INTERVIEW : Rama Sithanen, « Le grand avantage du rapport de l’Onu est qu’il force à trouver une solution »

« Nous ne pouvons nous permettre de ne rien faire », insiste Rama Sithanen, spécialiste en matière de système électoral. Pour lui, le statu quo sans remettre à jour le recensement de 1972 est impossible. De plus, estime-t-il, il est impossible de garder le best losers system, qu’il soit de huit ou quatre députés, alors qu’une personne ne déclare pas sa communauté ou une autre caractéristique. Dans l’interview accordée au Mauricien cette semaine, Rama Sithanen se livre à une analyse en profondeur du document publié par le comité des Nations unies pour les droits de l’homme et explore les différentes possibilités qui s’offrent à nos politiciens avant de faire une série de propositions. « La seule solution qui se présente devant nous consiste à évoluer vers un système électoral qui n’est pas explicitement communal en enlevant de la Constitution la classification de quatre groupes, mais il faut qu’il y ait un système qui s’assure implicitement que toutes les composantes de la nation soient représentées au parlement », dit-il.
Comment avez-vous accueilli l’avis du Comité des Nations unies sur les droits de l’homme concernant l’affaire logée par Rezistans ek Alternativ ?
Je soutiens la position de Rezistans ek Alternativ selon laquelle dans un pays démocratique on ne peut mettre une contrainte déraisonnable, subjective et arbitraire pour empêcher une personne de présenter sa candidature aux élections législatives. Il est temps d’abolir toutes les conditions, en particulier celles de nature communale, susceptibles de diviser la population pour empêcher un citoyen mauricien d’exercer ses droits que ce soit pour voter ou pour présenter sa candidature. Ceci dit, j’ai le devoir d’analyser l’avis du comité des Nations unies sur les droits de l’homme de façon objective, impartiale et indépendante.
Quelles sont vos constatations ?
Voyons ce que dit le document avant de l’interpréter. La question qui lui a été posée est très simple. Elle ne concerne ni le système électoral ni le système de best losers. Aucune question sur ces deux sujets n’a été posée. On a simplement demandé si l’obligation légale pour un candidat aux élections législatives de décliner son appartenance à une communauté est objective et raisonnable et pas arbitraire et discriminatoire. Cette question avait déjà obtenu une réponse pertinente par le juge Balancy qui avait estimé que le droit fondamental d’un individu concernant la présentation de sa candidature à une élection est beaucoup plus fort que la nécessité d’avoir des statistiques de nature communale afin de mettre en application le système de best losers. Il avait dit qu’on ne pouvait imposer des conditions pour empêcher un citoyen mauricien de présenter sa candidature à une élection. Pour sa part, le full bench de la Cour suprême, appelé à se prononcer sur cette question, avait estimé qu’il fallait nommer les best losers et que pour cela il y avait une obligation pour un candidat de déclarer son appartenance communautaire. Celui qui ne le fait pas commet une infraction légale et rend impossible la mise en oeuvre du système de best losers. Le premier met l’accent sur le droit fondamental de l’individu et l’autre insiste sur les provisions constitutionnelles concernant la nomination des meilleurs perdants. Personnellement je préfère la position du juge Balancy. Par contre, l’avis du comité des droits de l’homme souligne l’absence d’une justification adéquate de l’État mauricien pour expliquer la raison pour laquelle les recensements réalisés après 1972 qui prennent en compte les quatre communautés prévues dans la Constitution n’ont pas été réactualisés jusqu’aujourd’hui. Ensuite, il souligne que le fait de demander aux candidats aux législatives de décliner leur communauté alors que le dernier recensement qui tient compte l’appartenance communautaire date de 1972 « would appear to be arbitrary and discriminatory ». Nous savons que nos amis de Rezistans ek Alternativ sont contre le système de best losers mais il faut reconnaître qu’ils n’ont pas demandé aux sages du comité des droits de l’homme se prononcer sur cette question. D’ailleurs, le paragraphe 9,5 du pronouncement observe que « the authors submit that they do not dispute the constitutional status of the “best loser system” »…
Êtes-vous satisfait des réponses données par le comité des droits de l’homme aux interrogations mauriciennes ?
Je ne suis pas certain que les sages ont répondu aux questions qui leur ont été posées. Le juge Balancy et la Cour suprême l’ont fait. Personnellement je ne vois pas le lien entre l’obligation pour un candidat de décliner sa communauté et le fait que le recensement de 1972 n’ait pas été actualisé. Par contre, si on avait posé la question de savoir s’il est arbitraire d’allouer les huit sièges de best losers en utilisant les statistiques de 1972, à ce moment leur réponse aurait été correcte.
J’estime que l’obligation de décliner sa communauté a très peu à faire avec le fait que nous n’ayons pas actualisé le recensement de 1972. Par contre, l’attribution des huit sièges a beaucoup à faire avec le fait que le recensement n’a pas été actualisé parce que le choix est arbitraire. Si l’État mauricien avait donné une explication sur les raisons pour lesquelles le recensement n’a pas été actualisé et fait comprendre que la loi ne permettait pas de le faire, est-ce que le comité aurait donné un avis contraire ? Est-ce qu’il aurait dit que l’utilisation des communautés aux élections générales n’est pas arbitraire et discriminatoire ?
La confusion réside dans le fait de savoir si ce sont les bonnes questions qui ont été posées et si c’est le cas, est-ce qu’on a obtenu les bonnes réponses.
Le comité propose des remèdes, qu’en pensez-vous ?
D’après l’avis du comité des droits de l’homme il y a seulement trois possibilités. En premier lieu, l’État a une obligation de s’assurer que les violations des droits des candidats ne se répètent pas. Deuxièmement, l’État a une obligation dans un délai de 180 jours d’indiquer les remèdes « effective and enforceable » qu’il apportera pour s’assurer que les violations des principes définis par le comité des droits de l’homme ne se répètent pas. Il propose par conséquent comme remède soit l’actualisation du recensement de 1972, soit de décider s’il faut continuer avec le “community based electoral system”.
Quelles possibilités auriez-vous proposé ?
Il y a trois possibilités. Soit on envoie sur les roses les mesures précisées ; soit nous maintenons le système et remettons le recensement à jour ou trouvons une autre formule pour classifier la population ; soit nous pouvons envisager un système électoral qui ne soit pas basé sur la communauté ou une autre classification.
Il sera difficile pour un pays comme Maurice de venir dire que nous n’avons aucune obligation légale ou morale pour plusieurs raisons. Lorsque nous avons signé les conventions nous nous sommes engagés à respecter toutes ses clauses De plus, nous avons signé deux protocoles dans lesquels nous acceptons la compétence de ce comité pour recevoir une communication et dire ce qu’il pense de cette communication. Nous avons également accepté que si le comité constate qu’il y a eu violation contre nos citoyens, des mesures correctives soient apportées. En 1981, les citoyennes mauriciennes qui ont épousé des étrangers avaient considéré que le droit concernant leur statut de résidence avait été violé. Si un Mauricien épousait une étrangère il avait certains droits, par contre si une Mauricienne épousait un étranger elle n’avait aucun droit. Un remède a été apporté à la suite d’une remarque du comité des droits de l’homme. Il est évident que lors de l’examen du dossier de Maurice par les pairs, il aura une campagne de “name and shame” contre le pays. De plus, notre crédibilité sur le plan international prendra un mauvais coup. Donc le statu quo n’est pas possible. Doing nothing is not an option à moins qu’on accepte d’être sur le banc des accusés au niveau international.
Ayant dit cela, il faut nous assurer que “the best” ne devienne pas un “enemy of the good”. Par conséquent si nous voulons faire quelque chose il ne nous reste que deux choix. L’actualisation du recensement de 1972 est ni effective ni “enforceable”. Si c’est le cas nous n’avons d’autre choix que d’évoluer vers un système électoral qui n’est pas basé sur les communautés mais qui « ensure that the diversity and plurality of the country is reflected in parliament ».
Lorsque j’ai déposé devant le comité Sachs en 2001, je lui ai dit trois choses et deux se sont produites. Je lui ai dit qu’un jour une communauté pourra ridiculiser le système de best losers qui est basé sur un mélange d’ethnicité et de religion. J’évoque cette possibilité dans ma thèse de doctorat. J’avais même prédit qu’un jour un sino-mauricien se présentera comme population générale et pervertira le système. J’avais aussi dit que l’utilisation du recensement de 1972 comme base est arbitraire parce que la composition de la population a pu subir des changements. Ainsi d’après le recensement de 1972 la population sino-mauricienne représente 2,86 % des Mauriciens. Si avec temps elle a atteint 3 %, Aline Wong aurait été le troisième best loser et aurait été députée et peut-être ministre. J’avais aussi dit qu’un jour un Mauricien ira en cour ou devant une instance internationale pour dire que la classification de la population mauricienne en quatre communautés est arbitraire, discriminatoire, subjective et déraisonnable. La classification de notre population en quatre groupes est plus discriminatoire, plus arbitraire, plus déraisonnable et plus subjective que le fait que nous n’ayons pas actualisé le recensement de 1972.
Pourquoi ?
Même si vous n’actualisez pas le recensement de 1972 vous disposez d’une base pour les quatre groupes. Par contre, lorsque vous n’avez pas reconnu l’identité de bon nombre de Mauriciens, continuer à refuser leur identité est plus discriminatoire, plus arbitraire et plus déraisonnable. En 1959, il y avait beaucoup d’autres composantes de la population mauricienne qui avaient demandé une identité séparée, parmi les franco-mauriciens, les indo-Chrétiens, les Tamouls, les Télégous, les Marathis. Il faut savoir que dans chaque recensement qui a été organisé bien avant l’indépendance les définitions ont changé. Les Musulmans sont devenus une identité séparée seulement en 1962. En 1952, les Musulmans et les Hindous étaient ensemble sous l’entité hindu-mauritian pour la simple raison que les deux sont originaires de l’Inde. C’est à partir du travail effectué par le CAM qu’ils ont obtenu une entité séparée. En 1921, il y avait une classification qui s’appelait Mauricien qui était séparée du reste.
Voulez-vous dire qu’il y avait des Mauriciens et des non-Mauriciens ?
Non, il y avait des Noirs, des Blancs et des gens de couleur. Les classifications ont changé au fil des recensements. Aujourd’hui beaucoup de personnes vous diront que la réalité socio-démographiques de Maurice est inconsistante avec la classification arbitraire des quatre communautés. Le père Grégoire a déjà demandé la création d’un groupe pour les Créoles. Les Tamouls, les Télégous et les Marathis feront la même revendication. Que ferons-nous de cette espèce qui s’appelle Mauricien ? Que ferons-nous des athées, des métis, de ceux issus de mariages mixtes et qui ont également des enfants ? Si nous prenons une classification sur la base de la religion, il y a au moins 14 groupes. C’est pourquoi je dis que je ne comprends pas comment cela peut être “effective and enforceable”. Soit nous ouvrons une boîte de pandore ou une boîte de “worms and snakes”. Comme dit le dicton “never start something that you are not able to stop”.
La façon arbitraire avec laquelle nous avons défini les quatre communautés a pénalisé les autres communautés pour obtenir une représentation politique, parlementaire et des ministres. Le fait que nos concitoyens créoles soient englobés dans la population générale a fait qu’ils ont beaucoup souffert en termes de sous-représentation au parlement. On n’a qu’à voir les résultats des élections en 1967 et 2005. Il est vrai que la classification “population générale” est un fourre-tout mais tout le monde sait quel pourcentage de ce groupe sont des Créoles. La même chose s’applique pour les Tamouls. On peut mesurer plus facilement leur représentativité. Admettons que les Tamouls représentent 8 % de la population et qu’ils avaient leur classification propres. Peut-on dire qu’on n’est pas arbitraire et discriminatoire lorsqu’une composante représentant 2,86 % de la population dispose d’une identité séparée et a la chance de pouvoir choisir son groupe communautaire alors que les autres n’ont pas les mêmes possibilités ? Si les Tamouls avaient droit à des best losers, Kadress Pillay aurait été le premier best loser et M. Parapen le quatrième. C’est le même cas pour quatre ou cinq autres communautés. Ceux qui bénéficient du système diront que ce n’est pas leur problème. C’est la raison pour laquelle je ne vois pas comment le gouvernement peut ignorer les « findings and pronouncements » du comité des droits de l’homme. Je ne vois pas pourquoi nous n’arriverons pas à leur dire quels sont les remèdes que nous proposons avans la fin du délai de 180 jours. Je ne vois pas non plus comment nous pouvons revenir au recensement de 1972. Quarante ans après, nous enverrons un très mauvais signal. La seule solution qui se présente devant nous consiste à évoluer vers un système électoral qui n’est pas explicitement communal en enlevant de la Constitution la classification de quatre groupes, mais il faut qu’il y ait un système qui s’assure implicitement que toutes les composantes de la nation soient représentées au parlement. Il est nécessaire que le nouveau système adopté soit inscrit dans la Constitution sans référence aux communautés ou religions. Le grand avantage du rapport des Nations unies est qu’il forcera les politiciens à trouver une solution. Avant ce rapport, il était possible de ne rien faire si le MMM et le Ptr n’arrivaient pas à un accord. En l’absence d’un accord électoral entre ces deux partis pour qu’il n’y ait pas de références explicites dans la Constitution concernant les communautés, il faudra aller vers la réactualisation du recensement de 1972 à moins que nous trouvions une autre base de classification qui sera acceptable devant les cours de justice et devant les instances des Nations unies et à la population mauricienne. Malheureusement je n’ai pas encore vu cela.
Avez-vous déjà fait des propositions concrètes dans le passé ?
Les propositions que j’ai faites sont encore plus appropriées parce que « doing nothing is not an option ». C’est la raison pour laquelle j’ai proposé, après avoir étudié plusieurs systèmes dans le monde, qu’il y ait un équilibre entre la nécessité d’enlever l’épine dans notre Constitution tout en assurant que nous ayons une représentation juste, adéquate et équitable de l’ensemble de la population, et que nous maintenons l’élection de soixante-deux députés. Ce n’est pas parfait mais il n’y a pas de système idéal. Il nous faut décider de ce qu’on a envie et les petites circonscriptions donnent une certaine garantie à nos compatriotes qui n’ont aucune chance d’être élus dans les autres circonscriptions. Pour rassurer ceux qui craignent qu’ils seront en difficulté, je propose qu’on ne procède pas au changement des délimitations des circonscriptions. Le “three member constituency” permet d’assurer une diversité dans les circonscriptions. Je suis contre le “one member constituency”. Je dis tout cela parce que je suis contre l’abolition des objectifs du best losers system. Ma démarche vise à protéger l’élection des candidats appartenant à des communautés minoritaires. Je propose qu’on prenne les huit sièges de best losers et qu’on les intègre dans un système de représentation proportionnelle. Nous aurons ainsi 62 élus au suffrage universel et 20 élus sur la liste proportionnelle. Je propose qu’il y ait une liste fermée. Il faut qu’il y ait des rangs (closed and rank based). La liste des candidats doit être publiée le jour du nomination day. Si la liste ne représente pas l’arc en ciel mauricien, l’électeur fera son choix. Je suis en faveur des “double candidatures”. Les candidats peuvent présenter leur candidature dans les circonscriptions tout en figurant sur la liste de la représentation proportionnelle (PR). Cela permet de protéger les minorités. Avec les sept conditions que j’ai proposées nous sommes en mesure d’avoir un parlement qui reflète l’arc en ciel et la diversité mauricienne. C’est évidemment un “self regulated incentive”. Si un parti ne présente pas une liste de candidats qui reflète l’ensemble de la population, ceux qui ne s’y retrouvent pas le laisseront tomber.
 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -