À LA BOM : Une banque centrale doit être sensible aux voix des démunis, a déclaré le Dr Duvvuri Subbarao

Le Dr Duvvuri Subbarao, gouverneur de la Reserve Bank of India (RBI), la banque centrale de la Grande péninsule, a soutenu hier lors d’une intervention au siège de la Banque de Maurice (BoM), que toute banque centrale a la responsabilité d’être à l’écoute des voix des gens démunis qui sont parmi les plus affectés par l’inflation quand il s’agit de se prononcer sur la politique monétaire à suivre. Il a plaidé en faveur de la stabilité des prix, meilleur garant d’une croissance économique soutenue. Il a aussi déclaré que les conditions sont toujours présentes en Inde pour une croissance forte mais que le pays doit « do the right things » dans plusieurs domaines.
Devant un parterre composé de banquiers, d’économistes, de gestionnaires de fonds et de chefs d’entreprise, le Dr Subbarao, 63 ans, 22e gouverneur de la RBI depuis septembre 2008, a présenté les grand enjeux macroéconomiques auxquels l’Inde doit faire face et le rôle de la banque centrale de ce pays pour pouvoir relever ces nombreux défis économiques dans un environnement international difficile. Brossant, d’abord, un tableau de la performance macroéconomique de l’Inde, il a indiqué que la croissance sera modérée pour l’année financière se terminant au 31 mars 2013 et tournerait autour de 5 %, soit le taux le plus bas de ces dix dernières années. L’inflation demeurera élevée et têtue alors que le déficit des comptes courants de la balance des paiements pourrait être supérieur à celui du précédent exercice financier (4,2 %).
Le gouverneur de la RBI a également mis l’accent sur le ralentissement des investissements. « L’environnement macroéconomique est différent de celui qui avait prévalu avant le déclenchement de la crise financière. De 2003 à 2008, le taux de croissance moyen était de 8,7 % et de 2005 à 2008, l’Inde a affiché un taux de croissance moyen de 9,5 %. Notre économie a été touchée par la crise globale mais ce revirement n’est pas le fait de facteurs exogènes uniquement mais aussi de facteurs internes », a-t-il souligné.
Intégration
Qu’a fait la banque centrale indienne pour gérer à la fois le problème de croissance économique et de l’inflation ? Le Dr Subbarao a argué que l’économie indienne avait pu surmonter avec un certain succès les premières années de crise globale mais que ces dernières années elle a démontré les signes d’une modération. Il a expliqué que la performance de l’Inde pendant les premières années de crise est due aux réformes économiques adoptées dans les années 90, à une meilleure intégration de l’économie indienne à l’économie mondiale, à l’amélioration de la productivité, à l’esprit d’entrepreneuriat, à des investissements accrus et à la montée de la consommation dans les régions rurales. « L’investissement était financé en grande partie par l’épargne domestique. Il y avait la confiance chez les investisseurs », a-t-il expliqué. Mais ces deux dernières années, la croissance a été surtout tirée par la consommation et, compte tenu de la baisse des exportations nettes, l’Inde s’est retrouvée devant un problème de déficit des comptes courants de plus en plus aigu.
Inflation à double chiffre
Pour ce qui est de l’inflation, a poursuivi le gouverneur de la RBI, la situation était sous contrôle pendant quelques mois en pleine période de crise mais elle s’est aggravée de 2010 jusqu’au début de 2012, atteignant même le double chiffre. Ce n’est qu’au cours des derniers mois qu’on a noté un repli. La poussée de l’inflation ces dernières années peut être expliquée par la montée des prix des produits alimentaires, des matières premières dont les produits pétroliers et la pression de la demande. L’inflation alimentaire est une résultante du succès économique enregistré au niveau des régions rurales. Avec la hausse de ses revenus, la population rurale a commencé à consommer plus et mieux. L’autre facteur qui a été à la base de la progression de l’inflation est l’augmentation des prix des produits pétroliers. L’Inde importe environ 80 % de ses besoins en produits pétroliers. Les prix de ces produits sur le marché local sont subventionnés mais, avec la dépréciation de sa monnaie, le coût des importations s’est accru. Le gouvernement a eu à ajuster les prix de ces produits ces derniers mois.
La pression de la demande notamment celle venant des régions rurales a été le troisième facteur à la base de l’inflation. « À moins que l’Inde n’augmente sa capacité de production à un rythme plus rapide que la progression au niveau de la demande, elle se retrouvera toujours avec une forte inflation sur les bras », a prévenu le Dr Subbarao.
Le gouverneur de la RBI a expliqué les actions prises par la banque centrale pour contrôler l’inflation, mettant l’accent sur le resserrement de la politique monétaire. Ainsi, le taux d’inflation qui était à un peu plus de 10 % dans le passé a été ramené à environ 7 %. « Normalement, lorsque la croissance diminue, l’inflation commence à baisser mais le cas de l’Inde est différent. Il y a des contraintes spécifiques au sein de l’économie indienne : problèmes d’infrastructure, déséquilibres sectoriels, dépréciation de la roupie, gros déficit budgétaire, entre autres », a-t-il fait remarquer.
Le Dr Subbarao a soutenu que lorsqu’un pays fait face à un tel niveau d’inflation, il faut accepter une certaine baisse de la croissance économique pour pouvoir le juguler. « Some sacrifices of growth are inevitable », a-t-il dit mais ceci n’est valable que pour le court terme car dans le moyen terme, la stabilité des prix et une inflation faible est la meilleure garantie d’une croissance durable. C’est le défi que doit relever la RBI. Il existe des pressions sur les banques centrales pour qu’elles soutiennent la croissance économique tout en combattant l’inflation. Dans nombre de pays, il y a des lobbies de la part des opérateurs commerciaux et industriels en faveur d’une baisse des taux d’intérêt et pour que la croissance soit privilégiée. « Je sympathise avec ces gens dont les préoccupations sont répercutées dans la presse et sont entendues dans les milieux politiques. Mais la voix de la grande majorité de la population, les plus démunis, n’est pas entendue », a déclaré le gouverneur de la RBI. Une banque centrale, a-t-il ajouté, a la responsabilité de montrer qu’elle est sensible aux problèmes des démunis, ceux qui sont les plus affectés par l’inflation.
Libre de toute pression
Quelqu’en soient les causes, si l’inflation persiste pendant longtemps, il est certain que les « inflation expectations » vont augmenter et dans une telle éventualité, la politique monétaire devient la première ligne de défense afin de ne pas laisser ces attentes prendre des proportions démesurées. Une banque centrale, a-t-il poursuivi, doit être libre de toute pression dans l’élaboration de sa politique monétaire.
Le gouverneur de la RBI a ensuite élaboré sur le déficit des comptes courants de la balance des paiements de l’Inde, problème qui s’est accentué avec la baisse des exportations et l’accroissement des importations. Il a fait ressortir qu’environ 50 % du déficit étaient dus à l’importation accrue de l’or. L’inflation étant élevée, les Indiens considéraient que des placements dans un produit comme l’or étaient des plus sécurisants. « On avait aussi pensé que la dépréciation de la roupie indienne allait contribuer à une hausse des exportations mais cela ne s’est pas produit. Je considère que la compétitivité des exportations ne doit pas être tributaire du taux de change de la monnaie nationale mais elle doit venir de l’intérieur de l’entreprise » a fait ressortir le Dr Subbarao.
Le gouverneur de la RBI a estimé que les perspectives de croissance de l’économie indienne sont toujours présentes et que les moteurs de cette croissance sont, entre autres, l’entrepreneuriat, la productivité, la démocratie, l’augmentation de l’épargne, un système légal solide. Toutes les conditions nécessaires sont, selon lui, réunies pour une croissance ferme de l’économie indienne. « India’s growth story is intact », a-t-il dit tout en mettant en garde qu’il n’y a pas de loi divine que l’économie indienne doit absolument croître à un rythme plus rapide que son taux de croissance actuelle. Mais, l’Inde pourrait le réaliser si les réformes économiques sont mises à exécution, si les problèmes de bonne gouvernance sont réglées, s’il y a stabilité des prix, un environnement financier stable et si l’on sait instaurer la confiance chez les investisseurs.

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