Le Salon de Mai et l’art contemporain mauricien progressent

S’il y a un événement annuel à ne pas manquer pour découvrir la création contemporaine mauricienne dans le domaine des arts plastiques, c’est bien le Salon de Mai. Incontournable et attendu chaque année, ce dernier propose depuis bien longtemps un panorama d’œuvres de nos artistes et plasticiens, locaux essentiellement. Pour cette quarantième édition, le commissariat d’exposition a été confié à Nirveda Alleck, artiste connue, reconnue et enseignante à la School of Fine Arts au Mahatma Gandhi Institute (MGI) à Moka, lieu où se déroule cette exposition du 5 au 27 mai 2023.

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La surprise fut agréable lors de ma visite un mercredi matin. En effet, ce que je reprochais souvent au Salon c’était le manque de soin et de rigueur quant à l’accrochage et la présentation des œuvres. Les murs étaient souvent dans des états assez vétustes, ce qui ne mettait pas les créations en valeur. Est-ce la faute des précédent.es curateur.ices ? Pas forcément car nous savons pertinemment que la demande, les procédures et le déblocage d’un budget auprès de l’administration de ladite institution sont souvent longs et fastidieux, car ses administré.es ne sont pas conscient.es des besoins réels que nécessite l’organisation d’un tel événement pour sa réussite.

Cette année, Nirveda Alleck a imaginé et conçu l’exposition de façon intelligente en y apportant davantage de sens et de cohérence à la fois dans le dialogue entre les œuvres sélectionnées, mais également dans le parcours des visiteurs. On doit aussi souligner ces belles initiatives qui gravitent autour de l’exposition : la conception et la présentation d’œuvres éphémères in situ (mais en extérieur) qui pour beaucoup se rapprochent du Land Art et qui sont pour certaines très pertinentes. Ou encore l’atelier de gravure qui était tout aussi intéressant dans la mesure où les personnes inscrites pouvaient pratiquer, échanger, se perfectionner, une sorte de mutualisation des pratiques grâce aux conseils des expertes telles que Neermala Luckeenarain ou encore de Veemanda Curpen, responsable des ateliers gravures à l’école des beaux-Arts du MGI. À ne pas oublier également la table ronde qui a donné lieu à des échanges sur l’art contemporain mauricien et l’avenir du Salon de Mai. Toutes ces activités novatrices et salutaires programmées par la curatrice démontrent l’énergie déployée par celle-ci afin d’innover et de placer ce quarantième Salon de Mai dans une dynamique de progrès et une volonté de montrer que les choses peuvent être bien faites à condition de se donner et d’avoir les moyens optimums.

Rien que d’avoir des murs blancs, presque immaculés apporte une perception positive dès qu’on foule la première salle. Pour ses quarante ans d’existence, les artistes n’avaient pas de thèmes imposés. Ainsi, ils pouvaient laisser libre cours à leur créativité à travers des propositions et des techniques variées : peinture, sculpture, installation, photographie, gravure, vidéo, performance, techniques hybrides, etc., l’art contemporain étant protéiforme. Parmi la centaine de propositions sélectionnées par le panel constitué de professionnel.les des arts plastiques mais aussi de membres de l’administration, un certain nombre d’œuvres étaient de qualité tant dans leur plasticité que dans leur niveau réflexif. J’ai débuté ma visite au premier étage où j’ai été accueilli par l’impressionnante œuvre de Deekshan Ramguttee, une sculpture-installation, « Alter Ego » qui représente les sâdhus en Inde, ces personnes qui font le choix de s’écarter de la société et de s’éloigner de leurs familles pour privilégier une vie sans bien matériel dans le but de fusionner avec la conscience cosmique. Le jour de l’inauguration, l’artiste avait réalisé une performance publique en se « déguisant » en sâdhu, à l’identique de sa sculpture très réaliste où la ressemblance entre l’artiste et son double (la sculpture) était troublante. Dans cette même salle, Palvishee Jeewon, dont l’œuvre censurée avait fait grande polémique l’an passé à cause de ses seins exhibés, réitère avec son autoportrait aux seins nus, mais cette fois-ci avec une technique différente, la broderie contemporaine. Cette année pas de polémique ni de censure, à croire que l’administration a su tirer leçon de sa honteuse erreur.

Poursuivant ma visite au rez-de-chaussée, l’œuvre de G. Nicholas Lalmohamed m’a séduit. « La Plague » est un triptyque avec des rats sur fond noir. Cette peinture minimaliste est pourtant très forte malgré sa simplicité. Une œuvre réussie ne réside pas uniquement dans des prouesses techniques, mais elle s’instaure également dans une réflexion profonde et pertinente qui pousse le spectateur à s’interroger sur des faits sociétaux, politiques, religieux, identitaires ou de genres. Ici, l’œuvre nous force à nous questionner face à notre rôle dans cette société mauricienne et sa politique nauséabonde. Qui sont ces rats ? Sommes-nous devenus des rats ? Ou alors, si nous ne sommes pas tous des rats, est-ce que ces derniers ne seraient pas ces chatwas ou ces politicien.nes installé.es de façon pérenne à leurs postes et qui volent notre vie, nos libertés et notre démocratie au nez et à la barbe sans honte ni conscience? Le tableau de Cendrine Keryl Bolaram, « Lizier pli gro ki vente » révèle notre gourmandise, nos excès et cette nécessité absolue de vouloir toujours plus même si nous n’avons pas les moyens.

C’est dans la plus grande salle de l’exposition que la curatrice a regroupé les artistes les plus connu.es de l’île, à l’instar : Gaël Froget, Roger Charoux, Rishi Seeruthun, Arvin Ombika, Kavinash Thomoo, Firoz Ghanty, Saïd Hossanee, pour ne citer qu’eux. Le tableau hyper réaliste d’Arvin Ombika est très saisissant tant la maîtrise technique est parfaite. Ce qui est davantage intéressant c’est la problématique abordée dans le travail d’Arvin Ombika: la question de l’identité et plus particulièrement mais de manière subtile, l’homosexualité. Dans cette société mauricienne pudibonde, rares sont les artistes qui osent aborder ce sujet d’inclusion tellement important pour faire évoluer les mentalités. Poursuivant dans ce dédale d’œuvres, le diptyque de Kenji Massoudy, « Identité » m’interpelle. Il est question de nous assumer pleinement en tant que Mauricien à la fois dans notre manière d’être mais aussi dans la pratique de notre langue maternelle, le créole. En effet, beaucoup de personnes considèrent le créole comme une langue inférieure par rapport au français et à l’anglais. Il en est de même sur notre apparence physique. L’artiste nous invite à être nous-mêmes sans perdre notre identité et sans nous perdre dans l’uniformisation de notre société mondialisée.

Parmi la centaine d’œuvres qui nous ont été données à voir, certaines m’ont séduit, d’autres m’ont laissé perplexe car pas suffisamment à la hauteur de ce qui est attendu pour un événement considéré comme majeur (mais qui comble, le temps de la durée de l’exposition l’absence de ce musée d’art contemporain à Maurice). Je pense qu’il serait souhaitable de privilégier la qualité plutôt que la quantité. De même, la manière de sélectionner les artistes et leurs œuvres doit être revue. En effet, si le Salon souhaite faire place aux artistes émergeant.es ayant des propositions très contemporaines et engagées, il faudrait abolir l’octroi des places automatiques à celles et ceux qui ont participé plus de deux ou trois fois au Salon. Ce critère est obsolète et désuet, disons-le. Certains artistes doivent savoir céder leurs places aux autres et ne pas être comme ces politiciens qui s’accrochent comme des sangsues à leurs postes. Le renouvellement d’idées et des visions contemporaines sont primordiaux pour faire avancer l’art. À ce sujet, je salue le laborieux travail accompli par Nirveda Alleck qui a insufflé une approche très appréciable et professionnelle dans la conception de ce Salon. La perfection n’existe pas. Il y aura toujours des progrès à accomplir. Il y aura toujours des critiques, mais l’important est d’avancer et de travailler dans une seule et même direction pour l’intérêt de l’art et des artistes.

Je ne peux terminer cet article sans citer le texte poignant et coup de gueule de Dominique Bellier Ghanty, veuve de Firoz Ghanty à qui j’accorde tout mon soutien, et qui déplore l’inactivité et l’hypocrisie des institutions qui soi-disant œuvrent pour l’élévation de l’art et de la culture. Effectivement, qu’est-ce qui a été fait depuis la table ronde de l’année dernière quand la question des legs des artistes avait été abordée ? Rien. C’est toujours la même rengaine. On émet des idées, on est tous d’accord pour dire qu’il faut faire avancer les choses, on promet, mais au final, il ne se passe rien. Le néant demeure cette affreuse réponse qui veut tout dire : l’absence d’une politique culturelle. Il est donc urgent d’agir et faire vivre la mémoire et les legs de celles et ceux qui ont contribué à faire en sorte que la culture existe dans notre beau pays. Pour cela, l’État doit savoir écouter, s’impliquer et agir en urgence pour l’amour de l’art et de la culture.

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