Lettre à des adultes un peu hypocrites

UN ADO

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Vous avez la parole facile et cruelle. Vous dites que nous, les jeunes, sommes des paresseux, que nous n’aimons pas travailler, que nous passons l’essentiel de notre temps sur les réseaux sociaux, qu’il n’y a qu’une chose qui nous intéresse, les selfies, que nous sommes des « drogués » et j’en passe. Et que si on n’arrive pas à avoir cinq ‘credits’ c’est de notre faute. On n’a personne d’autre à blâmer que soi-même. Peut-être que vous avez raison. Après tout, chacun décide de son destin. On est libre d’apprendre ou pas. Mais est-ce que les choses sont aussi simples que vous le dites, que vous le croyez ? Je ne suis pas, comme vous, un expert, moi, mais j’ai mon opinion, qui vaut ce qu’elle vaut. Peut-être que mes mots vous blesseront, mais ils disent le fond de ma pensée.

Je trouve que vous êtes un peu hypocrites. Vous n’arrêtez pas de nous bassiner les oreilles avec votre passé glorieux : avant, mon enfant, on savait la valeur de l’éducation, on travaillait très dur, on arrivait à avoir de bons résultats. J’ai de sérieux doutes à ce propos. Un enseignant qui a étudié la question me disait récemment que contrairement à ce qu’on croit le taux d’échec a toujours été très élevé à Maurice. Cela a toujours été un système à deux vitesses, un pour les élites, les lauréats parmi (qu’on ne pourra s’empêcher, une fois de plus, de glorifier bientôt) et un pour les autres, des milliers d’enfants qui échouent, qui sont mis à l’écart. Ce passé, en d’autres mots, n’a probablement jamais existé. Notre système éducatif détruit l’intelligence des enfants depuis toujours. Donc, arrêtez de grâce. Vous étiez responsables, décidés et déterminés à quinze ans ? Quelle blague. Vous étiez comme nous, comme moi, confus, en quête de votre identité, studieux parfois, dans les nuages parfois. Un enfant en d’autres mots.

Je pense aussi que les choses sont un peu plus compliquées qu’on ne le croit. Un enfant évolue dans un contexte et ce contexte décidé, dans une certaine mesure, de ce qu’il sera. Laissez-moi vous donner quelques exemples. À Maurice, on parle le créole à la maison. C’est notre langue maternelle. À l’école on apprend deux ou trois langues étrangères, parmi le français et l’anglais. Et le truc, c’est que les questionnaires sont en anglais. On doit répondre aux questions dans cette langue. C’est bizarre quand même. Imaginez qu’on demande à un Français ou un Japonais d’en faire de même. Il vous dira que vous êtes dingue. Peut-être que cette problématique des langues explique pourquoi beaucoup d’élèves n’arrivent pas à s’en sortir. Puis, il y a la question des opportunités et de l’argent. Il y a, comme vous le savez, pas mal de gens pauvres à Maurice. J’ai des amis, qui font de leur mieux, mais leurs parents ne sont pas éduqués, ils ne peuvent donc les aider et ils n’ont pas les moyens de leur payer des leçons particulières. J’ai étudié la socio (abréviation de sociologie pour ceux qui s’y connaissent !) et j’ai appris que nous n’avons pas tous les mêmes chances dans cette course vers la réussite. Un sociologue, Bourdieu, que je vous conseille de lire, explique comment tous ces mécanismes fonctionnent. Et puis, vous savez quoi, je m’ennuie à mourir à l’école. Je ne suis pas le seul. Les enseignants sont peu motivés (est-ce de leur faute, il paraît qu’ils ont un salaire minable), leur méthode pédagogique est dépassée, les infrastructures en piteux état, les matières enseignées peu stimulantes, c’est une vraie de perte de temps. En d’autres mots, c’est hyper-bombe. J’ai des cousins qui vivent à l’étranger, ils me disent qu’ils aiment l’école. Je me dis que peut-être que l’école est ‘cool’ là-bas, contrairement à ici. Qu’en pensez-vous ?

Bon, je résume. On est tous d’accord pour dire qu’on décide de son destin. Mais il y a un contexte. On ne peut l’ignorer. Il pèse lourd, très lourd dans la balance. J’ai donné quelques exemples. Il y en a d’autres. La liste est très longue. Donc pour pouvoir comprendre ce problème, il nous faut un minimum d’intelligence. Il nous faut réfléchir, analyser objectivement les faits pour pouvoir proposer des solutions.

Je vous l’ai dit, chers adultes. Je trouve que vous êtes un peu hypocrites. J’en connais qui critiquent de façon acerbe les jeunes alors qu’ils étaient des fainéants sur les bancs de l’école ! Et d’autres qui nous reprochent de poster constamment des selfies en ligne alors qu’ils en font de même et c’est souvent pire ! Et le plus comique, c’est que vous vantez l’importance du travail alors que vous n’aimez pas travailler. Vous le faites essentiellement pour l’argent. Et, tout sages que vous êtes, vous votez régulièrement pour ces mêmes politiciens qui vous dépouillent, qui vous exploitent. Et vous osez nous dire que nous sommes des irresponsables.

Je vais terminer sur une image, celle d’une amie. Elle a eu 4 crédits. Elle devra refaire la Form 5. Il y a dans ses yeux une tristesse insondable. C’est une jeune comme les autres, mi-studieuse, mi-rêveuse. Une fille adorable. Vous voyez un être insouciant, moi je vois une victime, victime d’un système éducatif lamentable, victime des choix de décideurs qui sont dans cette tour d’ivoire qui leur renvoie l’image de leur pouvoir, de leur indifférence et de leurs innombrables bagnoles de luxe, victime d’un monde que vous avez créé, chers adultes. Oui, vous, chers adultes un peu hypocrites.

 

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