“Lamarel lavi” : l’écrivain Alain Fanchon !

SEDLEY ASSONNE

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Peu d’écrivains locaux ont osé aborder le sujet des bagarres raciales dans leurs textes. Je connais un auteur mauricien, désormais établi à Bordeaux, qui a écrit un roman, à résonance autobiographique, sur ce thème. Il avait été un des membres actifs d’une bande de jeunes loubards de la capitale. Le texte n’a jamais été « reviewed » par la presse locale, et le livre n’est disponible que sur le circuit Amazon.

Avec son premier roman, Alain Fanchon, le poète de « Ti bato papye », s’affirme d’emblée comme un écrivain. Cela, en construisant un univers que la nouvelle génération n’a pas connu et qui est enfin déplié sous nos yeux. D’ailleurs, au vu du nombre de morts qu’ont faits les bagarres raciales, il est étrange que les autorités de l’époque n’aient pas mis sur pied une Commission d’enquête pour situer les responsabilités, et faire payer les coupables. Un peu comme ce qui s’est passé lors des émeutes de février 1999, quand des lance-flammes furent utilisés à Cité Mère Teresa, à Goodlands. À ce jour, personne n’a été interpellé pour ça !

Alain Fanchon nous avait déjà montré son talent de poète, avec un poème désormais traduit en plusieurs langues. Mais il a voulu voguer plus loin que l’horizon de « Ti bato papye », et avec « Lamarel lavi » on peut dire qu’il a atteint avec succès le rivage de l’écriture romanesque. Et quand en plus, il sait ajouter sa poétique de l’image dans son texte, on ne peut qu’être séduit par son talent de conteur et de poète :

« Zanzak rapel, li ti pe diboute omilie enn ti karo fler dan lakour. Ti ena bann fler rouz, mov, blan, roz, violet, kouler separe, kouler melanze… Parmi bann fler Kana, Margrit, Kis-mi-kwik… Li ti pe dibout anfas soley. Reyon soley ti pe kares bote bann petal fler avek so saler, so lalimier ti pe ekler tou sa kouler miltikolor la ek enn zoli refle. San fer preferans, enn bann ti papiyon kolorye ti pe vinn fer zoli-ker ek bann ti fler alert, poz enn timama lor enn, fer enn ti bizou apre anvole lor enn lot. Koumadir zot pa ti pe kone ki zot pou swazir… »

Une description visuelle qui donne une idée du contenu du livre, où l’auteur accorde beaucoup d’attention aux petits détails du quotidien. Il faut remonter à Malcolm de Chazal, pour une semblable description, quand l’azalée parlait à voix haute au génie !

Mais la flore n’est jamais un prétexte pour ne pas dire la vérité. Même en présence des enfants. Et on soupçonne l’auteur d’être en fait le narrateur de cette histoire se déroulant dans le Port-Louis pré-indépendance, et qui va basculer dans l’horreur, poussant deux communautés à s’entre-déchirer. À qui a profité cette fracture communale ? À qui profiterait ce communalisme violent qui a coupé un pays en deux, et forcé à l’exode une bonne partie de sa population ? « Bomatin pe arive, pe donn Azann… » Dans ce pays, l’appel à la prière était chose naturelle pour tous, et ne dérangeait jamais personne. Mais il était dit que l’unité ne deviendrait qu’un vain mot.

L’auteur prend le prétexte d’une amitié entre une Musulmane et un Créole, pour nous raconter ce Port-Louis d’antan où il faisait bon vivre dans ces grandes cours où les locataires goûtaient au parfum du paradis. Préfacé par Cassam Uteem, qui a vécu dans ces grandes cours où se côtoyaient de multiples familles, le livre est une plongée dans ce passé inconnu. Le président Uteem souligne d’ailleurs que « sa liv-la rakont enn epizod trist e trazik nou listwar, listwar nou pei ». J’ai lu que le ministre Avinash Teeluck promettait l’enseignement de l’histoire au primaire. Un vœu pieux, comme le font beaucoup de politiciens. Car, qui osera inclure le sujet des bagarres raciales au curriculum ? Et quel historien dira, avec objectivité ce qui a vraiment séparé Zahera de Zanzak ? Cassam Uteem rappelle que « enn group, bien bien minoriter, ti pe pran plezir zet delwil lor dife pou ki bagar-la fane partou dan pei. Enn deziem group ti fini klwatre dan zot lakaz telman zot ti per. E anfin enn trwaziem group, e zot ti boukou pli nonbre, dan kote kreol dan kote mizilman, ki ti fer tou pou anpes sitiasion deteryore, me malerezman bann lespri tinn telman sofe ki personn pa ti oule tann zot lapel ».

Et c’est ainsi que Port-Louis s’embrasa. Les semeurs de haine instillèrent d’abord la rumeur dans la capitale, puis s’en prirent au cinéma Vénus, à la rue Brabant. Était-ce une guerre des gangs, qui dégénéra en bagarre raciale ? Était-ce le fait de politiciens, voulant saper le processus d’indépendance du 12 mars ? On ne le saura jamais, puisqu’il n’y a jamais eu de Commission d’enquête. Mais il est bon qu’Alain Fanchon remette le sujet à jour ; au contraire d’autres auteurs plus soucieux du paraître en France que de construire l’imaginaire de leur propre pays !

Ce qui est beau dans ce que fait l’auteur, c’est qu’il fait revivre ce passé que beaucoup d’entre nous ont connu. Les grands-mères qui racontaient des histoires à leurs petits enfants, les parents débrouillards, qui vivaient de petits métiers, et surtout cette convivialité sans pareille entre communautés, qui ne se retrouve plus aujourd’hui. Alain Fanchon décline toute cette tapisserie d’un Port-Louis inédit. Où il fallait rentrer tôt chez soi, pour ne pas être victime de « lame rouz » et des innombrables tiourel, sorcières et autres êtres malfaisants qui hantaient les rues d’alors ! L’époque se prêtait aux superstitions. Car ce Port-Louis-là n’était pas bien éclairé, la nuit. L’ombre était donc indiquée pour faire naître toutes les peurs !

Mais personne n’était conscient qu’une plus grande peur allait gagner les cœurs. Et refroidir l’amitié qui régnait dans les grandes cours. Alain Fanchon, par petites touches, avec même l’air de ne pas y toucher, dévoile petit à petit la trame qui se joue autour des murs de son quartier. « Mous zonn pe anvole fode pa koste pou rod sikann ek zot. » Ceux qui mystifièrent les guêpes de la vengeance sont malheureusement restés impunis. Mais on peut être sûrs qu’ils n’ont jamais gagné le Ciel. D’ailleurs, ont-ils jamais joué à la marelle, ou à ces autres jeux d’enfants de notre époque ? Bien sûr, ils comptent toujours des descendants sur cette île. Et si avant c’était Wasp (les mous zonn de la haine), aujourd’hui c’est WhatsApp, et on parle de sabres et de fusils. Et comme en 1968, les autorités ne malheureusement sanctionnent pas sévèrement ce genre de dérives.

Les écrivains sont des messagers, des voyageurs du temps qui viennent nous avertir, nous interpeller. Alain Fanchon est venu nous dire, au travers de « Lamarel lavi », que notre pays aurait pu être un Liban ou une Yougoslavie. Dieu merci, ceux qui aiment la paix sont toujours en nombre, et Cassam Uteem en fait partie. Mais, les pyromanes ont laissé des descendants. À nous donc d’être toujours vigilants. D’où l’importance de lire ce magnifique roman en créole, et d’accueillir Alain Fanchon dans le milieu littéraire local. Il faisait partie des poètes d’expression créole qui forçaient l’admiration avec son « Ti bato papye ». Avec « Lamarel lavi », il vient se poser en rempart contre les diviseurs. Tout comme nous devons l’être face aux roder bout qui pullulent encore sur la mappe. Notre pays reste encore à construire, avec le ciment de l’unité. Le roman d’Alain Fanchon est une pierre d’angle de ce projet ambitieux. Ne jamais oublier, comme le rappelle Azad, « koumadir sa lepok-la, ti ena lesans ki ti pe fane, ti pe zis atann zalimet pou fer zafer-la flanbe… »

Merci Alain Fanchon, pour ce « Lamarel lavi » qui veut nous prémunir contre toute tentative de division. Et contre le venin de la haine !

Hautement recommandé !

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