LE NAUFRAGE DU MV WAKASHIO : Un danger pour notre patrimoine culturel marin 

GLAUCOS NÉRÉIDES   

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Dans toutes les analyses que l’on a pu lire sur le naufrage de MV Wakashio à Pointe d’Esny, et le danger que confronte le parc marin de Blue Bay, (déclaré parc national en 1997 et faisant partie du site Ramsar en 2008 »), la disparition probable de la flore et de la faune, on a très peu fait mention de patrimoine maritime ou patrimoine subaquatique que représente cette région. La mer et les zones côtières constituent l’essence même de notre être, de notre « islander identity », et de notre mauricianité. Personne ne peut donc nier l’importance de ce patrimoine culturel dans notre vie.

L’UNESCO reconnaît que le patrimoine culturel représente plusieurs aspects. Parmi l’on trouve le patrimoine subaquatique qui fait partie de cet ensemble d’héritage qu’il faut protéger. À ce titre, toute la côte sud-est de Maurice est considérée comme un patrimoine immatériel que l’on a toujours protégé et pour lequel tous les Mauriciens se sont battus corps et âme pour la préserver.  Comme en témoigne cet élan de solidarité et de patriotisme que nous avons vécu récemment.

Aussi, la notion du patrimoine culturel a-t-elle évolué avec le temps et le patrimoine maritime ou patrimoine subaquatique est devenu un nouveau centre d’intérêt. Plusieurs États ont décidé de protéger leurs zones côtières car ce patrimoine est constitué de nombreux éléments, englobant entre autres les activités liées à la mer.  Et l’UNESCO a mis en place des mesures pour faire face aux nouveaux défis liés à sa conservation.

Pour l’UNESCO, cet élément de la nature, le patrimoine subaquatique, est investi de la qualité de bien patrimonial digne d’être sauvegardé et mis en valeur au profit des générations actuelles et futures. On nous fait croire que le parc marin de Blue Bay et l’île aux Aigrettes ont été épargnés de la catastrophe. À voir la nappe d’huile qui s’est répandue dans nos lagons, on ne sait plus s’il faut croire les autorités ou plutôt nos scientifiques. En tout cas, la présence de l’acide arsénique chez les poissons et les fruits de mer et la mort des dauphins contredisent le discours des autorités.

Vu l’importance que la notion du patrimoine a prise dans le monde et le sens d’appartenance qu’il représente, le gouvernement mauricien, à la fin de 2019, a décidé de changer le nom du ministère des Arts et de la Culture en l’appelant dorénavant, et à juste titre, le ministère des Arts et du Patrimoine culturel. Dans une de ses interviews à un quotidien l’année dernière, celui qui a la responsabilité de protéger notre patrimoine culturel disait que le ministère des Arts et du Patrimoine culturel va s’occuper de « TOUT ce qui fait partie du patrimoine d’un pays » et non seulement des pratiques religieuses et culturelles que les ancêtres ont léguées. Est-ce que ce « TOUT » inclut le parc marin de Blue Bay et surtout notre zone côtière ? Il continue en déclarant que son « ministère veut brasser large et s’assurer que l’on englobe tout ce que la culture représente… » Et le site RAMSAR avec le naufrage du MV Wakashio n’est-il pas une occasion pour « brasser large ».  Ce naufrage aurait dû l’interpeller et le sensibiliser sur le potentiel que ce patrimoine commun peut représenter pour le pays.

Lors de son « maiden speech » à l’Assemblée nationale (Hansard 14 février 2020), le ministre soulignait que son ministère doit « respond to the threats to cultural heritage such as national disasters, climate change, terrorism and vandalism ». « National disasters » ! Il laisse aussi entendre qu’en ce sens, son ministère se montrera « proactive ». « Proactive » ? Ce sont les « children of the locality (…) knowledgeable of the heritage in their neighbourhood, and feel the need to be its guardian» qui ont été davantage proactifs, face à la destruction de la zone côtière de cette partie de l’île et non le ministère des Arts et du Patrimoine culturel. Pourtant les défenseurs de notre écosystème ont tiré la sonnette d’alarme sur la perte irrémédiable de notre parc marin. On ne peut que se poser des questions sur sa conception de « brasser large ». Ce terme est-il vide de sens ?

Même si la responsabilité de son ministère n’est pas engagée autant que celle du ministère de l’environnement ou de la pêche dans la pollution de l’eau lors du naufrage du Wakashio, il doit comprendre que la réhabilitation du lagon de Blue Bay et de ses environs ne peut être laissée uniquement à ces deux ministères. Son ministère ne doit pas non plus être pris comme secondaire. Sinon le ministre ne pourra pas « ensure that culture takes its rightful place in development strategies » et inclure le tourisme culturel dans l’économie mauricienne. Prendre la mesure de la gravité de la pollution qui est en train de tuer la flore et la faune et sauver ce qui peut l’être encore serait à la hauteur de ce qu’il a prêché à l’Assemblée nationale.  Le silence du ministre sur ce qui s’est passé à Pointe d’Esny nous fait craindre qu’il ait une vision étriquée de la notion du patrimoine.

D’ailleurs, le silence actuel du ministre résonne avec sa totale discrétion lors de l’incendie du bâtiment Fon Sing où se trouve la Bibliothèque Nationale. Il aurait fallu de peu pour que l’île Maurice n’eût plus de patrimoine à conserver. Il n’a fait aucune déclaration à l’époque. Tout comme sa posture aphasique sur le « buffer zone » de l’Aapravasi Ghat avant la publication d’un rapport d’une mission d’observation. Et la nomination d’un certain monsieur pour présider le conseil d’administration du Mauritius Museums Council qui, selon MMC Act, « shall be a person having knowledge of museums or the heritage sector » nous laisse croire que le ministre a confondu « pratiques religieuses et culturelles » et « knowledge of museums or the heritage sector ».

Quand une partie de notre héritage culturel disparaît dans la noirceur de l’huile lourde, on ne doit pas, en tant que ministre chargé de la sauvegarde de notre patrimoine national, rester inactif. Il ne s’agit pas non plus de faire comme certains de ses collègues qui ont eu l’indécence de s’auto-attribuer des brevets de patriotisme pour mieux camoufler des pratiques qui sont loin, très loin même d’un patriotisme vrai. Les Mauriciens leur ont donné un excellent exemple d’unité dans la diversité pendant ces dernières semaines. C’est l’exemple même d’un vrai MAURICIANISME en marche. À un certain moment, je me suis laissé gagner par le découragement et me suis dit « Pleure, ô mon pays bien-aimé ».  Mais l’image de ces Mauriciens travaillant « AS ONE PEOPLE AS ONE NATION » pour éviter le pire à notre patrimoine marin m’a vite amené à changer d’avis.

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