L’ASP Tuyau : « La mafia KO en partie »

— « Peroumal Veeren, Siddick Islam et l’Africain Christopher Kabinda sont toujours actifs, et peut-être le sont-ils davantage à l’intérieur des prisons qu’en dehors », explique-t-il

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— À propos du Temwin Sok Samachar : « Les informations révélées par ce témoin ne sont pas fiables »

— Au tableau de chasse de l’ASP Tuyau : 17 hommes de loi, 37 policiers, 102 officiers de la prison, 2 cambistes et 7 029 personnes coupables d’avoir « illégalement communiqué » avec des détenus

Le mot de la fin est revenu à l’assistant surintendant de police Hector Tuyau. La dernière audition de la Commission d’enquête sur la drogue était ainsi consacrée au policier qui, pendant presque une heure, a fait état de plus de deux ans d’enquête aux côtés des membres de l’instance, placée sous la présidence de l’ancien juge Paul Lam Shang Leen. Hector Tuyau a fait ressortir qu’« à ce jour, la mafia a été partiellement démantelée ». Il ajoute : « Nous avons agi sur la base d’informations très solides selon lesquelles nombre des transactions du trafic de drogue se faisaient de l’intérieur de la prison. » Dans le sillage des enquêtes initiées en ce sens, Hector Tuyau a indiqué : « Incarcérés et classés comme trafiquants de drogue, Peroumal Veeren, Siddick Islam et l’Africain Christopher Kabinda sont toujours bel et bien actifs, même s’ils sont derrière les barreaux. »

La cellule des enquêteurs placée sous la houlette de l’ASP Hector Tuyau a été mise en place le 5 avril 2016, soit environ six mois après que la Commission d’enquête sur la drogue a démarré ses travaux. Répondant au président Lam Shang Leen, le policier a soutenu que « la mafia ait été partiellement démantelée, et ce par le biais des enquêtes menées sous la férule de la Commission d’enquête sur la drogue ». Il a aussi précisé que bien qu’ils aient pu remonter jusqu’à certains réseaux, « il reste d’autres qui sont toujours en activité ».

L’ASP poursuit : « Nous avons délibérément concentré nos efforts sur la prison, car nous avions des informations solides selon lesquelles la plus grande partie de la drogue qui pénétrait dans le pays était issue des transactions menées à l’intérieur de nos prisons. Nos informations étaient que des caïds locaux, incarcérés, mais également des ressortissants étrangers, également en détention et écroués pour des affaires de drogue, étaient toujours très actifs, bien qu’ils soient derrière les barreaux. » Au cours de l’enquête, dit-il, « nous avons compris que le “modus operandi” principal pour mener ces transactions avec leurs complices, se trouvant à l’extérieur, se fait par le biais du téléphone cellulaire comme dans d’autres pays ». « Articles illégaux en prison, téléphones et cartes Sim sont par exemple introduits par le biais d’officiers de la prison corrompus, ainsi que d’autres personnes, comme des proches des détenus », indique l’ASP.

Au fil des enquêtes initiées et menées avec le concours des unités de la prison, la cellule de l’ASP Hector Tuyau a procédé à des saisies de portables et de cartes Sim sur nombre de détenus. « Nous avons sollicité l’aide de l’IT Unit de la police ainsi que les opérateurs de cellulaires locaux, afin d’analyser en profondeur ces éléments clés. Passer au crible ces téléphones portables et les cartes Sim trouvées sur les détenus et les corroborant avec des informations provenant d’autres sources fiables, nous a permis de découvrir que des hommes de loi, des policiers, des officiers de la prison, des cambistes, ainsi que de très nombreuses personnes sont impliqués dans ce vaste réseau…», explique-t-il (voir plus loin).

Mais le plus important, a relevé l’ASP Tuyau, c’est que « Peroumal Veeren, Siddick Islam et Christopher Kabinda, tous écroués pour des délits liés à la drogue et classés comme des trafiquants, sont toujours très actifs, et ce, bien qu’ils soient derrière les barreaux ». En fait, dit-il, « peut-être sont-ils davantage actifs que s’ils étaient en liberté… »

Enter Martha Roux
& Navind Kistnah

Le policier, dont la tête avait été mise à prix, tout comme celle de l’ex-juge Paul Lam Shang Leen, a indiqué que « nous soupçonnons Peroumal Veeren, communément qualifié de Pablo Escobar local, d’avoir étendu son sale business hors des frontières mauriciennes, et d’agir de connivence avec des caïds se trouvant sur le continent africain ». Pour étayer son propos, le policier a soumis à la Commission des informations relatives aux « factures détaillées de deux numéros de téléphone saisis sur Veeren, à savoir les 54 73 45 77 et 58 54 93 83, et qui témoignent du fait qu’il ait communiqué 854 fois avec une personne se trouvant en Afrique du Sud, utilisant le numéro 277 861 111 110, et 60 autres fois avec un autre usager se trouvant en Tanzanie, sur le numéro 55 717 023 388. » Selon l’ASP Tuyau, « nous avons toutes les raisons de croire que la personne se trouvant en Afrique du Sud avec qui Veeren est en communication n’est autre que Martha Elisabeth Roux ». Le policier attaché à la Commission d’enquête a rappelé que cette ressortissante d’Afrique du Sud avait été arrêtée à Maurice, le 2 mars 2003, pour importation d’héroïne. Celle-ci fut rapatriée en Afrique du Sud le 18 février 2013 et son numéro de téléphone, le 277 861 111 110, a été retrouvé dans le carnet saisi sur Peroumal Veeren, de même que le numéro de son compte bancaire.

De plus, le 12 juillet 2015, la carte Sim correspondant au numéro 54 73 45 77 fut trouvée sur le détenu Veeren. « Le rapport de l’unité IT de la police a révélé que la mémoire de cette carte contient une foule de messages (SMS) très importants et révélateurs de la connexion entre Peroumal Veeren et Navind Kistnah. Celui-ci utilisait le numéro 58 90 80 51. La teneur des messages échangés entre ces deux hommes concerne l’achat d’équipements, dont un “air compressor”, dans le cadre d’une importation d’un cargo de drogue. », souligne Hector Tuyau.

Par ailleurs, devait-il ajouter, le détenu Veeren a reçu plusieurs “unsolicited visits” de divers hommes de loi. « Nous soupçonnons que certains parmi eux sont des complices du trafiquant. »

Islam & Kabinda

L’autre “high profile detainee” auquel la cellule d’enquêteurs de l’ASP Tuyau s’est intéressée de près n’est autre que Siddick Islam, dit Ner. « Le 19 juillet 2017, le détenu Siddick Islam nous a volontairement remis deux colis qui contenaient du Lannate, selon les analyses par le FSL, ainsi que du cannabis synthétique », a précisé l’ASP. De plus, devait ajouter le chef enquêteur de la Commission, « plusieurs téléphones cellulaires et des cartes Sim ont été saisis de ce détenu ». Passant au crible les numéros trouvés en sa possession, « il s’est avéré que lui aussi était en contact permanent avec des complices se trouvant à Maurice, ainsi qu’à l’étranger ». L’ASP Tuyau a révélé que « le 30 mars 2011, le ressortissant français Matthieu Blondeau fut arrêté avec 9 984 tablettes de Subutex ». Il fut rapatrié le 11 décembre 2014 et son numéro de téléphone, le 337 843 466 36, apparaît dans le carnet saisi sur Siddick Islam. Le policier a indiqué qu’« après qu’il a regagné la France, Matthieu Blondeau a été en communication à 23 reprises avec Siddick Islam ». Comme Peroumal Veeren, « Siddick Islam a également reçu des “unsolicited visits” de la part de plusieurs membres du barreau ».

S’agissant du Burundais Christopher Kabinda, l’ASP Hector Tuyau a noté que « cet homme, qui fut arrêté le 30 juin 2000 et condamné pour importation d’héroïne, a effectué deux virements bancaires de fortes sommes d’argent, totalisant Rs 1 068 004, et ce par l’entremise d’une étude d’hommes de loi en Belgique ». La récipiendaire qui, le 29 avril 2008, a remis Rs 50 000 à un homme de loi qui rendait souvent visite à Veeren en prison. « En décembre 2013, cette femme a été arrêtée pour importation d’héroïne », précise-t-il.
Outre le fait que ces trafiquants de drogue soient toujours « actifs », l’ASP Hector Tuyau a relevé que « les proches de bon nombre de ces détenus écroués pour trafic de drogue, comme Peroumal Veeren, Siddick Islam, Raj Kumar Ittoo, Jimmy Alexi, Jimmy Marthe et Aslam Ally Aulum, ont acquis des biens par des moyens douteux ». La cellule du policier soupçonne fortement ces personnes d’êtres « des complices » des trafiquants. « Nous recommandons, de ce fait, que l’ADSU surveille de près ces personnes et que des instances, telles que la MRA et l’ICAC, initient des enquêtes sur elles. »

À l’issue de la présentation de son “final report” au président Lam Shang Leen et ses deux assesseurs, l’ancien ministre Sam Lauthan et le Dr Ravind Dhomun, l’ASP Hector Tuyau a tenu à remercier la Commission « pour la précieuse collaboration qui a permis d’abattre tout ce travail en ces quelques mois ».

Lam Shang Leen : « Le rapport dans deux mois »

Le président Paul Lam Shang Leen s’est adressé à l’assistance pour indiquer qu’il s’agissait de la « dernière séance » de la Commission d’enquête sur la drogue. « Nous allons maintenant poursuivre l’exercice de rédaction du rapport. Cependant, n’attendez pas à ce qu’il soit prêt rapidement », dit-il. Il devait souligner : « C’est un exercice ardu et long, qui réclame beaucoup de temps et d’application. Il y a déjà la transcription de tous ceux qui ont défilé devant cette Commission. De fait, d’ici deux mois, le rapport pourra être prêt. »
À l’issue de sa déposition, Hector Tuyau a indiqué que son équipe et lui avaient été « très contents d’avoir collaboré avec l’ancien juge Lam Shang Leen et son équipe ».Temwin Sok Samachar : « Pas fiable ! »

Le président de la Commission d’enquête sur la drogue, Paul Lam Shang Leen a posé quelques questions à l’ASP Tuyau à l’issue de sa déposition. Il a ainsi été question du fameux Temwin Sok Samachar. Paul Lam Shang Leen souhaitait savoir du policier si « votre équipe a suivi les pistes données par le témoin ». À cela, le policier a déclaré que ce témoin « n’est pas fiable ». « Nous avons mobilisé une foule d’effectifs de l’ADSU, de la SMF et de la SSU, entre autres, et nous avons mené des opérations suivant des informations que ce témoin avait soumises à la Commission et selon lesquelles de l’argent, entre autres, était caché dans divers endroits… Mais au bout du compte, il n’en était rien. » Qui plus est, devait ajouter Hector Tuyau, « s’agissant des dernières informations données le 8 mars, nous avons enquêté sur des personnes dont l’identité a été communiquée par le témoin ». « Il s’agit de personnes qui ont été arrêtées à un moment ou un autre par l’ADSU… »

Avocats, policiers, gardes-chiourmes épinglés

Plusieurs rapports, qui ont été soumis par l’ASP Tuyau à la Commission d’enquête sur la drogue, font état de diverses personnes, dont des professionnels du barreau, des policiers et des officiers de la prison, qui se sont retrouvées dans le collimateur des enquêteurs de la Commission. « Les noms de 31 avocats sont revenus dans ces enquêtes », a expliqué le policier. « Mais nous avons pu trouver des preuves contre 17 d’entre eux seulement. » Les enquêtes ont aussi révélé que « 37 policiers, dont 11 sont des propriétaires de chevaux, ont aussi été identifiés ». Il ajoute : « Cependant, seuls 8 d’entre eux ont pu être convoqués devant la Commission. Des 102 gardes-chiourmes, 18 ont déposé devant la Commission. Et des deux cambistes sur qui l’équipe avait des soupçons, un avait été convoqué par Paul Lam Shang Leen. »

Par ailleurs, « des 251 individus, 50 ont été convoqués par la Commission, tandis que 7 029 personnes ont été trouvées coupables d’avoir communiqué illégalement avec des détenus ». Il précise que des téléphones portables ainsi que des cartes Sim, enregistrées à leurs noms, ont été utilisées par ces détenus. « Tous ne pouvaient être présentés devant la Commission, mais le rapport relatif contient tous les détails à leur sujet. »
L’ASP Tuyau a aussi indiqué : « Le nom d’un attaché, travaillant dans une ambassade étrangère à Maurice, est venu sur le tapis. Cette personne a une carte Sim enregistrée à son nom, qui a été utilisée pour communiquer avec le détenu Louis Jimmy Marthe, alias Colosso. »

Lien ouvriers bangladeshis-Black Phones

L’ASP Hector Tuyau s’est longuement étendu sur le fait que le grand usage des téléphones cellulaires en prison, a été relevé. « Nous avons découvert qu’il existe un véritable réseau de “black phones”, avec un grand nombre de cartes Sim enregistrées aux noms de travailleurs étrangers, principalement des Bangladeshis », dit-il. Au chapitre des recommandations, Hector Tuyau a plaidé pour la mise en place d’un système de contrôle plus strict au niveau de la vente de cartes Sim par les opérateurs et les divers commerçants.

Blanchiment et “gaming houses”

À l’heure des recommandations, Hector Tuyau a également émis ses réserves quant à la façon de procéder de certaines maisons de jeux locales. Expliquant quelques actions menées avec le concours de la GRA et de la MRA, le policier a exprimé son souhait que certaines « dispositions légales soient mises en application » et que « certaines procédures soient revues afin d’assurer un meilleur contrôle dans ce secteur ». Cela, dit-il, « parce que nous soupçonnons fortement que certaines maisons de jeux s’adonnent au blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue. »

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