L’autre histoire de Miss Daisy

Miss Daisy avait un chauffeur, avec un CDI, qui avait largement abusé de sa confiance. Elle se résolut à le licencier, non sans peine, car il bénéficiait de multiples « protections ». Pour la suite, elle fit un appel d’offres, assorti d’un contrat à durée déterminée, et eut vite un successeur, pour la conduire où elle voulait aller.
Mais voilà, le nouveau chauffeur avait des idées quelque peu… personnelles. Conduisant la voiture sous l’influence de la drogue et de l’alcool, il zigzaguait sur la route, allait à contresens, parlait sur son portable et brûlait les feux quand cela lui chantait. Et il conduisait Miss Daisy là où il voulait aller.
Un jour l’irréparable arriva. Estimant que la voiture s’engageait en direction d’un ravin, Miss Daisy se saisit du volant et la voiture s’en alla dans l’autre direction, mais dans le caniveau. Miss Daisy limogea son chauffeur. Mais celui-ci fit valoir qu’il était le seul à détenir un permis, ainsi qu’un contrat en bonne et due forme. Et c’est ce que répétaient les proches et la famille du chauffeur éconduit. Ad nauseam.
Ce que le chauffeur semblait ignorer, c’est que, si un permis de conduire et un contrat sont effectivement nécessaires pour accéder au poste en question, ils ne sont pas suffisants pour y rester. Et que le permis de conduire n’est pas un « licence to kill ». Même pas une « permission to injure ». N’est pas James Bond qui veut.
Je ne connais pas suffisamment l’Egypte pour prétendre émettre un jugement éclairé sur la situation actuelle, où Morsi a été limogé par intervention militaire. Ses partisans se font un devoir de crier à l’injustice, et à revendiquer le retour du président « démocratiquement élu ». Ceci est largement repris par la plupart des médias, ainsi que par notre Premier ministre Navin Ramgoolam, au cours d’un non-meeting (de principe) pour l’Eid-ul-Fitr.
Ce que semblent ignorer tous ces chantres de la « démocratie », c’est que, si l’élection valide est un préalable (donc nécessaire) pour légitimer l’accession au mandat suprême, elle n’est en revanche pas suffisante pour s’y maintenir. Le fait de devenir un président légitime n’est pas un chèque en blanc pour faire n’importe quoi après. Même Adolf Hitler a, semble-t-il, été un président démocratiquement élu. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir ce qu’il est devenu. Bref, un président élu n’a pas les prérogatives d’un monarque de droit divin.
J’ai bien apprécié l’interview récente de M. Surendra Bissoondoyal, mon ancien prof de maths, où il fait valoir que le vainqueur d’une élection ne peut en aucun cas se prendre pour un « winner » qui « takes all ». La démocratie ne se limite pas à un jour d’élections, pas plus que la vie d’un couple à la cérémonie du mariage. Et si la démocratie est bien le gouvernement par la majorité, c’est en vue du bien de tous. Une majorité qui entend exclure des minorités, les maintenant dans la marge ou les soumettant à des règles arbitraires, est peut-être majoritaire ; elle n’est pas démocratique.
Or, Morsi n’a même pas été élu par une majorité qui ne comprendrait que les Frères musulmans. Il a été élu au second tour par défaut, contre un candidat issu des rangs de l’armée. Il sait les réticences que beaucoup avaient à son égard. Pourtant, une fois installé dans le fauteuil présidentiel, il a oublié tout cela. Il s’est pris pour le nouveau Pharaon.
Les Frères musulmans ne représentent qu’environ un tiers de l’électorat égyptien, selon les résultats du premier tour. Ce n’est un secret pour personne. L’énorme foule qui a récemment demandé la sortie de Morsi n’a pas été inventée par l’armée, même si celle-ci en a certainement profité. Imaginez Jacques Chirac, après son élection à plus de 80% des votes contre Le Pen, se mettant à régir la France comme si elle était une succursale du RPR !
Un dernier point. A l’adresse (ou à la maladresse) de notre Premier Navin, légitimement élu. C’est bien de défendre les droits des Palestiniens contre les agissements des néo-sionistes. Le peuple palestinien est certainement victime depuis trop d’années des supercheries et des brimades d’un gouvernement israélien, légitimement élu lui aussi, mais qui se croit tout permis.
Mais, à la fin du Ramadan, où plus d’un prédicateur religieux a insisté sur le devoir du musulman à aider tout pauvre, quelle que soit son ethnie ou sa religion, fallait-il que notre toujours souriant PM oublie que, comme en Egypte, les Palestiniens sont musulmans ET chrétiens, sans compter ceux d’autres croyances ? Et que les chrétiens de Palestine, dont beaucoup sont issus des toutes premières communautés chrétiennes, sont doublement victimes, des autorités israéliennes d’une part, et des extrémistes islamistes d’autre part ?
Mais j’allais oublier. Que ne doit-on pas faire pour glaner quelques votes au passage d’un non-meeting, afin de demeurer légitimement élu… Je n’ai décidément pas de talent pour la chose politique, du moins d’après certains paramètres pratiques de notre douce Ile Maurice.
La morale de cette historiette : Le nécessaire n’est pas nécessairement… suffisant. Il n’y a que celui qui pense ainsi qui pourrait l’être. Honni soit qui mal y pense.

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