Journée de la Femme— Ambal Jeanne (SOS FEMMES) : « Trop d’inégalités et de souffrances ! »

– « Des pressions sociales et religieuses sur les jeunes femmes les poussant à se marier tôt. Sinon, elles sont perçues comme des échecs »

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L’engagement des hommes – maris, concubins… – est « trop superficiel » estime Ambal Jeanne, responsable de SOS Femmes. « La plupart des hommes “disent” qu’ils soutiennent leur femme respective. Mais quand arrive l’heure d’assumer et de passer à l’acte, peu le

Ambal Jeanne, responsable de SOS Femmes

font hélas ! ». SOS Femmes, l’une des plus anciennes structures d’accueil et de résidence existant à Maurice – et qui œuvre pour le respect et la valorisation des droits des femmes –, accueille les Mauriciennes victimes de violences conjugales et est présente sur tous les fronts dans cette lutte pour leur développement. À la veille de la Journée internationale des femmes, Ambal Jeanne rappelle que « les pressions ont augmenté avec le temps » sur les jeunes femmes. « Ce sont les pressions sociales et religieuses qui contraignent les jeunes femmes tôt au mariage. Autrement, elles sont perçues comme des traînées malgré le fait qu’elles soient financièrement indépendantes. Elles finissent alors par croire qu’elles ont échoué et elles s’abîment. »

« Nous sommes encore et toujours dans une société fortement patriarcale, et ce malgré bon nombre de progrès réalisés dans le domaine de l’avancement de la femme ! Le MLF a fait sa part et nous de même. Les autorités et les Ong font ce qu’ils doivent faire. Mais ce n’est pas encore gagné. Pour que nous puissions avancer vers cet idéal de parité hommes-femmes – qui, je le répète, n’est ni une lubie, ni une utopie –, nous devons compter avec des hommes qui sont engagés sincèrement dans le combat. Et pas que pour épater la galerie. » Ambal Jeanne, responsable de SOS Femmes, ajoute : « Il faut aussi que nos jeunes filles et nos femmes soient plus fortes et responsables, et qu’elles arrêtent de penser qu’elles sont prises au piège. Il est temps qu’elles prennent des initiatives et fassent résistance. »
Ce 8 mars marque une fois de plus « le long combat des femmes pour la reconnaissance de leurs droits et leur place dans la société », retient Ambal Jeanne. Elle continue : « Même si on a avancé de quelques longueurs en ces 50 ans, il reste que, dans l’intimité des rapports hommes et femmes, il y a encore trop d’inégalités et de souffrances. C’est dans cet espace clos que la femme est la plus vulnérable. Et c’est là qu’elle est soumise… En 2018, nous sommes toujours, à Maurice, dans une relation de couple davantage orientée dominant/dominée. »

La responsable de SOS Femmes n’est pas pessimiste : « On peut certainement changer ça ! Pour cela, il faut à la fois une collaboration plus sérieuse et plus concrète des partenaires masculins et, d’autre part, que les femmes – jeunes filles et adultes – arrêtent de céder aux chantages, qu’il s’agisse des pressions sociales exercées par les parents et les proches ou par les lobbies religieux. Ces pressions poussent la jeune Mauricienne à se marier tôt. Si à 30 ans elle est toujours célibataire, elle est rapidement taguée de traînée ou autre. Déjà là c’est une forme de violence. »

Notre interlocutrice poursuit : « Bien qu’elle soit financièrement indépendante – et donc qu’elle travaille et gagne sa vie –, cette jeune femme est poussée vers le mariage. Même si elle n’est pas prête, même si elle ne le souhaite pas… Pourtant, elle ne dit jamais “non !”. Pourquoi ? Parce qu’immédiatement, elle va s’attirer les foudres de ses proches et parents, qui vont la faire se sentir coupable. Mais coupable de quoi ? Je ne sais pas… Mais en tout cas, elle devient la bête noire, le mauvais exemple. C’est pour échapper à ça qu’elle se plie à leurs exigences. » Résultat, retient Ambal Jeanne : « Zot bizin vinn kuma dir bondie ki ena set-witt lame ! »

La responsable de SOS Femmes élabore en s’appuyant sur des « statistiques » présentées par Rama Sithanen récemment. « Il a expliqué que, dans le circuit scolaire, du préprimaire au tertiaire, la fille fait mieux que le garçon. Cependant, arrivées à la sphère professionnelle, seulement 40% de ces femmes parviennent à poursuivre une carrière ! Pourquoi ? Parce qu’elles doivent justement jongler entre travail, responsabilités à la maison, mari, enfants et tout ce qui va avec. Alors que pour l’homme, c’est uniquement la responsabilité d’aller travailler et de ramener des sous ! C’est cette inégalité qu’il faut corriger. »

Un certain travail a cependant déjà été entamé, note notre interlocutrice. « Mais ce n’est pas la seule responsabilité de SOS Femmes, du MLF, de l’État et des Ong. Tout le monde doit s’y mettre. » Elle poursuit : « Bon nombre d’hommes disent souvent qu’ils soutiennent leur femme, qu’ils sont là pour elles… Mais dans le réel, joignent-ils concrètement l’acte à la pensée ? Mettent-ils la main à la pâte ? Quand un problème surgit – allons dire dans la famille par exemple –, font-ils cause commune avec leur épouse ou, par souci de “pass pu bon dan lizie fami”, s’abstiennent-ils de toute action ? Est-ce que la majorité d’entre eux ne passent-ils pas à l’acte de peur d’être traités de “noir fam” par leurs pairs ? Il y a là une forme d’autocensure de la part de l’homme. C’est là toute la source du problème ! »
Pour Ambal Jeanne, « on peut vraiment aider sa moitié, et si l’on croit à l’égalité de chaque partenaire dans le couple, il faut rendre plus concrète cette union ». Avant de conclure : « Il faut avoir la force de soutenir l’autre, chacun à son tour, dans tous les cas de figure. Il n’y a pas de “sa to zafer, sa mo zafer”. C’est erroné tout ça ! »


« Être vulgaire pour se sentir “acceptée” ! »

Ambal Jeanne se dit « outrée » par le fait que « certaines femmes ne réalisent pas que, de par leur comportement, elles se rabaissent, s’humilient et donnent aux hommes qui ne les respectent pas l’avantage sur elles ». Elle explique : « On remarque autour de soi une tendance fréquente : des femmes qui tiennent un langage ordurier, vocifèrent des insultes et ne rougissent aucunement en rivalisant avec les “fleurs” qu’envoient d’ordinaire les hommes. Mais ne réalisent-elles pas que ces insultes sont en réalité des mots qui, à la base linguistique, ont été forgés pour dénigrer la femme et des parties de son corps ? » En fait, poursuit la responsable de SOS Femmes, « tout cela découle d’un mauvais exemple : la femme tente d’imiter l’homme au lieu de rejeter ce qui n’est pas bon » pour elle. « C’est aussi un résultat de pression des pairs encore une fois. Elle pense que si elle se comporte comme l’homme, elle sera plus facilement acceptée. »
Par ailleurs, selon notre interlocutrice, il y a aussi des changements à apporter dans les structures dispensées aux femmes. « Un simple exemple : les crèches ferment vers 16h/17h. Qu’advient-il pour ces femmes qui travaillent le soir ? Où vont-elles laisser leurs enfants ? Et on revient vers les grands-parents, entre autres. Mais si ceux-ci habitent loin ? Au final, la femme préférera changer de travail. C’est donc toujours à elle de s’adapter ! C’est juste, ça ? »


Une affaire de cœur

Ambal Jeanne tient le même franc-parler que sa regrettée sœur, l’avocate Rada Gungaloo : elle va droit au but et n’a pas froid aux yeux ! Les deux femmes sont les fondatrices de SOS Femmes, avec quelques autres Mauriciennes qui ont fait de ce combat leur priorité absolue. Rada Gungaloo rappelait, à chaque occasion, comment la condition de leur mère lui avait inspiré le besoin de créer une association tout en lui fournissant ses armes pour œuvrer en faveur des Mauriciennes. Depuis la disparition subite de Rada Gungaloo, emportée par une maladie en août 2014, Ambal Jeanne a repris les commandes. Avec le même “commitment” que la femme de loi et en ayant toujours en ligne de mire le besoin d’aider les Mauriciennes en difficulté du marasme que certaines endurent au sein d’un couple où règnent les violences en tous genres, physiques et verbales, ainsi que l’humiliation et le dénigrement.

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