Le dernier coup de sifflet

On ne cessera de le dire : notre modèle de société court droit dans le mur. Non seulement il aura accentué le compartimentage social, creusant davantage le fossé entre riches et pauvres, mais il aura en outre poussé l’arrogance jusqu’à ranger les moins biens lotis dans la catégorie des « mauvais citoyens », car piètres consommateurs, et ce, quand bien même notre système serait directement responsable de leurs conditions.

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Et cela, ce n’est que le volet social, car à cela seront venus s’ajouter d’autres phénomènes tout aussi anxiogènes, à commencer par le dérèglement du climat et son lot de conséquences.

Certes, l’on assiste à une certaine prise de conscience depuis quelques années, mais celle-ci se fait encore trop timide. D’autant que ce faisant, l’on s’attaque à notre modèle économique, si cher aux yeux d’une minorité, mais qui, du fait de sa toute-puissance, ne cédera jamais d’un iota sur tout item susceptible d’ébranler le château de cartes qu’elle aura mis si longtemps à bâtir. Ainsi trouve-t-on là l’explication première de notre relative léthargie sur les questions d’ordre climatique, quand bien même risqueraient-elles de mettre en danger la survie de l’humanité.

Cette paralysie congénitale s’applique d’ailleurs à toutes les sphères de notre appareil productiviste, complexifiant dès lors chaque jour un peu plus le problème. Prenons un seul exemple, celui du plastique. Présent aujourd’hui dans l’air, dans nos sols, dans nos eaux, et même dans notre corps, tout le monde s’accorde à rappeler le besoin impérieux d’arrêter sa production, et par ricochet sa consommation. Ce qui ne nous aura pourtant pas empêchés, rien que l’année dernière, d’en produire pas moins de 460 millions de tonnes.

Pire : si rien ne change, ce chiffre sera multiplié par trois d’ici à peine plus de 30 ans.
Pourtant, là encore, ce qui apparaît comme un non-sens a une explication simple comme bonjour : l’industrie du plastique déclare aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de… USD 1  000 milliards. Une somme colossale dont personne ne souhaite forcément la disparition, même si le « politiquement correct » oblige les États à quelques timides concessions. Il faut dire que, tout comme le pétrole, dont il est majoritairement issu (ou plus exactement du naphta, liquide issu du raffinage), le plastique est en quelque sorte devenu au fil du temps le matériau de base de la croissance économique. Autant dire que chercher à le bannir complètement équivaut un peu à la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

La mondialisation a ceci d’étonnant que si elle a permis aux populations de la planète entière d’accéder plus ou moins aux mêmes marchés (bien qu’avec des pouvoirs d’achat différents), et ainsi de pérenniser nos grandes industries, elle se sera en revanche révélée inefficace lorsqu’il s’agit de rassembler le monde autour de principes fondateurs, à l’instar de la lutte contre le changement climatique, la perte de la biodiversité et d’autres causes environnementales ou anthropiques susceptibles de constituer un danger existentiel. Encore une fois, l’exemple du plastique est à ce titre assez parlant. Il faut en effet savoir que l’Onu envisage la signature d’un Traité de lutte contre la pollution plastique avant la fin de l’année. Lequel pourrait, dans le meilleur des cas, aboutir à une réduction de 50% de la production. Mais ce qui paraît être un projet ambitieux reste malgré tout bien loin des 100% réclamés par les experts engagés dans la conférence de Stockholm, pour qui aucune nouvelle unité de plastique ne devait être produite – sachant que cette industrie est aujourd’hui responsable de 3% du réchauffement anthropique de la planète.

Difficile donc aujourd’hui encore d’imaginer un monde sans plastique, même si nous savons ses implications sur la santé humaine. L’on peut dès lors facilement imaginer toute la difficulté que constituerait une demande d’arrêt total de la production d’hydrocarbures. Voire encore de repenser radicalement notre système économique afin de le rendre plus propre et résilient. C’est que nous aurons, au fil des décennies nous séparant de l’avènement de l’ère industrielle, conféré tant de pouvoir à notre machine productiviste qu’il apparaît désormais impossible ne serait-ce que d’en enrayer le mécanisme. En vérité, la seule qui en semble aujourd’hui capable est la planète. Sauf que, dans ce cas, lorsque l’arbitre sifflera la fin du match, le vivant risque bien de devoir regagner à jamais les vestiaires.

Michel Jourdan

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