Jimmy Harmon : « Tous imprégnés de l’esprit de la commission Justice et Vérité »

À l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, cette semaine, Le Mauricien a rencontré Jimmy Harmon, Project Director à temps partiel au Musée intercontinental de l’Esclavage. Il parle de l’organisation d’une exposition de préfiguration, qui sera inaugurée le 23 août prochain au musée. Il rappelle à cette occasion que les promoteurs du musée sont « tous imprégnés de l’esprit de la commission Justice et Vérité », qui a établi la feuille de route menant à la création du musée. Il annonce également que ce dernier sera doté d’un comité scientifique composé de personnalités, tant locales qu’internationales. Il souligne aussi l’importance du musée dans le cadre de la société multiculturelle mauricienne et rappelle que pour l’Unesco, les musées sont des accélérateurs culturels.

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Vous occupez le poste de project director au Musée intercontinental de l’esclavage depuis l’année dernière. Pouvez-vous nous en parler ?
Je siège sur le conseil d’administration du Musée intercontinental de l’Esclavage avec d’autres collègues. Le 4 novembre de l’année dernière, le conseil d’administration m’a confié la responsabilité de développer le musée, de monter un plan d’implémentation.
Dans un premier temps, je travaille sur l’organisation d’une exposition de préfiguration, qui sera un grand rendez-vous, et dont l’ouverture est prévue le 23 août, durant laquelle le public mauricien pourra se faire une idée du contenu du musée. Tenant compte de l’ampleur du travail, je ne suis pas un Board Director et agis comme le Projet Manager de cette exposition de préfiguration.

C’est donc une responsabilité à plein-temps ?
Non. Je partage cette tâche avec mes responsabilités dans l’éducation catholique. Je passe deux jours au musée et anime des réunions virtuelles avec notre équipe.

Le musée de préfiguration est un nouveau concept. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?
Comme vous le savez, le musée est déjà ouvert. Nous avions depuis organisé une exposition temporaire. Entre-temps, une aile du musée a été restaurée et inaugurée par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, en 2021. Depuis, il y a eu de nombreuses d’activités, dont des causeries. Nous avions jusqu’ici organisé des expositions ponctuelles qui ne reflètent pas nécessairement le contenu du musée.

À ce propos, le public s’attend qu’on aborde la question de l’esclavage et ses séquelles. Dans tout musée, nous avons des artefacts. Nous aurons le plaisir d’en exposer un certain nombre en août, dont des objets archéologiques découverts à Albion, où on a découvert un cimetière d’esclaves.

Des travaux de restauration de deux ailes à l’entrée du musée sont en cours. Ils donnent l’occasion d’initier un groupe de jeunes en situation vulnérable aux techniques de restauration en utilisant les moyens pratiqués par des artisans indiens, à l’époque connus comme Arganass.

L’architecte indien Munish Pandit, connu dans le domaine du patrimoine à Maurice, et qui a beaucoup travaillé avec l’Aapravasi Ghat, supervise les travaux, qui sont financés par l’ambassade des Etats-Unis. Comme il l’a dit lui-même : « Restoring buildings is restoring memories. » Les travaux seront complétés avant le mois août prochain.

L’exposition présentera donc l’esclavage et ses séquelles, mais pas dans un discours victimisant ou misérabiliste. Ce sera davantage un discours pour montrer comment l’humanité est sortie de cette tragédie humaine. Un autre projet, connu comme Correcting the Records, est mené avec la collaboration de l’International Sites of Conscience, une organisation qui regroupe plusieurs musées et sites à vocation mémorielle dans le monde.

Nous avons présenté un projet qui pourrait être un modèle pour d’autres pays, et qui consiste à parler de ceux qui ne font aucune mention aux archives. Au Musée intercontinental de l’Esclavage, nous avons choisi de parler de la communauté rastafari. Lors de l’exposition, nous présenterons donc cette communauté, en étroite collaboration avec ses membres, avec qui nous avons eu plusieurs sessions de travail.

L’exposition va donc permettre de faire revivre la mémoire…
À propos de mémoire, le musée a organisé l’année dernière une exposition pour marquer le bicentenaire de Ratsitatane. Il y a tout un récit autour de sa personnalité. Tout ce qu’on raconte n’est pas nécessairement vrai, mais nous l’avons accepté.

Notre postulat est que même si le mythe autour de Ratsitatane n’est pas vrai, c’est ce mythe qui maintient l’histoire et qui la rend vivante. C’est le cas pour les débats autour du crâne de Ratsitatane. Les avis divergent. Il revient bien entendu aux spécialistes de donner des précisions historiques.

Vous nous parlez de l’exposition, mais où en êtes-vous avec la création du musée ?
Le musée se construit. L’exposition sera l’occasion de montrer au public ce qu’il sera. Le public aura aussi l’occasion de découvrir d’autres choses, comme le Documentation and Research Center. Par ailleurs, nous avons également institué un comité scientifique, composé d’experts mauriciens et étrangers. Nous annoncerons très bientôt sa composition finale.

Comment le musée aura-t-il une dimension intercontinentale ?
Les choses sont venues d’elles-mêmes. Par exemple, dans le cadre de l’élaboration du musée, nous avons la France, qui nous aide pour tout ce qui concerne les paramètres et les normes d’un musée. Nous travaillons surtout avec le Musée d’Aquitaine, à Bordeaux. Nous avons reçu à ce jour trois délégations composées d’experts ayant une expérience internationale. Ces missions nous ont permis d’identifier nos besoins et les ressources nécessaires.

C’est ainsi qu’on se retrouve aujourd’hui avec une équipe de quatre chercheurs à plein-temps dirigée par le Dr Tamby, une secrétaire administrative, un coordinateur technique. Nous bénéficions également de l’expertise indienne, dont celle du Dr Munish Pandit, comme expliqué plus haut L’Afrique est également présente à travers la Pr Benigna Zimba, de l’université Mondlane, au Mozambique. C’est elle qui avait travaillé sur le concept du projet intercontinental de l’esclavage dans le cadre la Commission Justice et Vérité.

Pour l’exposition, elle montera une exposition sur le thème Africa before Colonisation. Il s’agira de montrer que l’Afrique a une histoire avant l’esclavage à travers des tissus africains. Nous sommes heureux de travailler avec les États-Unis également, parce qu’en termes de musée d’esclavage, c’est l’African American Museum qui est le dernier modèle. Nous avons d’autres musées dans d’autres pays qui abordent le thème de l’esclavage. C’est ainsi que le Ghana, la Grande-Bretagne, Madagascar et l’Afrique du Sud ont exprimé leur intérêt pour nous aider. Le Japon financera l’installation de l’ascenseur.

Il y a aussi le musée de Liverpool, en Angleterre…
L’International Museum of Slavery de Liverpool est un musée de l’esclavage, mais la façon dont il présente la thématique de l’esclavage est très contestée. Nous avons bien entendu des choses à apprendre, sans toutefois adopter la même approche.

En fin de compte, quelle est la spécificité du Musée intercontinental de l’Esclavage par rapport à ceux qui existent ailleurs ?
Ce sera sa dimension intercontinentale. Il ne faut pas oublier que le port de Port-Louis était un hub régional. Ce n’est pas pour rien que les armoiries de Maurice ont pour emblème l’étoile et la clé de l’océan Indien. Cela indique que Port-Louis était un port de transbordement et de transit régional. Les navires transportant des esclaves y faisaient escale. L’esclavage ne se limite pas à l’achat et la vente d’esclaves. Il y avait toute une économie autour de l’esclavage, qui avait une dimension commerciale. Ainsi, à Port-Louis, il y avait également les chantiers navals pour des constructions de bateaux, des agents d’assurances, etc. Les propriétaires d’esclaves rencontraient les vendeurs de passage vers d’autres continents. Maurice a été une plateforme régionale de la traite négrière.

Tous ces aspects seront montrés au musée. Les faits historiques seront présentés, mais ce ne sera pas une histoire simpliste avec, d’un côté, les bons, et de l’autre les méchants. Les rapports sont nuancés. Nous aborderons également la situation des femmes esclaves, qui étaient victimes non seulement des propriétaires d’esclaves, mais aussi des esclaves eux-mêmes. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu des esclaves libérés qui sont devenus des oppresseurs, et qui ont travaillé pour les propriétaires d’esclaves. La maréchaussée créée par Mahé de La Bourdonnais pour chasser les marrons était composée de Noirs. En gros, le musée donnera des réponses à certaines questions, mais incitera également le public à s’interroger.

Est-ce que les recommandations de la Commission Justice et Vérité sont suivies scrupuleusement ?
Le conseil d’administration est composé de trois membres, qui ont été étroitement associés à la commission. La Dr Vijaya Teelock a assumé la vice-présidence de la Commission Justice et Vérité. J’ai travaillé comme conseiller à l’éducation à temps partiel. Stéphanie Tamby était chercheuse auprès de la commission. Nous sommes tous imprégnés de l’esprit de cette commission, qui a donné la feuille de route du musée.
La commission a siégé depuis 2009 avec Alexander Boraine comme président et Vijaya Teeluck comme vice-présidente, et comme commissaires, feu Jacques David, feu Benjamin Moutou et Parmaseeven Veerapen. Auxquels s’ajoutent 25 consultants et 45 chercheurs. Le gouvernement a déboursé un budget de Rs 60 millions. Le rapport de 2 700 pages fait 270 recommandations. Il reste jusqu’aujourd’hui la référence. La somme de travail abattu est considérable. Le rapport recommande la création d’un musée pour la réparation historique et culturelle.
L’histoire de l’esclavage avait été ignorée par les historiens classiques et l’oubli n’aide pas. Il fallait donc rappeler ce qui s’est passé, non pas pour prendre une revanche, mais pour guérir. Le musée existe pour que la mémoire ne s’efface pas afin qu’on puisse se construire. Comme le souligne l’Unesco, tout musée nous fait accéder à une part du passé. Les musées sont des accélérateurs culturels et constituent une source d’inspiration pour une nouvelle éthique, une nouvelle façon de vivre.
Le Musée intercontinental de l’Esclavage ne sera pas un musée d’objets empaillés, mais sera un lieu de discussions et d’interactions ouvert à tous les Mauriciens, quelle que soit leur origine. Il y aura des activités de nature nationale et internationale. Par exemple, c’est au musée que Sudhir Hazareesingh a lancé son livre consacré à Toussaint Louverture, et qui a connu un succès en Europe.

Le musée est aussi engagé dans la lutte pour les droits humains. Pouvez-vous nous en parler?
Aujourd’hui, les musées sont aussi dans un contexte de la promotion des droits humains et du progrès de la société. Ainsi, à l’occasion de la Journée internationale des droits humains, nous nous sommes associés à ADAM, alliance des descendants africains et malgaches. Cette organisation avait décerné des prix aux membres de la communauté créole qui ont réussi dans les domaines académique ou professionnel en ligne avec l’importance de la reconnaissance, comme le recommande la Commission Justice et Vérité.

Par ailleurs, il est bon de souligner que le musée constitue une réalisation majeure dans le cadre de la décennie des personnes d’ascendance africaine, et qui prend fin l’année prochaine. Sa création devrait figurer en bonne place du rapport que devrait normalement soumettre le gouvernement mauricien aux Nations Unies l’année prochaine.

Nicolas Couronne souhaite qu’une place soit trouvée pour son ancêtre, Constance Couronne, au musée. Est-ce que sa demande sera prise en compte ?
Un des projets du musée consiste à commencer une formation en généalogie avec l’aide de M. Drack, qui a collaboré avec la Commission Justice et Vérité. Tous les Mauriciens intéressés à retracer leurs origines pourront avoir une base concernant la façon de procéder. Dans l’exposition du mois d’août, nous prévoyons la création d’une section consacrée à la généalogie. Nous présenterons des cas de Mauriciens, et parmi eux, il y aura les travaux de Nicolas Couronne. Ce dernier a réussi à retrouver la trace d’un membre de sa famille, qui serait le plus jeune Mauricien condamné à être expulsé vers l’Australie en 1833. Elle s’appelait Constance Couronne, alors âgée de 9 ans. Cette dernière avait été condamnée à la prison pour avoir tenté d’empoisonner une femme blanche. Nicolas Couronne a présenté pour la première fois l’histoire de Constance Couronne lors d’une conférence au Centre Culturel Nelson Mandela.

Que comptez-vous organiser dans le cadre de la célébration de l’abolition de l’esclavage ?
Dans le cadre de cette célébration, nous comptons organiser une exposition sur le Code Noir le 23 février. Le Code Noir aura 300 ans. Nous envisageons d’organiser une conférence à cette occasion. Il est intéressant de savoir que l’original du Code Noir se trouve à la librairie Carnegie, à Curepipe.

Nous participerons bien entendu aux célébrations organisées par le ministère des Arts et de la préservation du Patrimoine culturel et le centre Nelson Mandela, au Morne. Je serai personnellement présent à la messe célébrée par le cardinal Piat en l’église Saint-Cœur de Marie, à Petite-Rivière, organisé par le Comité diocésain 1er février. Cette messe aura pour thème “300 ans du Code noir ; le prix à payer hier, aujourd’hui et demain”. Cette messe sera précédée la veille par une conférence donnée par le père Alain Romaine, toujours à l’église Saint-Cœur de Marie.

 

 

 

 

 

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