Les mémoires du Cardinal de Retz

Hubert JOLY

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Président du Conseil international  de la langue française à Paris

Pour les admirateurs du Grand siècle, celui de Louis XIV évidemment, il est un livre que je recommande vivement, ce sont les Mémoires du cardinal de Retz (1613-1679).

Né Paul de Gondi, originaire d’une famille italienne mi-noble, mi-commerçante qui fit sa fortune en suivant Catherine de Médicis (mère de François II, Charles IX et Henri III). Les Gondi accédèrent au maréchalat et, encore mieux, à l’archevêché de Paris, ce qui permettait d’être très proche du trône. Ils eurent même la seigneurie de Versailles que devait leur racheter Louis XIII pour agrandir son parc….

Gondi raconte que le jour de sa naissance, on prit dans une rivière, voisine de chez ses parents, un esturgeon d’une taille extraordinaire. Il regrette en plaisantant qu’il n’y ait pas eu de signe plus extraordinaire pour fêter sa venue au monde. Et nous, nous regrettons qu’il n’y ait plus d’esturgeons en Ile de France depuis belle lurette. C’est notre conscience écologique qui est en deuil ! En effet, ce poisson qui existe depuis 400 millions d’années, peuplait toutes les rivières et fleuves d’Europe, y compris les côtes de la Méditerranée et même celles du Maroc, ne se trouve plus aujourd’hui que dans le bassin de la Dordogne et de la Garonne.

Donc, notre héros, Paul, esprit curieux, intelligent, ambitieux et intrigant, avait produit un texte qui le fit juger par le cardinal de Richelieu « d’esprit dangereux ». Cette remarque lui fit une publicité flatteuse et, grâce à la protection de son oncle, l’avança dans le monde de la cour. La mort opportune de son frère destiné à l’Eglise fit qu’on reporta sur lui les ambitions ecclésiastiques de la famille avec l’espoir de succéder à son oncle l’archevêque de Paris, afin de recueillir les revenus des biens religieux concédés à l’oncle en question. Son esprit brillant contribua à le faire davantage connaitre. Mais il n’avait pas du tout, mais pas du tout, le gout de la religion. Il aurait voulu faire une carrière civile et, à l’occasion, courir le guilledou, ce qu’il fit largement (on ne lui connait pas moins de onze maitresses) en dépit de la soutane qu’il avait finalement accepté de revêtir. Le démon de la politique s’empara facilement de lui et, comme il le dit lui-même avec une franchise désarmante :

« Je pris le parti de faire le mal par dessein : ce qui est sans comparaison le plus criminel devant Dieu, mais ce qui est sans doute le plus sage devant le monde : parce qu’en le faisant ainsi, l’on y met toujours des préalables qui en couvrent une partie. »

Cette profession de foi cynique le mena rapidement à devenir l’ennemi de Mazarin et d’intrigue en intrigue, il finit par se jeter dans la Fronde, en utilisant sa position de coadjuteur de l’archevêque de Paris pour agiter les foules et comploter contre la monarchie. Il fut donc embastillé, s’enfuit et se cassa l’épaule, parvint à gagner l’étranger où il continua longuement ses menées. Au bout du compte, dans les négociations entre la cour royale et les Frondeurs, il finit par décrocher le chapeau de Cardinal. Mal vu de Louis XIV, ennemi juré de La Rochefoucauld qui faillit réussir à le faire étrangler entre deux portes, il finira sa carrière au bout de neuf années d’exil en se réfugiant à Commercy en Lorraine, occupé à de bonnes œuvres, à rembourser des dettes gigantesques et à rédiger ses Mémoires. On y trouve des formules frappantes de vérité et de lucidité, un style allègre et très moderne, une certaine absence de scrupules et une sagesse très tardive mais très instructive pour les apprentis révoltés. Bref, une lecture des plus plaisantes pour les familiers de cette période.

Comme son ennemi, La Rochefoucauld, c’est un homme qui aurait pu monter très haut et qui a eu le désir de devenir Premier ministre. Mais il a tout raté parce que son ambition était trop haute et que son jugement très lucide sur les autres l’était moins sur lui-même… Comme on dit chez moi, il a voulu péter plus haut que son derrière. On ne saurait passer sous silence le portrait qu’il a fait de la Rochefoucauld, en miroir à celui que La Rochefoucauld avait fait de lui. Ce sont deux morceaux d’anthologie pleins d’élégance et de méchanceté.

L’Histoire, la grande, est parfois un régal. Mais il est rare que les leçons qu’elle donne soient écoutées par ceux à qui elles sont destinées.

Hélas, hélas, hélas…

 

 

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