JOURNÉE INTERNATIONALE DES MUSÉES LE 18 MAI – Le pouvoir « de transformer le monde »…

DR JIMMY HARMON

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« Les musées ont le pouvoir de transformer le monde qui nous entoure ». C’est ce que le Conseil international des musées (ICOM) nous dit pour le choix de son thème 2022 : « The power of museums/Le pouvoir des musées ». L’ICOM a décrété le 18 mai Journée internationale des musées et ce, depuis 1977, pour sensibiliser le public au rôle des musées dans le développement de la société. Une délégation du Musée intercontinental de l’Esclavage était en France sur invitation du ministère français de la Culture et la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME) dans le cadre d’un séjour d’échange d’expertises culturelles à Paris, puis à Bordeaux du 9 au 13 mai 2022. Cette mission a été rendue possible grâce au soutien de l’Ambassade de France / Campus France. En tant que  responsable du ISM Research & Events Sub-Committee, je faisais partie de la délégation avec le président du Conseil d’Administration du Musée intercontinental de l’Esclavage, Jean Maxy Simonet, et la coordinatrice technique Mélissa Guillaume-Juliette. Fort des retombées de ladite mission et en lien avec la thématique « Pouvoir des Musées », je me permets d’apporter de nouveaux éléments dans la réflexion pour le Musée Intercontinental de l’Esclavage dont l’élaboration avance à grands pas avec le soutien de l’État mauricien.

La Ruse de L’Histoire

« La ruse de l’histoire » est un terme utilisé dans « Faire musée d’une histoire commune, rapport de préfiguration de la nouvelle exposition permanente du musée national de l’histoire de l’immigration » (Ed. Seuil, 2019), publiée sous la direction de Romain Bertrand et Patrick Boucheron. De quelle ruse s’agit-il ? Au fait, le Musée a été installé dans le pavillon amiral de l’Exposition coloniale de 1931. Cette exposition décrivait négativement les peuples colonisés et vantait la mission civilisatrice. Aujourd’hui, ce lieu affronte l’histoire et amène les regards sur « la chambre noire de l’histoire coloniale ». Les collaborateurs à ce projet écrivent que « cette histoire ne peut être que mondiale par vocation et comparatiste par méthode ». Tout de suite, nous pouvons voir les similitudes avec le projet du musée de l’Esclavage à Maurice. La « ruse de l’histoire » dans notre cas a été le choix d’un ancien hôpital militaire sous colonisation française. De tels hôpitaux ont aussi existé dans d’autres colonies. Les jeunes, les adultes, les femmes et les enfants mis en esclavage étaient soignés dans ce lieu pas par souci de leur santé mais pour ne pas contaminer la colonie et aussi pour garder leur valeur marchande dans le commerce des esclaves. Ce fut aussi le lieu où des marins, des armateurs, des propriétaires des esclaves furent soignés. Donc, faire de ce lieu un musée de l’Esclavage aujourd’hui est une repossession des lieux.

Tous les descendants des victimes et des agresseurs pourront affronter cette histoire. Le mot « affronter » au lieu de « confronter » dit bien que chacun a à faire son chemin par rapport à ce passé douloureux tout en acceptant que l’esclavage a été un crime contre l’humanité. Dans cette histoire douloureuse, la mémoire a retenu des fragments du passé. La mémoire a retenu la figure de défiance contre la déshumanisation.

De Guadeloupe à Maurice : Solitude, Anna de Bengale et autres « guérilleros de la liberté ». Le 10 mai, a été commémorée la « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition » depuis 2006 en France. La France est le premier État à avoir déclaré la traite négrière et l’esclavage « crime contre l’humanité ». Lors de la 17e édition de la cérémonie nationale française, une place spéciale fut donnée à la mulâtresse Solitude (v.1772-1802). L’existence de Solitude est attestée par l’historien Auguste Lacour (1864-1945). En 1858, il évoque sa présence active aux côtés des rebelles menés par les officiers métis et noir Delgrès Ignace et Palerme, opposés au rétablissement de l’ordre colonial décidé en 1802 par Bonaparte. Les récits populaires racontent qu’elle rejoint une communauté des « Nègres marrons » qui vivent libres, en marge de la société coloniale et c’est avec eux qu’elle combat le rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte, jusqu’à la mort. Elle est arrêtée alors qu’elle est enceinte, et ne sera exécutée que plusieurs mois plus tard, au lendemain de son accouchement. Solitude pour les Antilles, Anna de Bengale et autres « guérilleros de la liberté » pour Maurice, pour reprendre le terme utilisé par le regretté Amédée Nagapen dont l’ouvrage sur le marronnage demeure une référence incontournable. De telles figures, symboles de toutes les « fanm doubout » (« femme debout » créole des Antilles), doivent trouver leur place dans notre musée de l’esclavage à Maurice.

La responsabilité
de la parole
Le philosophe Mudimbe dans son œuvre monumentale The Invention of Africa: Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge (1988) fait ressortir que nos institutions (écoles, universités, les diplômes octroyés) sont restées dans la « bibliothèque coloniale ». Nous sommes marqués inconsciemment par les séquelles de la colonisation. Il y a tout un travail de déconstruction à faire. C’est là qu’il incombe une responsabilité narrative à ce que raconte le musée. Que raconte-t-on ? Quel point de vue ? Qui raconte ? On sait que l’expert ne connait pas tout et qu’il n’est jamais neutre. Il est sujet à l’empreinte d’un discours dominant. C’est là qu’il est important de comprendre et de le faire comprendre que ce qui est raconté dans un musée est appelé à évoluer. Le musée a aujourd’hui une mission pédagogique. Au niveau international, on bouge vers le « musée conversationnel ». Il devient un espace de parole sur son passé, le présent et l’avenir. C’est un lieu où on coconstruit le récit. On parle de plus en plus de « médiateur culturel » qui entre en conversation avec les visiteurs au lieu du « guide » traditionnel qui n’est qu’un transmetteur d’informations. Le médiateur culturel ou la médiatrice culturelle doit pouvoir entrer en dialogue et être en empathie avec les visiteurs. Finalement, l’empathie pourrait bien être le pouvoir des musées.

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