L’affaire des Chagos : d’apparentes controverses juridiques en question…

Dr LUTCHMAYAH APPANAH (Docteur en droit, Sorbonne/sceaux,Paris)
DEA—Diplôme d’Etudes approfondies, (René-Descartes-Sorbonne sous La direction de Guy Feuer et Alain Pellet), professeurs Emérites en droit international)
Ex-avocat—France /Réunion

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Dr VASANT BUNWAREE, Cardiologue, Bordeaux, France, Ancien ministre des Finances et de l’Education

A. Un bref exposé des faits principaux

Vers les années 60, la guerre froide entre les deux plus grandes puissances, les États-Unis et l’Union soviétique, se mettent à effrayer le monde. Dans la même foulée, les grandes vagues de la décolonisation déferlent sur le plan planétaire. En outre, les résolutions (rés-1514 et suite) de l’ONU et le groupe de 77 (groupe des non-alignés, avec Jawaharlal Nehru, Jomo Kenyatta, Nasser) accélèrent le processus de la décolonisation soit par la guerre soit par la diplomatie.
C’est dans ce contexte précis qu’il faut situer l’imbroglio dans lequel se trouve à la fois l’île Maurice, le Royaume-Uni et les États-Unis.

En droit international du développement

Dans l’espace-temps, les problèmes géopolitiques et géostratégiques mondiaux prennent toujours de nouvelles tournures.

B. La décolonisation inachevée

La décolonisation, même tardive dans l’océan Indien, est encore inachevée. La déclaration de l’ONU de 1970 insiste avec fermeté que tous les peuples ont le droit à la libre détermination et proclame ainsi la nécessité de mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme.
Mais très sérieusement depuis la menace de la guerre froide, l’île Maurice avec ses îlots, les Chagos et les autres aux alentours, est prise obstinément en tenaille entre l’ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni et la plus grande puissance du monde, les États-Unis.
Devant un tel imbroglio légal et politique qui perdure, ce conflit risque de durer ad vitam aeternam. C’est pourquoi il est grand temps que la communauté internationale mette un terme définitif à cette revendication justifiée, pour ne pas dire conflit.

C. « Jus cogens », le principe  de l’ordre public international

Le principe du Jus cogens constitue le fait que quand une obligation naît à la charge d’un État, l’autre État aura le droit d’en exiger l’exécution.
Ici, il relève de la responsabilité exclusive du Royaume-Uni d’octroyer la pleine souveraineté à l’île Maurice, y compris tous ses îlots et aucune excision n’est admissible.
Ceci dit, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être appliqué intégralement à l’ensemble des colonies appartenant à l’île Maurice avant l’indépendance de 1968.

Ce droit est un droit naturel, de valeur éthique qui prend un caractère d’universalité.
Sous cet aspect, le non-respect de principe du Jus cogens pourrait être considéré comme une atteinte à la souveraineté des États – la base même de tout ordre international.
Citons deux affaires juridiques, voire deux jugements en la matière, et il y en a plein d’autres.
1/ En 1998, le Tribunal Pénal international pour l’Ex-Yugoslavie dans l’affaire Furundzija déclare que l’interdiction de la torture est une obligation Erga omnes et une norme de Jus cogens.
N’oublions pas que les Chagossiens ont été aussi torturés moralement lors de leur exil forcé.
2/ Dans l’affaire Burkina-Faso/Mali, la Cour internationale de justice a émis un jugement en vertu duquel il est stipulé qu’un État devenu indépendant acquiert toute sa souveraineté sur tous ses territoires sur lesquels régnait le pouvoir colonial avant l’indépendance (traduit—pp88, Professeur Malcolm Shaw, The principles of uti possedetis today,1997
Le Jus cogens s’impose.

D.Uti Possedetis juris (Vous posséderez ce que vous possédiez déjà)
Conformément au Traité de Paris, 1814, les îles de Chagos, Diego Garcia, Peros Banhos, et Salomon, y compris les quelque 54 cailloux aux alentours appartenaient au Royaume-Uni et simultanément toutes ces colonies étaient bien britanniques.
Après l’indépendance, toutes ces colonies sans aucune exception devraient normalement revenir à l’île Maurice.

Un des principes fondamentaux du droit international stipule et confirme que les pays indépendants doivent intégralement récupérer tous les territoires terrestres et maritimes qu’ils avaient avant l’indépendance. C’est indéniablement le cas de l’île Maurice.
Plus juste encore, l’occupation et le contrôle de ces territoires étaient de facto et de jure, permanents par l’autorité mauricienne.

Plus grave encore, le principe de l’intangibilité des frontières aurait dû être respecté stricto sensu par ces pays dits développés, les États-Unis et le Royaume-Uni.
Il existe des preuves qu’en 1881, parmi quelques centaines d’habitants qui y résidaient, il y avait des Africains, des Malaisiens et des Tamouls de l’Inde du sud.
Ceci dit, l’occupation était bien effective et non symbolique et elle est bien la base même de toute souveraineté.

À cet égard, j’insiste même à affirmer comme le Professeur H.Accioly du Brésil que la doctrine de L’Uti Posseditis pourrait même être assimilée à la prescription acquisitive – le droit réel d’une possession après un certain délai.

Mais à la surprise de la communauté internationale, comment se fait-il que ce même principe, Uti Posseditis a été respecté sans heurt quelconque à l’égard des Seychelles lors de son indépendance en 1976 et qui a, en même temps, récupéré tous ses îlots, le groupe Aldabra et Desroches, faisant partie intégrale du British Indian Ocean Territory (BIOT), État créé artificiellement par le Royaume-Uni en défiant ouvertement le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?

Et a contrario, ce même principe a été bafoué à l’égard de l’île Maurice surtout quant à ses îlots, les Chagos. Quelle cruelle injustice ?
N’est-il pas légalement pertinent d’affirmer que le cas des Seychelles ressemble à celui de l’île Maurice ? Dans un tel cas, le précédent, c’est-à-dire la décision avec force contraignante, prise par le Royaume-Uni à l’égard des Seychelles doit être le même pour l’île Maurice. Notons au passage que le précédent en common law s’impose et présente un caractère obligatoire pour des décisions futures concernant des cas semblables (cite A.Goodhart « le précédent en droit anglais », Annuaire de l’institut international de philosophie du droit et de sociologie politique) – Gallica, pp38, 1934

E. Des contre-mesures en droit international public

On accuse des contre-mesures de constituer une sorte de chantage que certains États peuvent mettre en exergue pour parvenir à leurs fins – c’est ce qui s’est passé entre le Royaume-Uni et l’Île Maurice en 1965, par la remise de fonds, voire des millions de livres sterling à l’État mauricien. Il s’agissait d’une contre-mesure, donc d’un chantage en droit pénal international.

Pire encore, il s’agissait d’une circonstance aggravante où l’auteur du chantage, le Royaume-Uni, avait mis sa menace à exécution dans des conditions précises.
L’idée était que pour accéder à l’indépendance, l’île Maurice devait à tout prix accepter les ordres de la Reine (Orders in Council), considérés comme « secret efficient » d’après Walter Bagehot, constitutionnaliste britannique, non ceux du parlement dans un pays qui a donné naissance à la démocratie parlementaire. Quel paradoxe?
Plus grave encore, l’île Maurice aurait une garantie pour l’écoulement de son quota de sucre, l’autre moyen de chantage.

C’est de cette manière sournoise, secrète et en catimini que le BIOT a été créé dans le dos de l’île Maurice qui, à cette période, était une colonie britannique aspirant à l’indépendance.
Par ces motifs, vu les résolutions de l’ONU, vu plusieurs commentaires et ouvrages par des érudits en la matière, vu les avis, peut-être non-contraignants des institutions internationales, et des arbitres internationaux, et des jugements de cours internationales,
Voir dire,

1/ À titre principal, que conformément aux multiples résolutions des Nations unies et du droit international, la Souveraineté de l’île Maurice sur les Chagos est incontestablement de plein droit;
Et
2/ À titre subsidiaire, que c’est à l’île Maurice, État de droit, après l’acquisition de la pleine souveraineté, de voir dans le cas de changement fondamental de circonstances (rebus sic stantibus) et des exigences de l’ordre international, comment traiter l’affaire de sécurité et de défense directement avec les États-Unis.

Et ce sera JUSTICE

Sous toutes réserves.

 

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