L’émergence de la nation « biryani »ou « zambrocal »…

KWANG POON

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Le vrai visage d’une nation se dévoile dans les grands moments de joie ou de peine. Par exemple, la nation sait vibrer en accord lors des Jeux des Iles de l’océan Indien. Dernièrement, à la suite de la série noire d’incidents, le ras-le-bol et l’indignation du peuple étaient palpables lors des manifestations de rue. Au-delà des revendications tout à fait légitimes et des invectives compréhensibles, nous tenterons de filtrer le brouhaha généralisé afin de déceler certains mouvements ‘tectoniques’ qui s’opèrent.

Après plus de 50 ans d’indépendance, la nation mauricienne semble prête à passer à la prochaine étape de son évolution. Jusqu’ici, on a souvent fait référence à la nation arc-en-ciel, mais la critique qui revient parfois, c’est que les couleurs ne se mélangent pas et que chaque composante demeure dans son ‘ghetto culturel’, voire psychologique.
En 2019, dans le contexte des célébrations nationales pour le Nouvel An chinois, nous avons voulu procéder différemment. Nous avons tenté de transcender les clivages ethniques et linguistiques pour démontrer notre vivre-ensemble unique, qui d’ailleurs, n’arrête pas d’émerveiller les visiteurs en notre île paradisiaque.

East Meets West Association a tenu la gageure de monter un spectacle à l’occasion d’une fête, associée à priori à une communauté particulière, pour la faire partager et la faire célébrer par tous les Mauriciens. Le spectacle, spécialement imaginé et conçu à l’occasion de la Fête du Printemps 2019 au Port-Louis Waterfront, a voulu mettre en valeur notre société multi-ethnique et son riche héritage pluriculturel afin de parvenir à un brassage inédit et très mauricien à la fois.

Le thème du spectacle, « Lame dan Lame, Ensam Anou Fet Lane Sinwa », s’inspirait de la chanson phare, « Lame dan Lame ». Cette chanson, remixée à l’occasion de Moris50, reste porteuse d’espoir et d’une certaine vision. Évidemment, bâtir la nation mauricienne en concordance avec la vision de « as one people, as one nation » demeure un défi contre les forces du “Divide and Rule”.

Sur le plan culinaire, cette transition d’une culture à une autre s’effectue déjà sans hésitation. Raj aime les boulettes, Mohamed le rasson, Rajen apprécie un kalia, Jean-Paul se délecte d’un 7 kari et Ah Koon sait savourer un biryani. Donc, pour ce spectacle spécialement imaginé et conçu, nous nous sommes évertués à accomplir sur le plan culturel ce que nous faisons déjà au niveau culinaire.

L’analogie avec le fameux et populaire plat de biryani semble plutôt seyante. En effet, pour confectionner ce plat, il faut une combinaison de diverses épices, et sans le curcuma, le girofle, la cannelle entre autres ingrédients de choix, le goût ne sera pas le même. Une fête, dite nationale, ne peut se faire sans la participation de toutes les composantes de la nation mauricienne. Aussi, avant de servir le biryani, il convient de savoir s’y prendre et bien le mélanger ou le ‘briyer’ pour obtenir un plat complet et succulent. Donc, au fil des numéros, nous avons expérimenté un savoureux cocktail culturel au niveau des arts de la scène.

‘Nation zambrocal’ à La Réunion

Des amis de l’île soeur m’ont rappelé qu’une conscience notionnelle similaire existe à La Reunion où l’on fait référence à la ‘nation zambrocal.’ Le zambrocal est un plat typique réunionnais dont le secret réside dans un savant mélange d’épices et d’ingrédients pour un plat aux mille saveurs. Bref, l’île soeur, reconnue pour son métissage, revendique ‘l’unité dans la diversité’ à un autre niveau. Maurice n’a pas encore franchi cette étape pour des raisons que l’on sait mais l’évolution de la société nous mènera naturellement vers ce nexus socio-culturel en temps et lieu.

Ici, il serait sans doute pertinent de faire un clin d’œil à Kaya, qui amalgama savamment le séga mauricien avec le reggae jamaïcain pour concocter le seggae. Ensuite, il emmena le seggae dans des directions inexplorées en le mariant avec le blues ou la musique carnatique, pour ne citer que ceux-là. Dans sa chanson séminale, “Sime Lalimier”, Kaya a su mettre le doigt sur la plaie qui tire la société mauricienne vers le bas.

Aujourd’hui, on croit pouvoir discerner les contours de la nation mauricienne en devenir et l’émergence de la ‘nation biryani’. Les récents événements indiquent qu’une lame de fond est en gestation et commence à prendre forme. La nation biryani, assumant pleinement son identité plurielle sans complexe, dans un élan d’unité sans précédent, semble bien partie pour fonder un meilleur lendemain.

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