La haine, force destructrice

UMAR TIMOL

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Vous n’êtes pas un raciste. Certainement pas. Vous avez probablement des préjugés. Comme tout le monde. Qui peut prétendre être dénué de préjugés ? Et on peut s’en défaire. Il suffit de faire un effort. Mais vous n’êtes pas un raciste. Vous ne détestez personne. Vous ne haïssez personne. Vous respectez les autres. D’ailleurs, vous avez des amis au sein de toutes les communautés. Vous considérez que la différence est une richesse. Il faut s’enrichir au contact des autres.

UMAR TIMOL

Vous n’êtes pas raciste mais vous sentez la haine en vous. Vous savez que ce n’est pas bien. La haine est une force destructrice. C’est ce qu’on vous a appris à l’école. Qu’il faut avoir recours à la raison pour comprendre le monde. Que l’émotion est nécessaire mais qu’elle peut être irrationnelle et incontrôlable. Mais la haine est là. En vous. Comme un virus qui, à votre insu, se répand lentement dans votre corps.

Quand vous les voyez, vous vous énervez. Pourquoi est-ce qu’ils ne peuvent pas, par exemple, se vêtir comme nous ? Est-ce si difficile de porter des vêtements normaux ? C’est leur droit bien sûr mais est-ce qu’ils n’en font pas trop ? Et est-ce qu’on peut vraiment leur faire confiance ?

Vous les côtoyez au quotidien. Ce sont vos amis et collègues. Ce sont, dans l’ensemble, des gens bien. Il y a évidemment quelques-uns qui sont des idiots mais on trouve des idiots partout. À vrai dire, il n’y a pas grand-chose qui les distingue des autres citoyens, ils ont les mêmes problèmes, les mêmes soucis. On peut considérer qu’ils sont un peu trop religieux mais c’est un choix personnel. Du moment qu’ils respectent les lois du pays, qu’ils se comportent correctement on n’a pas à s’en faire.

Mais la haine est en vous. Et elle est dans le cœur de beaucoup de gens. Ces derniers temps ils se laissent aller à dire le fond de leur pensée. Qu’il faut reconnaître qu’ils ne sont pas comme nous, que leur religion est arriérée et barbare. Qu’ils ont un problème avec la violence. Qu’ils oppriment leurs femmes. Qu’il est temps qu’ils retournent dans leurs pays. Qu’est-ce qu’ils foutent ici ? On leur donne tout, nos valeurs, nos principes et ils ne sont pas capables de s’intégrer.

Vous savez que ce sont des paroles faciles. Mais avec un fond de vérité. D’ailleurs, quand vous regardez la télévision, quand vous surfez sur le net, que voyez-vous ? Des choses détestables. Des actes de violence atroces. Des fanatiques religieux qui revendiquent leur fanatisme. Des femmes soumises. Et ils sont parmi nous. Comment une cinquième colonne. Et vous vous dites que le corps social est gangréné. Ils parviendront à détruire notre beau pays, à en faire un champ de ruines, comme tant d’autres pays.

Ensuite vous vous calmez. Avoir recours à la raison. Faire la part des choses. Appréhender la complexité. Penser au contexte historique. Au contexte actuel. Il le faut.

Puis il y a une nouvelle atrocité. Pire que la précédente. Et là vous vous dites non, il faut que ça s’arrête, on en a marre, on n’en peut plus, ce sont des barbares, des monstres, tous sans exception. Vous les haïssez et à raison. Est-ce qu’ils méritent autre chose, peut-on faire preuve de compassion à leur égard, peut-on essayer de les comprendre alors que chaque jour on découvre ce qu’ils sont véritablement, derrière le masque, visage double, des hypocrites, des imposteurs, ils cachent bien leur jeu, ils veulent nous nuire, ce sont des bêtes, au cœur de notre société, qui patiemment et systématiquement œuvrent à sa destruction.

Ce matin, vous avez vu une des leurs, et vous avez eu envie de l’injurier et de lui cracher dessus. Il faut qu’ils comprennent qu’on ne peut ainsi se comporter, qu’on ne peut défier nos lois, nos coutumes, qu’on doit se civiliser, qu’on doit s’humaniser.

Et quand vous voyez les politiciens à la télévision, – vous vous en méfiez il est vrai mais il faut reconnaître qu’ils ont parfois raison –, parler de la nécessité d’une politique dure, répressive à l’égard de ces extrémistes, vous vous dites qu’ils ont bien raison, il est temps d’en finir avec toutes ces crapules. Qu’on les emprisonne. Qu’on les renvoie chez eux. Les politiciens et les intellectuels parlent de ‘guerre’ et c’est bien de cela qu’il s’agit. Il ne faut pas se leurrer. En finir avec les thèses relevant du droit-de-l’hommisme. Le culte gauchiste de la diversité. Il faut écrabouiller les bêtes.

Et vous aimez cette haine. Vous vous sentez bien. C’est une énergie sombre, vitale, qui traverse votre corps, qui vous donne envie d’être. Vous êtes euphorique. Vous ne vous êtes jamais senti aussi bien. Vous avez envie de rire. Et vous oubliez. Car c’est de cela qu’il s’agit. Vous aider à oublier. Oublier qu’on ne parle jamais ou très peu de ceux qui détiennent les rênes du pouvoir, les maîtres du monde, qui décident de votre destin et de celui de vos concitoyens, qui s’empiffrent d’argent alors que vous vous enfoncez dans la précarité et la pauvreté, oublier que la répression contre la minorité mènera inéluctablement à la répression contre tous, oublier que la peur est le terreau du totalitarisme, oublier que votre solidarité est avec ceux qui sont dominés, oublier que la haine de ceux qui partagent votre condition est une stratégie de diversion des vrais problèmes, oublier que certains médias appartiennent à ces maîtres du monde et qu’ils distillent la haine dans votre cerveau fatigué pour mieux vous asservir, oublier ce qu’un grand homme a un jour dit. Que « si vous ne faites pas attention, les médias vous feront détester les opprimés et aimer les oppresseurs ».

Vous n’êtes pas un raciste mais vous ne pouvez vous empêcher de haïr. Et cette haine instrumentalisée, vous ne le savez peut-être pas, est un état de grâce. La grâce de l’oubli de soi.

Cet oubli qui est le prélude à l’extermination de l’autre.

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