les députés se verront remettre une copie de notre rapport à la prochaine session parlementaire la semaine prochaine. Nous avons déjà fait les arrangements pour cela.

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