Hansley Chavreemootoo
L’architecture mauricienne reste aussi ambiguë aujourd’hui qu’il y a un siècle. Sa définition peut varier en fonction de la période et/ou de la profession de l’individu qui l’évoque. Le but de cet article n’est pas d’apporter une réponse parmi les dizaines existantes, mais de fournir les outils afin que vous, lecteurs et lectrices, puissiez la définir. Il existe de nombreuses manières d’analyser cela, mais nous allons nous concentrer sur un principe en particulier : le souci du détail dans l’architecture mauricienne.
Pour ce faire, nous nous baserons sur les quatre catégories abordées par l’architecte Thierry De Comarmond dans ses ouvrages récents (« De la maison bretonne à la maison traditionnelle mauricienne ») : les édifices publics, religieux, industriels et l’habitat. Cette palette de choix indique que la définition de l’architecture mauricienne peut revêtir quatre variantes. Cependant, dans le cadre de cet article, nous nous focaliserons sur l’habitat.
Le détail des maisons traditionnelles
(périodes coloniales française et britannique)
L’habitat mauricien a connu plusieurs vagues d’évolution, de la période coloniale à aujourd’hui. Les premières habitations ont émergé avec des principes occidentaux et une forte influence de l’architecture bretonne. Elles étaient caractérisées par un socle prononcé par sa matérialité et son dimensionnement, un plan rectangulaire et une toiture à deux ou quatre pentes.
Fig 1 : Photographie du Musée historique et naval, à Mahébourg (à gauche)
Plan et façade d’une maison traditionnelle coloniale, selon Milbert (à droite)
Source : Chelin Antoine, 1989, Maurice: une île et son passé, Maurice, Sainte-Clotilde, île de la Réunion: Bibliothèque indianocéanienne, Centre de recherche indianocéanique, vol. 3/1, 537 p.
Certains documents d’archives présentent même des longères à colombages, un style généralement français, composé d’une structure de pannes en bois et d’un remplissage en maçonnerie enduite de chaux.
Fig 2 : Magasin du Bourg Mahé (période française), structure en colombage // Source : (22DFC/No631) ANOM
Tous ces détails contribuent à l’esthétique extérieure de l’édifice, mais il est admis que c’est l’intérieur qui façonne l’extérieur d’un bâtiment. Le jeu du « dedans-dehors » est généré par une circulation qui induit le passage de l’intérieur vers l’extérieur et inversement, pour se déplacer d’une pièce à l’autre. Le temps et les évolutions ont conduit à l’intégration de couloirs, de dispositifs amovibles voire de percements dans les murs, ce qui a progressivement fait disparaître les varangues autour des maisons.
Pendant ce temps, le style géorgien (1720-1840) s’installait peu à peu à l’île Maurice, tandis que le style néo-classique (1750-1820) prenait de l’ampleur en Occident. Soulignons que l’Occident sert de référence temporelle pour expliquer le décalage des périodes architecturales entre l’Occident et l’île Maurice. L’architecture a évolué dans l’habitat mauricien en intégrant de nouveaux matériaux, jusqu’au début du XXe siècle avec l’arrivée du mouvement Art déco.
Fig 3 : Croquis de Jean Louis Pagès d’une maison traditionnelle à l’île Maurice pendant la colonisation britannique
Source : Pagès Jean-Louis, 1978, Maisons traditionnelles de l’ile Maurice, Maurice,
Ile Maurice: Éditions de l’Océan Indien (coll. « BULAC »), vol. 1/1, 56 p.
La main de l’artisan
L’Art déco a apporté une touche remarquable à l’architecture mauricienne pendant plus de six décennies. Nous nous souvenons tous de l’entrée des maisons de nos grands-parents, conçues en bois, avec des revêtements en tôle ondulée ou en bardage bois, abritant la varangue : un espace tampon entre l’intérieur et l’extérieur de la maison, couronné par une toiture en pente et agrémenté de détails décoratifs tels que les lambrequins, les garde-corps et les fenêtres en fer forgé. Cette période a laissé place à la créativité des artisans, qui avaient carte blanche pour se surpasser dans leurs conceptions. De plus, nous abordons régulièrement le terme “l’art de bâtir” comme un résultat de la pensée de l’architecte, alors que tout le processus demeure principalement dans le travail de l’exécution, réalisé par ces artisans.
Cela a permis à l’architecture mauricienne de gagner en qualité et de faire intervenir plusieurs corps de métier dans la conception et la construction des maisons. Les charpentiers, les menuisiers bois et métal, forgerons et autres artisans ont gagné en importance à cette époque. Pour ne pas se laisser distancer par l’Occident, Henri Sauvage (1873-1932), une figure majeure de l’Art Déco, a utilisé le fer pour des moulures de fenêtres, de portes, de garde-corps, et plus en détail, les poignées de portes et les serrures. Il a même été sollicité pour concevoir le célèbre bâtiment de la Samaritaine (1930) situé rue de Rivoli à Paris.
Le style architectural va progressivement tendre vers le modernisme avec l’arrivée de certains architectes à l’île Maurice, tels que Max Boullé, Marcel Lagesse ou encore Mara Schaub. La maison mauricienne, avec l’arrivée du béton, va vivre une transformation. Le style Art déco va être revisité par une épuration des éléments architecturaux afin de laisser place à un dessin plus franc et plus simpliste.
Fig 4 : Esquisse de l’architecte Max Boullé pour une maison à Floréal
Source : https://maxboulle.com/larchitecte/#individuelles
Le choc psychosocial des cyclones, XXe siècle
Ce style va s’accentuer dans le contexte de l’arrivée des théories de Le Corbusier, après la Seconde Guerre mondiale, avec le style international, favorisant l’utilisation du béton pour la construction et la rationalisation des éléments architecturaux, pour des raisons économiques et de rapidité de réalisation. L’île Maurice ne va pas tarder à appliquer les mêmes règles, car d’une part, l’influence de l’occident est très forte et d’autre part les cyclones vont accélérer la demande du grand public.
Les familles sont touchées après le cyclone Carol en 1960, notamment celles logeant dans les “cases en tôle”, à cause de la fragilité des structures face à un tel phénomène météorologique. La population ainsi que le gouvernement sont ainsi incités à trouver une réponse rapidement et la maison mauricienne va précipitamment passer du travail artisanal à une réponse presque industrielle.
Cette partie de l’histoire est très dure pour la maison mauricienne, car elle va subir un changement qui ne dépend pas de l’influence architecturale mondiale uniquement, mais aussi d’un choc psychosocial, qui se fait sentir encore aujourd’hui.
Il ne s’agit pas d’être pour ou contre un quelconque style architectural ou mouvement qui a pu faire son entrée sur l’île au cours du XXe siècle. Il est question de comprendre l’aisance dans laquelle s’est retrouvée l’évolution architecturale de la maison mauricienne grâce à un matériau : le béton.
Auparavant, le bois massif était un matériau structurel et en revêtement, le fer pour les garde-corps et les menuiseries de fenêtres et de portes, la pierre basaltique en socle de maison et la tôle en revêtement de toiture ou de mur. Aujourd’hui, le béton a remplacé la moitié de ces matériaux. Il est évident que la contrainte du coût ne peut être écartée dans cette réflexion, mais est-ce que la surcouche de solution technologique n’est pas la cause du surcoût d’une construction ?
Par exemple, l’habitat mauricien est basé sur un plan minimaliste ; les circulations et les pièces sont claires et distinctes. Chaque pièce est disposée de manière efficace et réfléchie, afin d’éviter des circulations trop longues et inutiles. Les pièces sont toutes dessinées avec des ouvertures généreuses afin de favoriser un apport de lumière naturelle et une ventilée traversante. Aujourd’hui, les pièces ne sont pas toujours orientées suivant cette logique. L’habitat s’enferme sur lui-même, avec des ouvertures disproportionnées au regard de l’ensoleillement, avec de surcroît, l’utilisation du béton qui produit un effet de serre dans la maison tous les soirs. La climatisation devient alors la solution afin de remédier à cette problématique. En pensant économiser sur le moment, cela nous coûte plus cher sur le long terme.
Les principes fondamentaux de l’habitat mauricien ne résident pas dans les influences de différentes périodes architecturales. Celui-ci a toujours été en symbiose avec son environnement tropical et non pas avec des influences. Mon propos n’exprime pas la solution de reprendre les principes de la maison coloniale, dite traditionnelle. En réalité, toutes les maisons que nous avons pu voir font partie d’une même lignée : l’évolution architecturale de l’habitat mauricien.
Le sens du détail ne réside pas dans les diverses périodes que nous avons abordées. En réalité, le détail peut être interprété sous plusieurs formes, le travail fin d’une moulure en fer, le dessin d’une ouverture qui offre une vue splendide ou bien plus, la capacité de l’architecte à prendre en compte chaque facteur que nous avons vu ensemble, afin de proposer un habitat qui laisse une trace significative dans l’histoire.
L’architecture contemporaine, qui marque bien notre époque, a neutralisé les bases de l’habitat mauricien chez un grand nombre de la population. Vous remarquerez que je n’ai pas cité les éléments qui constituent les principes de l’architecture mauricienne, car ces éléments se situent déjà dans certaines habitations qui vous entourent. Levez la tête, analysez votre lieu de vie/ceux qui vous entourent et apportez une réponse à cette question.
Cet article a été réalisé avec la réflexion d’autres architectes juniors, tels qu’Oliver Wilfrid (architecte DE).