GEORGES-ANDRÉ KOENIG
INTRODUCTION
Le Mauritius Turf Club, le troisième plus ancien club hippique au monde, et le plus ancien de l’hémisphère sud, et le Champ de Mars, qui abrite son hippodrome, sont deux des plus précieux fleurons du patrimoine national de l’Ile Maurice. Si bien que la plupart des Mauriciens que nous sommes tiennent à eux comme la prunelle de leurs yeux, car ils font partie de l’héritage matériel que nos ancêtres, de génération en génération, ont légué à ce pays, et qui, avec les richesses spirituelles qu’il abrite également, constituent l’âme de notre île et de ses habitants.
L’idée méconnue qui fut à l’origine
de la fondation de ce club
Ce sont Sir Robert Townsend Farquhar et le Colonel Edward Alured Draper, qui décidèrent, un jour de l’an de grâce 1812, de fonder ce club prestigieux, cela pour une noble cause, ignorée aujourd’hui par de nombreux Mauriciens. À savoir, réconcilier les anciens colons français et les coloniaux anglais fraîchement installés dans l’île, qui faisaient tous partie de la même classe sociale, la haute bourgeoisie.
Le cœur de ces Français, en effet, était plein de rancœur suite à la sanglante défaite de la France au profit des Anglais en 1810. C’est cette Isle de France, petit joyau qu’ils avaient bâti à la force de leurs poignets, qui s’était évanouie devant eux.
Et Messieurs Farquhar et Draper pensèrent alors, qu’il n’y avait pas de meilleur moyen pour y arriver, que de réunir ces clans, jusque-là opposés, au sein d’un club élitique de sport hippique, d’où leur idée de créer le Mauritius Turf Club (MTC). C’était en ce temps-là, en effet, un sport de gentilshommes où, durant les quelque cent cinquante années qui allaient suivre, le seul enjeu était de gagner l’épreuve, et remporter le trophée. L’argent ne faisait pas partie du gâteau.
Et bien ils firent, car tous ces gentilshommes d’alors, français et anglais, furent réunis dans un cercle de gens huppés, animés par une même passion. Et c’est ainsi qu’ils oublièrent, ne serait-ce que temporairement, les mauvais souvenirs de ces conflits récurrents entre le gigantesque empire britannique et la prestigieuse France de ces temps-là.
Je profite de cette occasion pour rendre aussi hommage à cet éminent penseur, journaliste et politicien mauricien que fut Raoul Rivet, CMG, dont la statue trône au Jardin de La Compagnie à Port Louis. Car c’est son journal, Le Mauricien, dont il fut, à tour de rôle, directeur et propriétaire, qui me fait l’honneur de m’ouvrir régulièrement ses colonnes, comme c’est le cas aujourd’hui. Et Monsieur Rivet, qui fut aussi un passionné de courses hippiques, et laissa au MTC des empreintes indélébiles, tout comme il le fit dans le monde journalistique et celui de la politique, est sûrement heureux de constater, de l’au-delà, que son journal n’a de cesse de se battre pour la sauvegarde de ce patrimoine hippique.
ÉTAT DES LIEUX DES COURSES HIPPIQUES À MAURICE
La mainmise de l’argent roi sur ces courses
Dans de nombreuses disciplines sportives, l’argent est devenu roi, et les courses hippiques n’ont, hélas, pas été épargnées. Les belles coupes en or, ou en d’autres matériaux raffinés, sont toujours présentes, mais de plus en plus remplies de billets de banque.
Aussi, cette nouvelle donne a attiré un bon nombre de gens en quête de pouvoir et d’argent. Et c’est ainsi qu’un groupuscule de Mauriciens, avec l’appui de certains membres du Gouvernement, décidèrent, il y a quelque temps, de se débarrasser du MTC, et de le remplacer par une autre institution, le People’s Turf Club PLC (PTC), dont le fondateur est un homme très proche du pouvoir, et l’objectif prioritaire serait de bénéficier de tous les avantages, financiers et autres, que peut procurer cette activité sportive, surtout lorsque l’on sait sur quelles ficelles tirer.

Ce qui fit que, de fil en aiguille, le MTC a été sournoisement mis à l’écart des courses hippiques à Maurice, en attendant qu’il soit mis au rancart, au profit de ce nouveau club, totalement incompétent, de surcroît, pour gérer une telle entreprise.
Il est donc du devoir de tous les autres Mauriciens, toutes communautés confondues, qui ont les moyens de le faire, aussi modestes soient-ils, et aussi de la Direction du MTC, de tenter de sauver du trépas cette institution séculaire qu’est le Mauritius Turf Club. D’où cette chronique d’un Mauricien parmi les autres.
La rétrospective de cette tentative d’évincer le MTC
Il faudrait un livre entier pour traiter ce sujet dans sa globalité, car c’est une longue histoire macabre (Oui, il s’agit de la mort programmée du MTC et de son hippodrome) qui commença il y a de nombreuses années, sans que la plupart des Mauriciens ne s’en rendent compte.
Aussi, je me contenterai, ici, d’énumérer les principaux évènements y relatifs de ces derniers temps, qui démontrent clairement les intentions hostiles qui les ont déclenchés.
— La création du « People’s Turf Club PLC », et la rapidité avec laquelle ce club obtint non seulement l’autorisation d’organiser des courses au Champ de Mars à partir du 5 juin 2022, mais aussi une licence de la Gambling Regulatory Authority.
– La création de COIREC, organisme étatique, afin que l’État soit dorénavant responsable du contrôle et de l’entretien du Champ de Mars.
– Le retrait du bail du MTC par la municipalité de Port-Louis, et la reprise du terrain du Champ de Mars par le ministère des Terres malgré la concession accordée au MTC pour y organiser des courses hippiques, et qui n’arrivait à terme qu’en 2028.
– L’éviction du MTC de Jean-Michel Giraud et Anil Ramnarain par une instance en haut lieu au niveau des autorités, et cela avec l’étrange complicité de certains de leurs collègues et de l’Association des entraîneurs et propriétaires. Et l’interdiction d’accès au Champ de Mars à ce même Jean-Michel Giraud ainsi qu’à sa famille.
– Le piège tendu au MTC en lui proposant de soumettre à COIREC sa demande d’organiser les courses en 2023. S’il avait accepté, cela aurait rendu caduques ses injonctions y relatives, et aurait impliqué qu’il acceptait la prise du contrôle du Champ de Mars par la COIREC.
– Et, enfin, la tentative du PTC de débaucher les employés du MTC, afin de l’affaiblir davantage.
Suite à ces évènements-là, il est bon que le MTC ait renoncé à organiser les courses en 2023, d’autant plus qu’il aurait sans doute fallu qu’il pactise avec le PTC, prenant ainsi de nombreux risques que cette démarche aurait inévitablement comportés.
Les dérives du MTC
Afin d’être impartial, il est de notre devoir, de mettre aussi en lumière ici les dérives du MTC, commencées depuis bien des années déjà.
Attirés par l’appât de l’argent, ce club fut infiltré, de plus en plus, par un certain nombre de tricheurs, tant au niveau de ses membres et de sa direction qu’à celui des écuries qui lui sont associées. Avec pour résultat, que la majorité des membres de son Conseil d’Administration, qui sont d’une honnêteté sans faille, ont été submergés par les combines qui se perpétrèrent depuis, dans toutes les instances du club, et furent incapables d’y mettre bon ordre.
Il faut aussi admettre que la direction du club n’a pas toujours su établir des relations paisibles avec le Gouvernement en place, d’où les épreuves de force qui, souvent, se répétèrent.
L’avenir du MTC
Qui pourrait prédire, aujourd’hui, l’avenir de ces monuments patrimoniaux que sont le MTC et le Champ de Mars qui, depuis plus de deux siècles, vivent en symbiose l’un avec l’autre ? Personne.
Ce que l’on peut espérer, en revanche, est que les protagonistes de cette tragédie reviendront à la raison, et réaliseront, alors, que leur devoir, qui devrait avoir priorité sur tous les avantages, pécuniaires et autres, qu’ils pourraient en retirer, est de remonter en épingle cette fabuleuse histoire hippique qui commença modestement il y a 210 ans. Les quelques coursiers, appartenant à Sir Robert Farquhar lui-même et à certains grands propriétaires, se nommaient alors Rondeaux, Violoncello, Admiral ou encore Aide de camp, et étaient montés par des amateurs, dont un certain M. Reader qui remporta la première épreuve, exploit qui resta, jusqu’ici, gravé dans le marbre. Et cette épopée hippique atteignit son apogée 172 ans plus tard, lorsque la première journée de « The International Jockeys Day » eut lieu au Champ de Mars le 2 décembre 1984. Ce jour-là ce fut certains des plus grands jockeys du monde qui pilotèrent des pur-sang de haut calibre, venus d’Afrique du Sud et d’ailleurs. Le MTC était déjà alors, le seul club privé à regrouper les différentes communautés du pays. Quel bel exemple !
Oui, il est grand temps de remettre à jamais — avec ou sans le PTC qui, apparemment, bat de l’aile actuellement – le Mauritius Turf Club et le Champ de Mars sur le piédestal de notre patrimoine national. Et même, pourquoi pas demander à l’UNESCO que ce Champ de Mars soit classé au patrimoine mondial.
Sir Robert Townsend Farquhar et le Colonel Draper pourront alors reposer en paix. Ainsi que tous ces Mauriciens – dont, je le dis humblement et avec beaucoup d’émotion, de nombreux membres de ma famille, dont mon père – qui, durant plus de deux siècles, auront passé ce flambeau de génération en génération, afin de perpétuer cette tradition mauricienne séculaire.