L’utopie pour contrer la dure réalité du travail…

J’exècre le salariat. Cette relation de subordination et subséquemment de formatage de l’individu en employé modèle; ce sacrifice de nos désirs sur l’aune d’un désir-maître et cela uniquement pour assurer notre survie (notre ‘reproduction matérielle’). Cette ‘alchimie’ imposée n’est que la célébration d’un rapport de domination. Responsable de la captation des désirs, de la non-reconnaissance et de l’autorat des employés et in fine des âmes des assujettis, cette tyrannie est un des piliers du capitalisme. Pascal disait du travail que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Le travail régi par des normes du libéralisme avec un rapport de forces en faveur des employeurs nuit gravement à notre santé.
Le rapport salarial demeure cependant inexploré, car jugé comme fait immuable par bon nombre. Episodiquement, la semaine de travail de quatre jours ou de trois jours est évoquée ou de la souffrance psychique (‘burn-out’) qui en découle, mais nous évitons soigneusement d’affronter le monstre. Les travaux de Frédéric Lordon et de Bernard Friot sortent en ce sens du conservatisme économique. Il est urgent de dépasser l’entreprise capitaliste et Lordon propose d’y inclure une dose de démocratie radicale en créant des ‘récommunes’.  Friot pour sa part tout en prônant l’abandon du profit comme seul moteur propose la socialisation du salariat. Oui, nous avons besoin d’utopie pour renverser cette maldonne.
L’échange marchand comme quasi-unique accès à l’argent
Toute personne qui désire assurer sa ‘reproduction matérielle’ doit se plier à la modalité de production rentière, à savoir le salariat. Forcés que nous sommes de passer par l’échange marchand afin d’assurer l’acquisition des biens indispensables, nous sommes réduits au simple rôle de moyen ou d’instrument (reductio ad utensilium), le salarié se voit cloîtré dans un asservissement, certes pas toujours teinté d’affects tristes. Le patronat a bien compris en cela que l’amour est un puissant outil dans le dressage des employés (ce que Lordon désigne comme la ‘colinéarisation du conatus’ (défini par « l’effort par lequel “chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être” » par Lordon, thème au coeur de l’Ethique de Spinoza).
Le patronat exerce un pouvoir despotique de capturat sur le désir de ses employés. Ces derniers acceptent de sacrifier de ce fait leurs désirs pour participer à un désir qui n’est pas le leur. Le salariat est en ce sens « un rapport entre agents dans lequel un détient les conditions de la reproduction matérielle de l’autre ». Pourquoi donc ne pas refuser cette relation de domination en se lançant dans une entreprise où notre conatus serait aligné sur notre désir. Lordon précise que ce chemin est bien plus difficile qu’il n’y paraît au premier abord ;
Abandonner la quête du profit pour une vie plus heureuse
« Pour le dire à la manière d’une quasi-tautologie ou bien par une métaphore balistique, «se lancer» dans les affaires nécessite un lancement, c’est-à-dire un apport initial (d’argent/d’énergie) qui fait passer le seuil critique – l’équivalent capitaliste de la vitesse de libération. […] Seuls ceux qui disposent de l’initiative monétaire sous la forme d’un stock (d’argent) peuvent s’y adonner et combiner la réalisation de choses avec leur reproduction matérielle, parfois avec la constitution de la fortune.”
 Un rappel donc au gouvernement mauricien pour que la seule mesure véritablement salutaire d’un budget timoré, nommément la création d’une banque pour entrepreneurs, ne demeure pas lettre morte.
 Lordon préconise une démocratie réelle, donc forcément radicale, au sein de l’entreprise. Il y voit «une chose partagée, une chose commune. Une res communa.» Une entreprise est donc une récommune. Cette dernière offrirait une possibilité de participation égale en toute matière dans la vie du collectif. L’autogestion permettrait de décider du niveau et de l’éventail des salaires mais aussi des temps et des cadences mais servirait aussi à briser « l’injustifiable empire sur la vie active des enrôlés du capital ». Le but de cette initiative est bien plus intéressante que la quête du profit mais « la vie productive collective moins malheureuse ».
Friot théorise sur un salariat socialisé
Luttant comme Frédéric Lordon, contre le conformisme intellectuel, Bernard Friot propose non pas d’abolir le salariat mais plutôt d’en étendre son application en introduisant un salaire à vie pour tout le monde de 18 ans+… Nul besoin dans cette configuration de se subordonner au capitalisme car Friot imagine la fin du crédit bancaire, une copropriété sans actionnaires ou employeurs mais aussi un ‘assèchement du profit’ et un plafonnement des salaires. Ce salaire socialisé serait versé en fonction d’une qualification déterminée collectivement. Cette utopie éliminerait le chantage à l’emploi en rémunérant l’individu (réactualisé à juste titre en producteur de richesses) qu’il ait un travail ou non.
« L’enjeu du salaire, c’est la possibilité de sortir du capitalisme. Non pas de le contenir, non pas de bouger le curseur de la répartition de la valeur ajoutée en faveur du salaire et au détriment du profit, mais de se passer des capitalistes, d’affecter toute la valeur ajoutée au salaire, y compris la part qui doit aller à l’investissement. Nous n’avons besoin pour travailler ni d’employeurs, ni d’actionnaires, ni de prêteurs. »
Le rapport salarial tel qu’il est conçu, est un mal. Il demande à être réinventé pour que nous puissions sortir de l’étau du capitalisme, à une vie de prisonnier dans un système injuste. Oui à plus de démocratie dans sa fabrique et pour cela il est utile de rêver…
«On commence par dire : cela est impossible, pour se dispenser de le tenter et cela devient impossible, en effet, parce qu’on ne le tente pas. »

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