Les « pères du modernisme »

Ce sont des images qui ne quittent pas facilement les mémoires : les deux morts de Belal, les voitures superposées, les tonnes de déchets sur le Port Louis Waterfront, les torrents d’eau boueuse qui balaient tout sur leur passage, des murs qui s’affaissent et qui auraient pu ensevelir des passants solidaires partis aider des voisins, les sépultures qui se baladent jusqu’à la devanture de paisibles résidences, de pauvres policiers se réfugiant dans un « kamion salte » et des touristes qui manifestent à l’aéroport, et tout cela fait, en plus, le tour du monde.

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C’est beaucoup pour quelques heures seulement, mais c’est surtout très symbolique de ce que le MSM de Pravind Jugnauth a réussi à faire de ce pays en sept ans. Avec la politique de met nou dimounn partout, c’est la confirmation littérale de l’adage selon lequel celui qui sème le vent récolte la tempête.

Si le pays a connu un tel drame alors même que le cyclone n’était accompagné que de vents ne dépassant pas les 120 kilomètres, contre 200 pour La Réunion, c’est parce que l’amateurisme est partout. Il est, en fait, la marque de fabrique de ceux qui nous gouvernent.

Le Premier ministre, qui est très discret depuis que son annonce du 1er janvier d’une augmentation de la pension des 75+, qui se voulait choc, a fait finalement plus de mécontents que des heureux, s’est employé depuis à activer son agenda clientéliste en annonçant des heures de congé pour prier pour les uns ou un avancement de la date du paiement des salaires dans le public en prévision du Thaipossum Cavadee en passant par son rituel de visite sur un site religieux précédant une célébration importante. Croyant pouvoir ainsi obtenir quelques dividendes électoraux.

Tout est, sans jeu de mots, tombé à l’eau le 15 janvier. Le bureau du Premier ministre au Bâtiment du Trésor surplombe le musée, en partie inondé, le Jardin de la Compagnie et la rue La Poudrière, le théâtre de ce déferlement spectaculaire d’eau qui a déplacé et abîmé de nombreux véhicules.

Or, contrairement à ce que les Mauriciens font en tant que voisins, aller s’enquérir de leur sort après un drame, c’est dans le sud que le chef du gouvernement et député du N°8 a choisi de se balader après le passage du cyclone au lieu de se préoccuper du drame qui s’est déroulé sous ses fenêtres. Des envies d’ailleurs parce que le dossier Kistnen est trop lourd à porter, allez savoir…

Les cyclones, on connaît pourtant. Même si on reste moins efficace dans la prévision, dans la prévention et la gestion de telles catastrophes que nos voisins réunionnais, dont l’île a pourtant un relief bien plus montagneux que le nôtre, le degré d’impréparation enregistré lors du passage de Belal est tout simplement hallucinant.

On n’est plus à l’époque où l’on devait attendre la MBC et la météo de Vacoas pour savoir comment évoluent les cyclones. Il y a aujourd’hui des sites de prévision voisins et internationaux et un météorologue amateur, ici même, il y a tout cela pour croiser les informations et prendre les décisions qui s’imposent, alors pourquoi tant de cafouillage ?

Parce que le pouvoir est devenu extrêmement centralisateur avec l’émasculation des administrations régionales et qu’il est exercé par un seul homme, le locataire en chef de l’hôtel du gouvernement. Dans ce pays où certains osent se revendiquer « pères du modernisme », cinq jours après le passage presque furtif d’un cyclone, il y a toujours des foyers privés d’eau et d’électricité.

On dirait que le CEB ne dispose plus de ces équipes qui sillonnent villes et villages pour un exercice d’élagage en prévision de la saison cyclonique. Pour l’eau, dont la distribution 24/7 fut promise depuis octobre 2014, c’est le paradoxe permanent : lorsque la pluviométrie est faible et que les réservoirs s’épuisent, les coupures sont de mise, lorsqu’il y a un trop-plein de pluies, c’est de nouveau le rationnement parce que, cette fois, c’est la spoliation des circuits de distribution.

La saga des drains est encore plus éloquente. Il y a un budget Padayachy qui annonçait Rs 10 milliards pour l’aménagement de drains dans les zones inondables. C’est ainsi que l’exercice 2020-21 avait été rebaptisé « budget drains ». Mais avec quel résultat ? Zéro. Trop peu a été fait ou mal fait jusqu’ici.

Pour des raisons que l’on peut deviner : des exercices d’appels d’offres bidonnés, des contrats alloués à des copains qui parfois ne connaissent rien au dossier et qui emploient des sous-traitants pour un travail bâclé. Et pire, il y a bien un rapport sur les zones à risque, où continuer à habiter et à construire représentent un danger, mais il a été décidé de le classer secret. C’est ce qu’on appelle de l’opacité criminelle.

Quant au spectacle de la honte des déchets en tous genres devant la partie publique du front de mer de Port-Louis, les premiers coupables sont, certes, ces Mauriciens ou ces petits copains qui ont bénéficié d’emplacements ou de patentes de restaurants qui balancent leurs déchets sur la voie publique, dans les rivières et dans la mer, mais on aimerait bien entendre aussi le ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, étonnamment mutique depuis le 15 janvier et la valse des tombes malodorantes dans sa circonscription à St Jean.

Et le Premier ministre qui, en 2022, a créé un nouvel organisme parapublic, encore un, la National Environment Cleaning Authority. Avec quels objectifs et quels résultats ? On glosera encore longtemps sur les responsabilités de ceux qui ont été à la manœuvre durant le passage de Belal.

Mais lorsque tout aura été dit, lorsque le gouvernement n’aura eu d’autre alternative que de compenser les victimes de son amateurisme, il restera une seule question : qui assumera les conséquences des décisions prises le 15 janvier ? Un fonctionnaire ou ceux qui tirent les ficelles et qui décrètent, par exemple, qu’il faut établir une distinction entre salarié du public et celui du privé, et qui ont ainsi mis en danger la sécurité de milliers de Mauriciens. Ça aussi, c’est le directeur de la météo ? Allons…

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