Josian Valère, président de la Fédération mauricienne de judo (FMJ) : « L’athlète n’est pas un mendiant »

Alors que les oiseaux de mauvais augure planaient autour du dojo de Grande Rivière, les judokas mauriciens sont sortis du lot, avec six médailles d’or. Une performance plus qu’honorable pour les protégés du DTN Baptiste Leroy, à qui d’ailleurs Josian Valère, président de la FMJ, rend un hommage appuyé. Dans l’interview qui suit, l’homme fort du judo mauricien — car c’est définitivement ce qu’il est — revient sur l’année 2019, abordant sans ambages une saison remplie, citant les réussites, parlant plutôt de demi-échecs et dévoilant les idées de la Fédération pour le long terme.

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* Josian Valère, vous avez été reconduit à la tête de la FMJ en début d’année. Avez-vous repris les choses là où vous les aviez laissées ?

– Les élections pour la Fédération, après les problèmes que le judo a rencontrés, ont été une étape vers la reconstruction de la discipline. Heureusement ou malheureusement, il a fallu passer par là pour pouvoir reconstruire. Pourquoi ? Parce que pendant des années, le judo s’est limité à un secteur de l’île. Le judo national s’est limité à une région ! Tout se déroulait autour du dojo. Une discipline nationale et même internationale ne pouvait pas fonctionner comme ça. Il ne faut pas avoir peur de le dire.

* C’est là que vous héritez du titre d’empêcheur de tourner en rond…

– Quand je suis devenu président, il m’a fallu une période d’apprentissage et d’adaptation. Quand on a vu que ça fonctionnait de manière sectorielle, on s’est dit que cela devait cesser. Parce que dans tous les pays du monde où le judo se pratique, on le retrouve dans toutes les régions. Il faut comprendre que le judo est une discipline qui peut être pratiquée par tous. On ne devient pas tous champion de judo, mais on peut y faire carrière, parce qu’on y a touché.

* Par rapport à votre premier mandat, quelle a été la courbe de croissance du judo à Maurice ?

– Tout est une question de stratégie, à tous les niveaux. Le judo passe par un développement holistique. Pendant un bon moment, on s’est concentrés sur l’équipe nationale. En somme, une élite de trois ou quatre judokas, avec à la tête, Christiane Legentil. Or, que se passe-t-il ? Christiane se blesse, on perd nos repères. Christiane va bien, on les retrouve. Le judo s’est reposé sur elle pendant sept ou huit ans. C’est une mauvaise stratégie, même pour elle. À l’étranger, c’est un groupe qui monte et qui progresse ensemble. C’est ce qu’on essaie d’implémenter ici.

* Christiane Legentil a donc porté de lourdes responsabilités…

– Premièrement, il ne faut pas occulter le judo mauricien doit beaucoup à Christiane Legentil. La FMJ a investi sur une athlète qui a réalisé des performances. Mais il y a un groupe de judokas qui sont en fin de carrière. Comment remédier à cela ? En investissant sur un groupe d’une quinzaine d’athlètes, tous cadets, qui commencent à faire des sorties internationales. Cela s’inscrit dans une lignée. Aujourd’hui, on doit préparer l’athlète à devenir des champions le plus tôt possible.

* Quelle serait, selon vous, une bonne stratégie de développement ?

– Le problème, à la source, reste le développement compartimenté. Mais cela est fini. Aujourd’hui, je peux citer les projets 2020 et 2024. Personnellement, je salue l’initiative du gouvernement et du ministre qui pensent déjà à 2024. C’est du jamais vu. Aux derniers JO, on avait un retard considérable. On se préparait six mois, ou au mieux, un an avant dans certains cas.

* La FMJ s’inscrit donc dans la même lignée que le MJS. Est-ce une obligation, finalement ?

– Je n’utiliserais pas ce terme. Mais le Ministère fonctionne d’après son rôle, tout comme la fédération fonctionne d’après le sien, qui est de permettre aux athlètes de fonctionner. Alors, dans ce cas, on ne peut qu’adhérer à cette idée.

* Le risque d’ingérence se pose, du coup…

– En tant que président de fédération, j’ai toujours fonctionné en partenariat avec le Ministère. Il ne s’agit pas d’ingérence. D’ailleurs, tout le monde est conscient que cette guerre sera aussi stérile qu’inutile. C’est une collaboration entre deux entités, où personne n’empiète sur les plates-bandes de l’autre.

* Par exemple ?

– Le ministère alloue un budget pour quatre centres de préformation et la détection, au-delà du budget fédéral. C’est fantastique. À partir de ce moment, on peut penser à autre chose.

* Autre chose ?

Oui ! Nous entamerons bientôt les négociations pour implanter le judo dans les écoles, avec le soutien de la Fédération internationale de judo (FIJ). Pour le moment, le judo ne se pratique que dans les écoles privées à titre d’activité extrascolaire.

*Un projet ambitieux, admettons-le. Mais la culture sportive à Maurice est loin d’être la même qu’en France ou ailleurs.

– Je le conçois. Mais il faut comprendre pourquoi le judo. Parce qu’aujourd’hui, Maurice fait face à un sérieux problème. Celui de la drogue et tant d’autres problèmes sociaux. Le plus grand problème reste la question du respect. Or, un judoka, ou quelqu’un qui a pratiqué le judo, ne peut avoir un comportement qui va à l’encontre des préceptes du judo. J’ai fait l’expérience avec mes enfants. La discipline est innée chez les judokas. On peut avoir fait du judo sans être un grand champion, mais être un citoyen responsable !

*Concrètement, de quoi souffre le judo mauricien ?

– Pendant de longues années, les judokas mauriciens ont souffert d’un manque d’éducation. Aujourd’hui, les exigences du sport marchent de pair avec le sport études. J’espère que les choses vont changer dans ce sens.

* On parle aussi de la professionnalisation du sport…

– Il existe en effet une différence entre un sportif de haut niveau et un professionnel. Le professionnel est celui qui gagne sa vie. Prenons l’exemple de Teddy Riner. Il s’est absenté des tatamis depuis plus d’un an. Mais chacune de ses sorties est monnayée. C’est ce qui manque au sport mauricien.

*Dans un sens plus large, quels sont les maux du sport mauricien ?

– Je ne parlerais pas de maux. C’est un peu osé de le dire, mais le sport mauricien doit être repensé. La leçon à retenir reste les JIOI. Quand on donne aux athlètes le respect, la satisfaction, quand on fait comprendre à l’athlète qu’il est le centre, les résultats suivent. C’est, à mon avis, ce qui nous a fait remporter les JIOI. Ce qui me fait dire qu’avec plus de facilités, on peut faire encore mieux.

*Vous jetez un pavé dans la mare…

– Quand l’athlète est respecté, quand il se sent l’acteur principal, on est obligé de le penser. Dans le passé, certains dirigeants étaient à l’avant, au lieu de l’athlète. Pendant les JIOI, les choses se sont passées différemment. Il faut comprendre que l’athlète n’est pas un mendiant. Le sportif mauricien a tellement été piétiné qu’il a cru qu’il est un mendiant.

*Vous voulez dire que les choses ont évolué ?

– Oui. Sinon, comment expliquer les résultats aux JIOI ? L’athlète mauricien s’est senti respecté, choyé, il a été au centre des attentions. Et les résultats ont suivi.

* Le judo n’a pas échappé à cette logique, on dirait…

– C’est le résultat d’une discipline installée avec une administration qui a fonctionné avec les valeurs du judo. Tout se discute autour d’une table. Quand je convoque une réunion, il n’y a pas que les membres du comité. J’ai fait appel à toutes les personnes de bonne volonté.

* Cela veut dire que si demain, Joseph Mounawah, décidait de revenir, il serait à nouveau accueilli ?

– Pour être honnête, beaucoup pensaient que le judo serait mort avec le départ de Joseph Mounawah. Mais les résultats aux JIOI ont prouvé le contraire. L’organisation était excellente. Ce n’est pas bien de parler de mon administration, mais il n’y a eu rien à dire. Pour résumer le tout, il y aura du judo avec ou sans Joseph Mounawah ou Josian Valère.

* La FMJ a nommé d’anciens champions de judo mauriciens à la tête de la sélection nationale. Est-ce un message que vous envoyez aux judokas actuels ?

– C’est encore une fois un signe de respect envers ceux qui ont contribué au judo. Aujourd’hui, on fait appel à leur expérience et à leur savoir-faire. On parlait un peu plus tôt de centres de préformation. Sachez que les responsables seront des judokas de la sélection. Cela sert à autonomiser les judokas pour l’après-carrière.

*Les anciens ont-ils été à la hauteur ?

Tout est une question de stratégie. Une stratégie peut marcher ou ne pas marcher. Mais dans ce cas spécifique, c’était un peu de reconstituer la famille du judo. Et la stratégie a marché, quand on voit les résultats des JIOI.

Comment vous êtes-vous pris pour ces résultats ?

– La force du judo aux JIOI, c’était d’être une équipe. Pour la petite histoire, c’est la première fois que nous avons eu autant de mal à mettre sur pied une sélection. Tout s’est joué aux test-matches. C’est de cette façon que nous avons pu mettre sur pied une équipe homogène et compétitive. Avant les Jeux, pourtant, la perception existait que Maurice se dirigeait vers des Jeux moyens en termes de résultats. À quel moment cet état d’esprit a-t-il changé ? Le déclic est survenu quand les athlètes ont vu tout le confort et que toutes leurs exigences ont été satisfaites. Je dois admettre que tout a été magnifiquement géré.

* Justement, peut-on espérer voir des futurs champions d’Afrique après la belle époque ?

– Le judo africain a connu une belle évolution, qui cadre avec l’investissement. Les résultats des pays du Maghreb, qui sont à la pointe du judo en Afrique, en sont la conséquence.

* Il n’empêche que depuis les Priscilla Chéry, Marie-Michèle St Louis, Jean-Claude Raphael, Maurice n’a plus connu de champions d’Afrique.

– Voilà ! Vous citez des noms. C’est un groupe d’athlètes qui est monté en même temps. Et cela rejoint la stratégie que la FMJ veut mettre en place pour la suite. Nous avons commencé avec les championnats d’Afrique l’année dernière, en Afrique du Sud, avec le plus grand contingent parmi les délégations présentes. C’est un groupe qui a été créé, et nous en avons parlé avec Baptiste Leroy.

* Justement, il fait aussi partie du succès…

– Oui. D’ailleurs, ce serait mal de ne pas parler de Baptiste et de sa contribution. Avec l’apport des autres entraîneurs, il a su acquérir la confiance des judokas et tirer le meilleur d’eux.

* Un succès un peu brusque, au vu de votre retour à la tête de la FMJ…

– Dans un sens, oui. Nous sommes en place depuis un peu moins d’un an et il a fallu aller très vite. Nous avons su créer une organisation qui a tourné à plein régime pendant les JIOI. Et je dois dire un grand merci à tous ces bénévoles qui ont fait preuve de bonne volonté. Le succès du judo repose sur toutes ces personnes.

* Les six médailles d’or représentent-elles une surprise ?

– Pour moi, non. Nous avions mis la barre très haut. Sarah Sylva a raté l’or de peu. Mais dans l’ensemble, c’est satisfaisant. On a raté l’or de peu dans le tournoi par équipes masculines. La grande satisfaction est venue de Sébastien Perrine, qui a vaincu Mathieu Dafreville.

* Ces résultats sont-ils un moyen de faire taire vos détracteurs ?

– On parlait un peu plus tôt de stratégie. J’ai une mission en tant que président, avec le soutien de mon équipe, qui est d’honorer la confiance placée en nous. Pour moi, l les détracteurs n’existent pas. Tout le monde a le droit à la parole, tout le monde peut dire ce qu’il pense.

* Quel serait, selon vous, le mot de la fin ?

– Je dirais que le judo connaît un développement à tous les niveaux, qu’il soit régional ou international. Cela épouse la vision du président de la FIJ, Marius Vizer. La FIJ a été claire sur un point : elle ne va travailler qu’avec des personnes de confiance. Et aujourd’hui, je peux dire avec beaucoup d’humilité que le judo mauricien est sur les rails, avec un développement à tous les niveaux.

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