JAZZ : Magic Lady, fleur épanouie

Retrouver Gina Jean-Charles sur scène, au coeur du festival de jazz Ernest Wiehe, nous fait réaliser combien elle nous a manqué pendant ces quatre ou cinq dernières années, où elle a boudé la scène, préférant prendre des distances pour éviter la saturation, se consacrer à d’autres choses et se ressourcer. Samedi soir sur la scène de l’hôtel Tamarin, elle rayonnait de bonheur, offrant ses compositions et quelques standards qu’elle a su faire siens avec une magnifique assurance.
Gina Jean-Charles est arrivée sur scène, samedi dernier en première partie de Yannick Robert, avec cette coiffure en banane qui fait penser à certains chignons d’Ella Fitzgerald, dans une robe mouvante comme la mer qui ronronne à quelques mètres. L’évidence que cette artiste s’épanouit véritablement sur scène, au contact du public, frappe l’esprit, tant elle respire le bonheur d’être sur scène et communique sans cesse avec la salle et les musiciens. Chacune de ses respirations, chaque son et soupir qu’elle émet est un don aux auditeurs. Nous aurions dû pleurer des rivières et même des océans de ne pas entendre ces dernières années cette chanteuse exceptionnelle, si présente, sincère et généreuse sur scène.
Quelques jours avant, au téléphone entre deux répétitions, elle gardait cette étrange timidité mutine et charmeuse à la fois, éludant les questions trop précises et restant en demi-teinte, ne voulant pas trop en dire sur ses projets. Pourtant celle que nous avons redécouverte samedi soir peu après 20 heures, est une femme épanouie, intensément communicative, sincère jusqu’au point de s’avouer intimidée par l’idée de ce retour et de pousser un soupir de soulagement après le cap du premier morceau. Puis nous la voyons chanter et dévoiler au feeling les mille et une subtilités de sa voix, lancer ici une pointe d’humour, là une harangue, encourager ses musiciens, titiller son pianiste Jocelyn Armandine, et toujours, toujours exprimer la joie de vivre et de chanter.
Elle commence par célébrer les retrouvailles sur un Together again sentimental et heureux. Vient plus loin Mon homme, ce spécimen tellement sexy et parfait qu’il n’existe pas. Après avoir fait baver de jalousie tout l’auditoire féminin, elle révèle entre deux vers sur un ton ironique « mo pena », ou encore « dan mo rev ». Comparé aux premiers pas dans la sphère du jazz aux côtés d’Ernest Wiehe qui a révélé son exceptionnel potentiel où elle bougeait de manière répétitive et semblait encore retenir sa voix, elle se meut ici avec une extraordinaire aisance et semble littéralement irradier l’atmosphère d’une énergie nouvelle, une sorte d’élixir de jouvence hautement bénéfique.
Qu’il s’agisse de Fler mazik qu’elle a créée avec Belingo Faro, de Mon homme ou Comme disait grand-mère, ses textes demeurent d’une grande simplicité, se contentant de véhiculer quelques grands principes de vie frappés de bon sens, mais les nuances de sa voix relèvent véritablement de la poésie de haute facture. Sachant à la fois tutoyer les aigus avec suavité et légèreté et faire résonner en contrepoint ce timbre légèrement éraillé, ou même nasillard parfois, qui donne de l’assise au chant, elle joue continuellement de sa voix, en chantant tout autant qu’en parlant, sachant mouvoir le corps exactement comme il le faut pour apporter un petit plus, une nuance et exprimer gestuellement la sensualité de son chant. Les instants de scat avec même une allusion à La vie en rose à un moment, sont un délice, une sorte de miel aux couleurs d’or et aux multiples parfums, rafraîchissant et rassérénant à la fois.
Peu désireuse de quitter la scène, elle reprend en bis Cry me a river, le standard qui a marqué son entrée dans le jazz à Maurice il y a environ sept ans, subjuguant quelques musiciens professionnels. Loin de la simple reprise, cette interprétation montre à quel point cette diva sait personnaliser un morceau, se le réapproprier au point d’en faire véritablement un chant de l’océan Indien. Elle marque des pauses, fait durer le plaisir, ménage ses effets au point où l’on a effectivement envie de pleurer une rivière de bonheur. Vivement le prochain rendez-vous !

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