Le chant des oiseaux

REBECCA NEMORIN

« C’est drôle, on dirait que les oiseaux ont décidé de s’en donner à cœur joie ».
Ça a été le premier constat d’Anna, ma colocataire, au lendemain de l’annonce du confinement. J’écoute et, après cinq semaines cela reste vrai : partout retentissent, dans une harmonie plus ou moins réussie, roucoulements et gazouillis. Et, alors que je les écoute entrer par la fenêtre, je réalise que l’amas informe et monotone que l’on appelait jusqu’à lors « matin » prend justement des formes différentes. Comme si chaque bruit avait décidé de clamer son identité propre.

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Mais est-ce que c’est le monde qui tonitrue ou bien moi qui, brusquement, ai été arrachée à ma torpeur et forcée à regoutter au sein de Mère Nature ?

La quarantaine a été comme une pause In Real Life

Soudain, d’un commun-trois-milliards-et-des-poussières accord, nos routines ont été oubliées, réagencées pour y caser un enfant, un travail, des cours, un amour… Tout l’anodin reprend sens alors qu’on se prend les pieds dans les chaussures oubliées de son enfant, que l’on trébuche sur des problèmes de connexion, que l’on oublie de se réveiller à temps pour son cours… que l’on peine à trouver dans la distance la chaleur de l’être aimé.
Tout ce que l’on avait acquis semble vain. Le reste s’essentialise. Tout prend de l’importance parce qu’on réalise que l’on y est, dans l’important. Et on se dit que l’on va se retrouver, que l’on veut retrouver les plaisirs de la simplicité, les joies de la famille, du temps pour soit. Parce que maintenant nous pouvons le prendre ce temps : et nous le prenons, sans culpabiliser (ou presque).
Alors, on dresse des listes. Comme une liste de courses, mais ici nous cherchons à acheter l’essentiel.

On se réinvente. On décide de bouger ce corps que nous avons trop longtemps étouffé : on veut le laisser s’exprimer. On se laisse aller à la créativité, on se réinvente des loisirs. Avant, on s’imaginait top-chef, meilleur pâtissier, menuisier… eh bien maintenant, on l’est pour le plus grand plaisir (ou au grand dam) de nos proches. On écrit, on lit, on relit, on peint, on repeint… Nos pages Facebook, Instagram, nos stories Snapchat regorgent de nouvelles recettes, de home gym et de toutes nos autres créations. Les Sims 4 sont en promotion, ainsi que d’autres jeux vidéo : on les achète et on y joue. Encore et encore. On regarde les concerts des stars en ligne et on discute. Et puis on télécharge Discord, House Party, Zoom… pour ne plus négliger ceux qui l’ont été, faute de temps. On enchaîne alors deux, trois, quatre, voire cinq appels et on fait du sport en ligne avec ses ami.e.s afin de ne pas « perdre le contact ».

C’est drôle, mais je n’ai jamais été aussi connectée que maintenant.
Pourtant, la connexion est déjà rompue.
Nous avons remplacé une routine « engluante » par une autre tout aussi engluée. Nous avons dressé un voile de distractions pour ne pas avoir à sentir ce corps à travers lequel nous existons, cet esprit qui a besoin d’un ménage. Je m’en rends compte alors que j’écris ce texte, tout comme vous vous en rendez peut-être compte alors que vous lisez ces lignes qui défilent sur votre écran.

Nous contactons nos connaissances, ami.e.s, dans une frénésie d’existence par peur de l’oubli peut-être, peur de « perdre contact » alors qu’ironiquement, nous sommes beaucoup à l’avoir perdu ce contact. Car nous ne touchons plus l’autre comme avant, ni physiquement ni « émotionnellement », et surtout, nous nous sommes perdu.e.s dans les réseaux labyrinthiques du social.

Que faire de nous si nous ne sommes plus en ligne à clamer haut et fort notre présence? À demander à nos viewers de reconnaître cette existence à coup de réactions instantanées et d’émoji flamme. Car sans ça, c’est comme si nous disparaissions.
Bientôt le déconfinement sonnera le glas de nos semaines de « repos » et beaucoup espèrent un changement systémique, sinon un retour à « la normale », mais qu’est-ce que la normalité lorsque l’on ne prête tout simplement plus attention aux oiseaux qui chantent ?

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