- Hôpitaux : 552 cas liés aux drogues enregistrés en 2015; 914 pour 2016, contre 689 de janvier à juin 2017; et 17 décès en 2015 à 18 de janvier à juin 2017
- Imran Dhanoo (Centre Idrice Goomany) : « 70 arrestations sur 100 concernent la possession de drogues. Il est grand temps de réfléchir à une alternative à la prison »
Le deuxième rapport de l’Observatoire national des drogues, instance placée sous la férule du ministère de la Santé, est actuellement disponible en ligne. D’emblée, le constat primordial concerne le nombre de cas rapportés auprès des hôpitaux et dans le service médical public liés aux drogues et substances nocives. La hausse est importante tant pour les cas rapportés dans le circuit médical local, avec 552 cas pour les 12 mois de 2015, contre 689 uniquement pour les six premiers mois de 2017, et autant en matière de décès, avec 17 morts recensés en 2015 contre 18 rien que pour les six premiers mois de 2017 !
Pour le directeur du Centre Idrice Goomany (CIG), de Plaine-Verte, ce constat « définitivement très inquiétant est venu confirmer nos pires craintes, émises depuis déjà quelques années avec l’avènement des nouvelles drogues synthétiques ». Il renchérit : « D’abord, sur les 689 cas répertoriés, le rapport fait mention de 44% qui sont liés aux drogues de synthèse. Ces 689 cas concernent 638 hommes et 51 femmes. » Restant dans le même ton, le directeur du CIG poursuit : « En matière de nombre de morts recensés également la tendance s’inscrit dans le même registre : 17 décès liés aux problématiques de drogues ont été enregistrés en 2015, contre 23 en 2016 et 18 rien que de janvier à juin 2017 ! C’est extrêmement alarmant, surtout avec la problématique des drogues de synthèse, qui entraînent des overdoses ! »
Le travailleur social émet de fait ses craintes par rapport à « la présence de produits tels que la cathinone, qui a été saisie récemment, et la confirmation, via ce rapport de l’observatoire des drogues, que des substances telles que la cocaïne, l’ecstasy, la méthamphétamine, soit MDMA, entre autres, sont bel et bien présents sur le marché local ». Pour ce qui est du premier produit cité, le travailleur social relève que « c’est l’ingrédient de base à partir duquel est fabriqué le flakka, cette drogue très dangereuse et nocive, et qui cause des ravages actuellement un peu partout dans le monde ». Et Imran Dhanoo d’avertir : « D’ici que nos toxicomanes commencent à se shooter aux drogues synthétiques, alors qu’ils en sont actuellement à les fumer essentiellement, il n’y a qu’un pas… Et ce sera alors un souci majeur car piquer ces produits dans ses veines entraîne des répercussions très graves ! »
Ce qui amène le directeur du Centre Goomany vers un extrait du rapport relatif à un programme de prévention instigué depuis avril 2016. Le document mentionne en effet qu’une équipe comprenant des officiers de la Santé a mené campagne sur différents fronts, touchant autant des jeunes scolarisés que non scolarisés, les lieux de travail, et le grand public. Quelque 1 013 sessions de sensibilisation dans les écoles ont été organisées, touchant 48 417 participants. Les différentes thématiques incluses comprennent la pression de groupe (“peer-pressure”) et des forums animés par des ex-toxicomanes, entre autres.
« Cependant, ce sont là des sessions d’informations, note Imran Dhanoo, et non d’éducation. La prévention adéquate comprend des sessions où l’on dissémine de l’information, d’abord, mais également où l’on octroie des “skills” à ceux à qui sont destinées ces formations afin de les armer et les conscientiser de manière concrète contre les dangers qui les guettent ! » Le directeur du CIG relève que « le plan directeur sur la prévention, tant annoncé, se fait toujours attendre ».
Saluant « l’existence de cet Observatoire sur les drogues » et « le sérieux préconisé par ceux qui en sont responsables »,
Imran Dhanoo soutient : « Le gros du travail, afin de faire diminuer la consommation de drogues, qu’il s’agisse de l’héroïne, du gandia ou des drogues synthétiques, passe inévitablement par un “change in mentality”. Si l’on ne change pas de regard et qu’on continue à considérer le toxicomane comme un danger plutôt que comme un malade, ce sera très difficile de faire avancer les choses. » Le travailleur social rappelle que « le problème de la toxicomanie est avant tout un enjeu sanitaire ».
Saturation dans nos prisons
Le rapport de l’Observatoire des drogues indique que 1 133 arrestations ont été faites par l’ADSU de janvier à juin 2017. De ce nombre, 838 arrestations, soit 74%, concernent la possession de drogues et substances nocives. Ce qui amène Imran Dhanoo à relever que « cette tendance, qui est la même d’ailleurs, depuis plusieurs années, nous interpelle encore et toujours, car cela veut dire que nous sommes en train de peupler nos prisons de consommateurs de drogues et non de trafiquants ». Élaborant sur cet aspect, notre interlocuteur poursuit, s’appuyant sur des exemples étrangers : « Au Portugal par exemple, l’État a mis en place une structure différente. Ceux des consommateurs qui sont interceptés par les policiers avec de la drogue sont orientés vers un comité de dissuasion. Ce comité est constitué de psychiatres et de travailleurs sociaux, entre autres, qui procèdent à une évaluation de la personne. Celle-ci est ensuite dirigée soit vers des soins, soit vers des travaux d’intérêt généraux… Cette mesure a été prise en partie pour désengorger le système carcéral. »
Le directeur du CIG relève également que « nombre de ces consommateurs locaux, quand ils sont arrêtés, ne peuvent s’acquitter des amendes », à défaut de moyen. « Ils sont alors incarcérés, ce qui augmente énormément la population de nos prisons et alourdit les procédures administratives. Ça a aussi un coût très conséquent pour l’État ! » Il est clair, indique Imran Dhanoo, qu’il est « grand temps de penser à des alternatives à caractère social » pour ce problème spécifique. « Il faut penser à des projets sociaux, entre autres, qui pourront absorber ces délits. Et pour ce faire, il faudra prendre “on board” tous les partenaires : la police, la loi, les travailleurs sociaux, le corps médical, les ministères… »
Consommation concentrée
Un tableau publié en page 21 du rapport de l’Observatoire national des drogues concerne les cas traités dans les hôpitaux locaux pour la période de juillet 2016 à juin 2017 s’agissant des problèmes liés aux drogues. La déclinaison concerne d’une part les types de produits consommés – soit le gandia, les produits médicinaux, les drogues synthétiques, les opiacés (dérivés de l’héroïne), la Buprénorphine (Subutex) et les substances inconnues –, et a été réalisée relativement aux régions concernées, notamment Port-Louis, Pamplemousses, Rivière-du-Rempart, Flacq, Grand-Port, Savanne, les Plaines-Wilhems, Moka et Rivière-Noire. À noter que les Plaines-Wilhems et Port-Louis se distinguent des autres régions avec, respectivement, 326 et 286 cas rapportés sur ces 12 mois. Le directeur du Centre Idrice Goomany (CIG), Imran Dhanoo, rappelle que « Port-Louis a, de tout temps, été un haut lieu du trafic et de la consommation » de drogues à Maurice. « Doit-on rappeler que dans les années 80, les trafiquants notoires habitaient la capitale ? » Par incidence, relève le travailleur social, « le plus grand nombre de consommateurs gravitent dans cette région ». S’agissant des Plaines-Wilhems, notre interlocuteur observe que « c’est un “pattern” compréhensif, dans la mesure où c’est une région qui a une forte concentration d’habitants avec toutes les villes qui s’y trouvent ». Il ajoute : « N’oublions pas que le profil du toxicomane a évolué : de plus en plus de cadres et de personnes employées dans des bureaux, entre autres, consomment ces produits. Aussi, il ne faut pas oublier le phénomène de rajeunissement et de féminisation qui caractérise désormais cette problématique ! »
Husnoo félicite l’initiative
Dans son message en ouverture du rapport, le ministre de la Santé, Anwar Husnoo, souligne l’importance et la pertinence d’un “evidence-based report” ainsi que se décline ce deuxième rapport de l’Observatoire des drogues : « Evidence-based policy is distinctive from opinion-based policy. Policy decision makers cannot rely on speculative assumptions. » Le ministre fait également ressortir que, dans le cas actuel de Maurice, « cette situation interpelle du fait que la problématique de la toxicomanie est très évolutive ». Et de conclure : « Nous, en tant que politiques, devons prendre les décisions qui s’imposent, et de préférence en nous appuyant sur des informations solides et concrètes. »