L’ÉCONOMIE MAURICIENNE : quel « MOOD » après MOODY’S ?

Dans les années 70 et 80, on évoquait fréquemment le phénomène du « overcrowding ». Les besoins de financement de l’État étaient à un très haut niveau, ce qui l’obligeait à recourir, de manière excessive, aux crédits bancaires au détriment de la satisfaction des besoins de financement de secteurs de production. On disait alors que les crédits devant revenir à ces derniers étaient « overcrowded » par les crédits alloués aux secteurs improductifs. Ceux-ci faisaient de l’ombre à ceux-là.
Par analogie, on constate que l’éclatement du scandale BAI au début d’avril fait de l’ombre à l’économie mauricienne. L’intérêt dans la marche de l’économie mauricienne et l’attention à son progrès subissent un « overcrowding » de la part des retombées – souvent croustillantes, sinon ahurissantes – du scandale. Il faudrait même s’exprimer au pluriel, car si la BAI occupe le devant de la scène, il y a des figurants de taille pour compléter le tableau, notamment une autre banque et une société coopérative.
Ces développements récents sont de tristes rappels de la cupidité de certains de nos concitoyens, avides de s’enrichir le plus vite possible sur le dos d’épargnants mal renseignés et attirés par des taux d’intérêt ou des retours sur investissement en déphasage avec la conjoncture économique mondiale. Selon des estimations qui circulent dans les médias, quelque 240 000 épargnants/investisseurs seraient concernés par la chute de BAI. Il faudrait y ajouter les victimes des autres plans à la Ponzi, datant de 2 à 3 ans, et des divers autres détournements récents.
Il en résulte des drames humains, aussi bien du côté des investisseurs floués que des salariés menacés de perte d’emploi. Instinctivement, les victimes se tournent vers l’État dans la vieille tradition mauricienne du recours aux puissants du jour et selon la formule consacrée : « ou mem papa ou mem mama ». On peut, certes, comprendre cette attitude, elle est humaine. Et, en la présente conjoncture, la réponse du gouvernement a été, jusqu’ici, dans une large mesure, à la hauteur des attentes des victimes des détournements à travers des remboursements spécifiques et des émissions d’obligations (« debentures »).
Pour les salariés, la situation est plus délicate, car la sécurité de leur emploi est liée aux décisions des éventuels repreneurs des entreprises qui les emploient. Signalons, toutefois, le sort favorable des salariés de la banque radiée et de la compagnie d’assurances placée sous administration : ils ont, d’un trait de plume, rejoint le secteur parapublic, grâce à la nationalisation (temporaire, on l’espère) de ces deux institutions respectives.
« Welfare State »… « Nanny State »
Dans l’ensemble, l’État est donc venu à la rescousse, et il promet de continuer dans cette voie. Mais un tel engagement est un vrai défi à la gestion des finances publiques et à la santé de l’économie mauricienne. Sous la pression des événements et afin que la bombe soit désamorcée, voilà le Welfare State mauricien engagé sur la voie d’un Nanny State :
• Qu’un scandale financier éclate, et les victimes seront tentées de faire appel aux aides de l’État ;
• Qu’une industrie se retrouve dans de graves difficultés par mauvaise gestion, c’est l’État qui court le risque d’être appelé au secours ;
•Qu’un marché international s’effondre pour un produit ou un service d’exportation, c’est encore vers l’État qu’on risque de s’adresser pour des aides financières.
Un État ne peut être une « nanny », une bonne à tout faire. Si l’État est généralement perçu comme celui qui viendra toujours à la rescousse en cas de catastrophe, cela peut engendrer dans la population une attitude de relâchement par rapport à l’attention aux risques : c’est ce que les économistes désignent sous le vocable : aléa moral (moral hazard).
Il est impérieux que le gouvernement remette les pendules à l’heure. Il aurait avantage à suivre les quelques points qui suivent :
•Préciser que les mesures prises dans le cas de BAI sont exceptionnelles, car elles résultent d’une défaillance prolongée des régulateurs à prendre des mesures correctives en temps opportun.
•Mettre en place, dans les meilleurs délais, des cours d’éducation financière adaptés aux besoins de divers groupes de personnes, notamment des salariés, des retraités, et aussi des grands élèves et des étudiants. La collaboration des experts-comptables, des gérants d’investissements et d’autres experts financiers pourrait être fort utile en la matière.
• Organiser des sessions de formation destinées au grand public afin que soient définis ces importants paramètres :
– Le rôle de l’État, ses droits et ses devoirs
– Le rôle de la société civile, ses droits, mais aussi ses devoirs et ses responsabilités.
– Et de même pour les secteurs productifs et les syndicats : droits, devoirs et responsabilités.

« Deus ex machina »
Si les points ne sont pas mis sur les i, notre pays court le risque de s’engluer dans des situations où l’État devienne, aux yeux de la population, le « deus ex machina », la fée qui doit résoudre tous les problèmes, alors que son rôle est de définir des politiques judicieuses, favorables à la marche de l’économie mauricienne et à une distribution équitable des richesses qui en résultent.
Cette remarque nous ramène à la constatation faite ci-dessus, à l’effet que l’économie se retrouve calée sur la banquette arrière, cachée derrière les conséquences des scandales installées sur le siège du chauffeur. Il est vrai que le ministre de Finances continue à affirmer que la croissance sera de 5,7 % en 2016/17 et que les investissements, si nécessaires à cette réalisation, sont sur le pas de la porte. Souhaitons qu’il réussisse à démentir les prévisions bien moins généreuses de l’agence de notation Moody’s, soit une croissance de 3,6 % en 2015 et en 2016, un déficit budgétaire tenace au niveau de 3,5 % et des risques que la dette publique rate l’objectif d’être ramené à 50 % du Produit intérieur brut en 2018. Peut-être qu’on sera mieux renseigné si le Fonds monétaire international mène, comme durant chacune de ces dernières années, une consultation sur l’économie mauricienne, au titre de l’Article IV de sa constitution. La dernière consultation a été rendue publique en avril 2014.
Peut-être aussi que des projets se montent en toute discrétion, que des investissements sont dans le « pipeline » et qu’ils éclateront au grand jour quand l’actualité journalière cessera d’être happée par les mises en examen quasi journalières de VIP déchus aux Casernes centrales et leur arrestation subséquente. Ce type d’informations est d’un intérêt primordial pour les demandeurs d’emploi, présents et futurs, et pour les contribuables.
Vivement, en tout cas, que l’économie reprenne ses droits, que des informations circulent sur la mise en oeuvre des mesures budgétaires, que l’amélioration de la productivité devienne une priorité, aussi bien que l’avenir énergétique de ce pays et la solution des goulots d’étranglement au plan des infrastructures. C’est à ces conditions-là que Maurice pourra prétendre rejoindre éventuellement le podium des pays à revenus élevés.

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