LETTRE OUVERTE AU DPP : La Police ne peut pas  être l’organe de poursuite

PARVEZ DOOKHY

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Avocat à la Cour

Docteur en Droit en Sorbonne

Monsieur le Directeur des poursuites publiques,

Le Commissaire de Police a tout récemment saisi la Cour suprême d’un appel à l’encontre d’une remise en liberté provisoire et d’un contrôle judiciaire strict prononcés par la magistrate de Moka dans une affaire médiatisée.

Je m’insurge contre une telle démarche dont la finalité ultime serait de faire de la Police un organe bis de l’accusation ou de poursuites.

En effet, le Commissaire de Police, constitutionnellement, n’est que le Chef de la Police (article 71-2 de la Constitution).

La Police, traditionnellement et historiquement, est l’organe d’enquête. Elle est chargée de constater les infractions à la loi, rechercher leurs auteurs et réunir les éléments de preuve nécessaires à la manifestation de la vérité.

La Police n’est pas et ne peut pas être l’organe de poursuite.

L’organe de poursuite, c’est Votre Autorité, le Directeur des poursuites publiques.

Vous êtes l’héritier direct du « Ministère Public » ou du « Procureur » mauricien dans les affaires pénales depuis 1964.

Le Directeur des poursuites publiques, comme avant Vous, le Procureur :

– Dispose de l’opportunité des poursuites (est-ce qu’il faut poursuivre, en prenant en compte l’infraction, apprécie si elle est caractérisée et le contexte de l’affaire dans sa globalité, l’atteinte portée à l’ordre public, le préjudice à la Société…) ;

– Soutient juridiquement, si l’affaire est renvoyée devant la Justice, l’accusation ou y met fin ;

– Oriente la Justice sur la sanction la plus appropriée éventuellement.

Ce sont principalement vos trois pouvoirs et rôles.

Votre Autorité représente la « Société ». C’est ce qui Vous donne le pouvoir d’appréciation, de l’opportunité des poursuites et du droit de demander une sanction, que vous jugez la plus adéquate, au juge. Aussi, c’est ce qui fait que vous n’avez pas de compte à rendre (article 72-6 de la Constitution) à quiconque. Vous êtes en soi l’avocat de la Société, elle qui est victime lorsqu’une infraction est commise.

Si le Commissaire de Police réussit dans sa démarche, si le juge in fine lui donne raison en faisant évoluer le droit, et par voie de conséquence reconnaît l’« intérêt à agir » (entendons à poursuivre) de la Police, alors cette dernière pourrait s’arroger des pouvoirs de la poursuite, Vos pouvoirs. Elle pourrait devenir, à tout le moins, un organe de poursuite parallèle à Votre Autorité (autrement formulé, elle pourrait décider, parce qu’elle aurait un intérêt à agir, de poursuivre alors que Vous-même en auriez décidé autrement).

Ce serait dangereux pour l’ensemble de nos libertés. Il n’y aurait plus de séparation entre les enquêteurs et la poursuite, séparation tant nécessaire pour que la Justice puisse trancher dans la sérénité.

Je crains que la Police, si elle obtient gain de cause, puisse poursuivre, à l’avenir, directement des opposants sans besoin de transmettre les éléments de l’accusation à Votre Autorité, sans devoir apprécier l’opportunité des poursuites, mission dont la Police n’est pas investie.

Ce sont les raisons pour lesquelles je vous saurais gré de bien vouloir faire respecter l’esprit, le rôle et les pouvoirs de Votre Autorité devant la Justice.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur des poursuites publiques, l’expression de mes sentiments les plus patriotiques et dévoués.

Port-Louis, le 13 mars 2023

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