« Je pense que l’attente de la population, c’est qu’il y ait un changement. Ce changement nécessite obligatoirement qu’il y ait une nouvelle personne au pouvoir, avec de nouvelles idées et une dynamique plus proche de la génération active – ceux nés dans les années 80, 90 » déclare le Legal Adviser et négociateur syndical, Ivor Tan Yan. 2024, dit-il, est une année où « tout le monde sait qu’il y aura la possibilité de changer les choses » et pour lui « les 70% des indécis aujourd’hui ne souhaitent revoir ni Navin ni Pravind au pouvoir ». Il martèle que « nous ne vivons pas dans un pays où l’État de droit s’exerce ». Commentant le projet de loi sur le financement politique, le négociateur y voit un « Eyewash à la veille des élections. »
Votre regard sur cette année électorale ?
C’est une année où tout le monde sait qu’il y aura la possibilité de changer les choses. Malheureusement, pour ma part, j’observe que les courants conservateurs du pays résistent au désir de changement que la population a clairement exprimé à plusieurs reprises, notamment le 20 août 2020 et le 12 septembre 2020.
Je pense que ces dates ont été le départ de nombreux mouvements sociaux et réactions populaires vis-à-vis du style de gouvernance que le pays connaît depuis son indépendance ; des actions caractérisées par une autorité et une ignorance absolue des attentes de la population, lesquelles se sont accentuées ces dernières années et ces derniers mois.
Il y a eu clairement l’utilisation de moyens de pression sur des fonctionnaires ou des personnes qui ont des proches travaillant dans une compagnie appartenant à l’État. Des moyens de pression pernicieux qui sont très dommageables pour notre démocratie.
Il y a ainsi presque la moitié de la population qui refuse de prendre le risque de s’exprimer politiquement ; et cela dans un contexte où les médias dans leur ensemble semblent avoir déjà décidé qui devrait être l’adversaire du régime en place.
Comme si cela ne suffisait pas que Pravind Jugnauth eût désigné son adversaire. Depuis plusieurs années, ce dernier a déjà désigné Navin Ramgoolam comme son adversaire. C’est étrange que certains milieux continuent de soutenir l’option Navin Ramgoolam alors que par deux fois la population l’a exclu du pouvoir par les urnes. D’ailleurs, lui-même il a insinué qu’il y avait eu des manipulations mais n’a pas été au bout de sa démarche alors que personnellement, j’ai un cas constitutionnel contre la manière dont les élections se sont déroulées en 2019 et l’affaire se poursuit.
Vous pensez qu’une troisième force a ses chances pour ces législatives ?
Je pense que l’attente de la population, c’est qu’il y ait un changement. Ce changement nécessite obligatoirement qu’il y ait une nouvelle personne au pouvoir, avec de nouvelles idées et une dynamique plus proche de la génération active (ceux nés dans les années 80, 90). Je pense que malheureusement, on ne fait pas écho de cette attente de la population. Finalement, c’est très préjudiciable car cela enferme la population dans un désespoir.
Aujourd’hui, il est important de rappeler que nous ne vivons pas dans un pays où l’État de droit s’exerce. Récemment, nous avons appris un scandale concernant le commissaire de police, Anil Kumar Dip, et pas de réaction à ce jour du Premier ministre, qui est le ministre de l’Intérieur. Je passe sur tous les autres scandales car si nous devons faire une liste…
En tant qu’influenceur politique sur les réseaux sociaux, je peux dire qu’il y a des manipulations qui sont faites sur Facebook pour réduire le réseau que nous pouvons toucher à travers nos publications. C’est très mauvais pour notre démocratie.
Serez-vous candidat aux élections générales ?
Bien sûr, car il faut proposer du changement et je suis dans cette mouvance de changement depuis 2014. Je n’ai pas changé de ligne. Bien sûr, pour changer le système, il faut entrer dans les manettes du pouvoir et agir différemment.
Quels combats mèneriez-vous en priorité pour la société mauricienne si vous parveniez au pouvoir ?
La première des choses qu’il faut absolument rétablir, c’est le pouvoir d’achat des Mauriciens en favorisant tous les produits locaux ; envisager d’enlever ou de réduire la TVA sur une centaine de produits. Aujourd’hui, près de 70% des revenus de l’État proviennent de la TVA et de 2014 à ce jour, ces revenus ont augmenté de plus de 50%.
Ensuite, adopter une politique monétaire qui va stabiliser la roupie vis-à-vis du dollar américain de manière à permettre à nos importateurs d’avoir un calendrier de commandes où ils n’exposent pas leur budget en fonction du taux de cette devise. Il s’agit d’un bien-être immédiat pour toute la population.
L’État ne peut continuer à utiliser la population comme une vache à lait. Il y a d’autres moyens pour avoir des revenus. Par ailleurs, agrandir le Bureau de l’Audit pour que le travail soit permanent sur les ministères et les corps qui en dépendent parce qu’on ne peut continuer à se priver de l’Audit et de ses recommandations alors qu’eux savent où se trouve le gaspillage. Rien que là, nous pouvons récupérer facilement Rs 50 milliards.
D’autre part, nous avons une nécessité de revoir au niveau du ministère du Travail les Remuneration Orders ou même en faire pour certains secteurs (manufacture, tourisme, agriculture, etc.) où aujourd’hui, avec la hausse du salaire minimum, nous ne pouvons continuer sans barème de rémunération minimal. Et, bien sûr, nous devons créer de nouveaux secteurs économiques.
À ce propos, les lecteurs peuvent se référer à nos propositions dans notre programme et la publication de notre budget alternatif pour redresser et remettre sur les rails une économie mauricienne qui, pour l’instant, plonge dans les abîmes de la faillite.
Au niveau de Linion Moris, nous reconnaîtrons et établirons dans notre Constitution le droit des animaux à être respectés et à être traités dignement. Nous mettrons aussi dans la Constitution les Digital Rights. Actuellement, l’État récolte des données biométriques des citoyens. Nous, nous mettrons en place dans notre Constitution les Digital Rights.
Vous êtes Legal Adviser et aussi négociateur syndical. Que retenez-vous du budget au niveau des mesures pour le monde du travail ?
Ce que les gens retiennent de ce budget, c’est la distribution d’argent sans aucune mesure pour réduire l’inflation comme la baisse de la TVA ou de stabilisation de la roupie. S’agissant du travail, il y a énormément de travailleurs qui sont aujourd’hui obligés d’avoir deux boulots pour pouvoir joindre les deux bouts.
Malheureusement, aujourd’hui, nous mettons les Mauriciens en compétition avec les travailleurs étrangers sachant les conditions dans lesquelles ces derniers sont traités et surtout rémunérés. C’est un traitement comparable à celui des travailleurs engagés. Cela réduit les possibilités pour les Mauriciens les moins instruits.
L’État déverse à ce moment d’énormes aides sociales dans un but absolument électoraliste et n’ayant pas l’impact sur notre économie. Cela implique que notre argent est versé aux travailleurs étrangers qui repartent en devise vers l’étranger. Le gouvernement a favorisé une politique de la fuite de nos devises.
Concernant les artistes, rien n’a été fait pour les artistes. Il y a eu beaucoup de déclarations d’intention mais au fond il n’y a rien. Avant 2020, les artistes qui travaillaient pour des hôtels, restaurants et pubs, avaient soit le statut de travailleur à temps plein ou à temps partiel. Avec le confinement, ces travailleurs ont été obligés d’accepter le statut de Self-Employed pour recevoir une maigre allocation. Pour qu’ensuite, en 2023, quand la Status of Artist Act a été votée, ils redeviennent des ‘travailleurs’. Pourtant, la question de leur rémunération n’a toujours pas été examinée. Le ministère des Arts et celui du Travail auraient dû collaborer pour amener une proposition.
Aujourd’hui, il n’y a que certains artistes internationaux, qui viennent notamment d’Asie, qui peuvent facilement faire des concerts alors que les artistes locaux ou d’autres invités par des artistes ou producteurs locaux ne sont pas en mesure de présenter leur spectacle. Il n’y a rien donc qui a été fait à ce niveau et les mesures budgétaires réduisent l’accès au droit des travailleurs de vivre dignement.
Que pensez-vous du projet de loi sur le financement des partis politiques ?
Je pense que ni le PTr et ses alliés ni le gouvernement ne souhaitent cela parce qu’ils sont déjà largement financés. Tout cela a été largement rendu public par des déclarations à l’Assemblée nationale ou par ceux qui finançaient eux-mêmes. Il s’agit là de centaines de millions de roupies.
Actuellement, le business de singes, troisième exportateur de l’île, finance à hauteur de milliards les partis politiques, ce qui leur permet de rester en place. Donc, je ne vois pas comment et pourquoi ils viendraient avec une mesure pour revoir le financement des partis politiques.
La moindre des choses déjà, serait de revoir les barèmes, circonscription par circonscription. Pourquoi le Premier ministre d’ailleurs était inquiété aux dernières élections ? Parce qu’il aurait dépassé les barèmes et qu’il aurait ‘filé’ un faux affidavit par rapport à ses comptes de campagne. Au moins, ces barèmes auraient dû être revus à la hausse car avec l’inflation, nous ne pouvons financer une campagne à Rs 300 000 à mon humble avis.
Je pense qu’il n’y a pas de réelle volonté politique de la part des partis historiques du pays à changer les choses. Ce n’est que du Eyewash à la veille des élections… Quand, au fond, ils sont d’accord pour ne rien changer en ce qu’il s’agit des règles électorales. Il y a eu un redécoupage électoral. A-t-on entendu l’opposition parlementaire s’exprimer contre ? Non. Pourtant, cela aura un impact sur les résultats des élections.
Un mot de la fin ?
Je pense que nous aurons une campagne électorale éclair, que le gouvernement donnera très peu de temps à ses adversaires pour se déployer ; que le MSM sèmera autant d’argent que possible car il est clair que 70% des indécis aujourd’hui ne souhaite revoir ni Navin ni Pravind au pouvoir.