J’adore lire

UMAR TIMOL

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J’adore lire. Cette passion est une maladie dont on ne peut guérir. Elle est en moi depuis toujours. Elle suscite un incessant et urgent besoin de livres. Toujours lire. Un livre, puis un autre, puis encore un autre et ainsi de suite. Toujours cette faim, cette soif, que rien ne peut apaiser. Je lis, entre autres, parce que la lecture est une promesse, celle d’oblitérer le monde tangible pour celui de l’imaginaire, quand vous pénétrez dans un livre vous accédez à l’ailleurs, vous n’êtes plus dans votre corps, vous ne savez même plus où vous êtes, ce que vous êtes, vous vous imprégnez de la matière des mots, vous êtes ici et là-bas, enfant, monstre, créature imaginaire, vous vous multipliez, vous vous démultipliez, vous êtes de tous les temps, il n’y a plus de limites, plus de frontières, le livre est liberté, une liberté que rien ne peut défaire. Je lis parce que j’aime les histoires, tout simplement. C’est une

gourmandise de l’impatience, une histoire qui se déploie avec ses soubresauts et ses inconnus, qui nous tient en haleine, qui nous donne envie d’en savoir plus, qui nous excite, nous pousse à bout, qui nous fait pleurer, rire, réfléchir, qui nous déçoit, qui nous émerveille, une histoire qui est parfois un miroir où on vient se contempler, où on se découvre, où on se perd, où on s’invente, où on s’invente une histoire qui est un tremplin vers d’autres histoires, les unes plus échevelées, fantasques, étranges que les autres. Que serait-on sans ces histoires ? Que serait la vie sans ces histoires ? Je lis parce que j’aime les mots, ils résonnent en moi, dans les abysses de mon corps, comme un scalpel qu’on insère au plus profond, qui me touche, me séduit, m’émeut. Quel est donc ce pouvoir des mots ? Quelle est donc cette alchimie des mots ? De l’encre sur du papier. Mais entre les mains d’un grand écrivain, l’écriture est souffle, poésie, musique, révélation, prière, incantation, elle a le pouvoir de vous transformer, l’écriture est l’insoumission de la beauté à l’ordre du monde. Je lis parce que je suis curieux de tout et que la lecture est un détonateur de curiosité. Tout mérite notre attention. L’histoire, les religions, l’anthropologie, les sciences et j’en passe, lire et ouvrir, une à une, toutes ces portes qui donnent sur d’autres portes, c’est s’égarer librement et joyeusement dans le labyrinthe infini du savoir, et vouloir surtout y demeurer, car on découvre tout le temps de nouvelles choses, éblouissantes pépites. Et c’est un véritable exercice d’humilité, on réalise, au bout d’un moment, qu’on ne sait rien, qu’on ne peut glaner qu’un infime fragment du savoir.

Mais cela ne nous empêche pas pour autant de perpétuer cette quête. Je lis parce que j’aime écrire, c’est recréer en soi, dans le théâtre de ses émotions, cette étrange pulsion électrique qui martèle la page, c’est être au plus proche des mots des autres, qu’on interroge, qu’on désire, qu’on jalouse. Pour pouvoir écrire, il faut lire mais pas que lire, mais manger, dévorer des livres, tous les livres, faire de leur chair succulente la chair de nos mots, transmuer les mots des autres en nos propres mots. Je lis parce que j’aime l’objet livre, la texture du papier, son parfum, livre qui vieillit élégamment, qui acquiert d’autres senteurs, fines et délicates, au fil des années, sa présence dans le temps, objet de postérité, de souvenir, comme un défi lancé, un objet que rien ne peut effacer. Je lis parce que je distille les éléments de mon être dans les livres et inversement, nos imaginaires se mêlent, nos mots s’entremêlent, il se produit une fusion, il en émerge une créature des imaginaires mêlés, qui se nourrit des mots, qui ne peut être sans les mots. Quelle est désormais la frontière entre celui qui lit et le livre ? Y a-t-il seulement une frontière ? Je lis pour dix mille autres raisons. Je ne peux les citer toutes. Mais finalement, je ne sais pas pourquoi je lis.  Je ne me l’explique pas. Ce qui est essentiel est hors du sens. Tout ce que je sais c’est que les mots assèneront de leur lumière les volutes de mon dernier souffle. On meurt à la vie mais on se perpétue dans l’imaginaire des mots, celle des autres et les nôtres. Les livres seuls nous accordent ce privilège. Le privilège de l’immortalité.

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