L’existence du vote ne signifie pas existence de la démocratie

THOMAS NÉMORIN

Comme tous les cinq ans, Maurice s’apprête à fêter la démocratie représentative par son acte le plus naturel : élire un gouvernement. D’une période électorale s’accompagne un sacré folklore entre les meetings qui ont pour but de réveiller notre hooliganisme politique, les grands discours qui se veulent fédérateurs, ceux-ci s’accompagnant bien souvent d’un grand nombre de promesses, en lesquelles plus ou moins de gens décideront de placer leur confiance et leur espoir pour un avenir meilleur.

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C’est dans ces moments d’échanges, où la démocratie telle que nous la connaissons dans notre pays, est la plus vivace, la plus grouillante. Cependant, il serait temps d’arrêter de croire que la démocratie n’est qu’un vote. À ceux qui disent « vous êtes en démocratie, vous pouvez voter ! », je dis non. La démocratie n’est PAS le vote, ce dernier est tout au plus un instrument systémique, mais l’existence du vote ne signifie pas existence de la démocratie.

La démocratie suppose bien plus que l’appel aux urnes tous les 5 ans. La démocratie admet un principe simple : le peuple est souverain. Autrement dit, il a le pouvoir. Or, dans ce que certains appellent démocratie, qui n’est rien d’autre qu’un gouvernement représentatif (ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’abbé Sieyès lui-même, le fondateur de la démocratie représentative au lendemain de la Révolution française, deux citations qui l’illustrent bien : « L’autre manière d’exercer son Droit à la formation de la Loi, est de concourir soi-même immédiatement à la faire. Le concours immédiat est ce qui caractérise la véritable démocratie. Le concours médiat désigne le gouvernement représentatif » et « s’ils [les citoyens] dictaient des volontés ce ne serait plus cet état représentatif, ce serait un état démocratique », où est le pouvoir du peuple ?

Oui, élire ses représentants en est un, mais il faut aussi pouvoir proposer des lois, il faut pouvoir s’opposer à des propositions de loi qui ne nous conviennent pas, il faut avoir la possibilité de démettre un dirigeant politique qui ne fait pas ce pour quoi il a été élu (principe du mandat impératif), etc. De ce fait, la démocratie requiert des institutions de qualité, un monde médiatique libre et un peuple éduqué.

Dans un des livres qui retracent sa vie, sir Gaëtan Duval disait que s’il avait eu un média en sa possession, il aurait gagné les élections. Bien que ça ne l’aurait peut-être pas fait gagner, ça aurait en effet, fait augmenter sa probabilité de victoire. Parce que, oui, la démocratie représentative a pour conséquence de mettre des visages sur des institutions publiques. Les professionnels de la politique sont bien plus en train de penser leur marketing politique, l’opportunisme de certaines récupérations politiques ou les faux pas adverses pour améliorer leur image dans cette lutte pour le pouvoir. Le fait de mettre un visage sur ce pouvoir, fait de cette même lutte bien plus un combat marketing ; pour obtenir un maximum de vote, qu’un combat idéologique. De ce fait, les médias ont un rôle primordial en démocratie. C’est eux qui véhiculent les informations dont se nourrit le peuple pour se faire un avis sur les uns ou les autres.

Et c’est pour ça, que la qualité des médias (absence de fake news, un travail de fond basé sur des arguments concrets), l’importance de divergence d’opinions de qualité permettant le débat, l’absence de censure (dans la mesure du strict raisonnable), la diversité des médias sont des éléments importants.

Vient ce deuxième point, étant probablement celui qui peut le plus faire débat. On entend souvent dire que la foule n’est pas apte à prendre les bonnes décisions, qu’elle a toujours tort, et c’est d’ailleurs un des principaux arguments de ceux qui s’opposent à la démocratie. Ont-ils tort ? Non. À un détail près du moins. Ceux-ci disent que la foule est bête, incapable de comprendre les enjeux pour lesquels elle vote étant donné qu’elle n’a ni les connaissances requises ni la technicité. Or, ce n’est pas dessus que le peuple doit être éduqué. Comme le montre le combat d’échecs entre Garry Kasparov et la foule en 1999, quand cette dernière a le temps de recevoir les informations, d’en discuter, de prendre du recul, avec en prime l’avis divers de certains experts, elle est pratiquement capable de battre le meilleur joueur d’échecs de l’histoire. Donc, ce dont la foule a besoin, ce n’est pas la technique ou les connaissances, mais plutôt d’être éduquée au procédé démocratique, celui-là même qui consiste à échanger sur des sujets, prendre des avis contraires, les discuter, les retourner dans tous les sens, pour finalement aboutir à une décision consensuelle ; (exemples de démocratie semi-directe à la hauteur d’une ville, Kingersheim, ou d’un pays, la Suisse). Et oui, ça prend du temps, la démocratie, ça prend du temps, mais il serait peut-être temps de penser moyen et long terme.

De plus, il y a un constat simple à faire, la « démocratie » dans laquelle nous vivons et son expression par le vote, à professionnaliser la politique. Aboutissant ainsi à un gouvernement représentatif, qui a pour principe premier la délégation. Mais l’expression de la démocratie n’étant que l’appel aux urnes pour créer une oligarchie, rien n’est plus infantilisant pour le peuple qui n’a ainsi plus vocation à réfléchir le « nous » mais seulement le « je », et par ce procédé simple de professionnalisation de la politique, on éloigne les gens, ceux-là mêmes qui sont souverains du pouvoir, du procédé de réflexion politique, et certains se permettent ensuite de leur reprocher de ne pas voter alors même qu’ils ne sont pas impliqués de base par le système politique.

Par ailleurs, ce même vote que certains chérissent tant a été et est la cause de l’aliénation toujours plus grande du peuple. Montesquieu disait dans l’Esprit des lois « le suffrage par le [tirage au] sort est de la nature de la démocratie. Le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie » et il ne se trompait guère. Autant la forme la plus pure de la démocratie est le tirage au sort, laissant sa chance à chacun d’avoir le pouvoir ; autant le système en place a été créé, délimité, réglementé par une élite bourgeoise qui garde la mainmise sur celui-ci, le vote légitimant leur pouvoir, permettant ainsi que le système s’auto maintienne. Par exemple, le cas de l’Islande, où a été mise en place l’écriture d’une nouvelle Constitution par une assemblée constituante dont les membres sont issus du peuple, et une fois achevé, le Parlement a bloqué la mise en place du texte de loi alors même que le peuple avait voté aux deux tiers de façon favorable au référendum pour la mise en place de la nouvelle Constitution. Le système se maintient par lui-même.
Enfin, les institutions sont la base même d’un état de droit. La démocratie suppose un principe de confiance primordial entre les dirigeants et les dirigés, dans ce but certains critères sont importants à respecter : la transparence de l’information (mais jusqu’à quel point ?), l’absence de corruption, une éducation civique et politique dès le plus jeune âge pour être apte à comprendre la société, permettre à chacun d’avoir l’opportunité de vivre sa vie comme bon lui semble, assurer la sécurité, l’éducation et la santé.
Arrive alors la question des mandats et leur forme. Faut-il des mandats courts ou longs ? Un nombre de mandats limité par le temps ou leur nombre ou ne placer aucune limitation de quantité ? Partant du principe qu’il est possible de démettre les élus ou de faire annuler des lois, je pencherais sur un mandat long, permettant la mise en place de projets à long terme au gouvernement, ce dernier n’ayant pas à vivre dans la peur de se lancer dans un projet d’envergure qui ne verrait des résultats que des années après, profitant aux autres gouvernements, ou encore voir leur projet se faire annuler en plein vol. Les mandats de 5 ans obligent des politiques de court et moyen terme dans le but de satisfaire les électeurs, un des autres effets pervers de la professionnalisation de la politique. Dans cette même logique, le nombre de mandats ne devrait pas être limité dans le temps.
Dans le cas de Maurice, on peut citer deux anomalies, la première étant que le mandat de maire à Maurice ne dure que deux ans; or la confiance ne peut régner dans quelque chose de si peu stable. Ou encore, on peut se demander comment il est possible que, lors des élections générales, des régions aux nombres d’habitants hétérogènes se retrouvent à élire le même nombre de députés.
Libre à vous de vous faire votre propre opinion, de vérifier si Maurice réunit ces critères, et si elle est digne d’être appelée démocratie. En tout cas, de mon point de vue, c’est non. Mais notre petite île n’est pas la seule à faire vivre l’imposture du gouvernement représentatif comme démocratie, nous sommes loin d’être les pires en la matière.
À noter que l’article n’aborde pas nombre de sujets, comme la démocratie directe par exemple, mais que le format et l’envie de laisser aux gens de s’informer par eux-mêmes auront mené à un article de cette forme.

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