LITTÉRATURE DE JEUNESSE — L’étrange dans Les Orphelins, Tome I : Les sorcières de la forêt noire (2018) d’Amarnath Hosany

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Dans cette courte analyse, nous aborderons le thème de l’étrange dans une œuvre de la littérature francophone mauricienne intitulée Les Orphelins, Tome I : Les sorcières de la forêt noire (2018) d’Amarnath Hosany. Le Mauricien est surtout connu comme un auteur de littérature de jeunesse. Il est lauréat du prix du livre insulaire en 2015 et récipiendaire du prix Saint Exupéry (catégorie Francophonie) en 2019. Nous tenterons, dans cette analyse du seizième ouvrage de l’auteur, d’interpréter la manière par laquelle l’étrange se manifeste comme, premièrement, un décor, deuxièmement, une science pour les jeunes et, finalement, l’image d’un monstre utilisé pour combattre la peur.

L’étrange en tant que décor

L’histoire de ce roman est étrange. Des nouveau-nés disparaissent, jetant un énorme trouble chez les familles du village de Camp Maudit. Rico, jeune personnage principal, va s’aventurer dans l’étrange Forêt-Noire, dans le but d’élucider le problème. Dès l’incipit du récit, l’étrange se traduit par des descriptions troublantes de la flore locale : « À l’extérieur, des buissons sauvages avaient envahi la pente rocheuse de la colline d’un côté, et de l’autre, régnait un ravin profond, et les abords en étaient escarpés, séparés de la rue par un vieux parapet en fer battu et rouillé » (2018 : 7). Cet étrange décor se concrétise par une rhétorique de la désuétude avec des « buissons sauvages » ou encore « un vieux parapet en fer battu et rouillé ». Il n’empêche que le « ravin profond » dont « les abords [étaient] escarpés » et « séparés de la rue » donne à ce même décor une perspective de grandeur, abreuvant presque l’imaginaire d’une sensation infinie d’étrangeté qui ne peut que nourrir l’âme du lecteur. Nous observons alors un télescopage que propose le narrateur entre un décor lugubre et un décor exotique, comme si l’un était inextricablement lié à l’autre. L’exotisme serait-il alors une anti-utopie ou se serait-il dévoyé par la main de l’homme ? L’espace hermétique de la Forêt-Noire entraîne par ailleurs les trois orphelins Rico, Tania et Mori à décoder des indices qu’ils découvrent au fur et à mesure qu’ils se laissent aller à l’aventure, en s’armant d’une armada d’astuces (graines de moutarde, pignon d’Inde ou encore bois de camphrier) pour combattre les sorcières – ces « daïnes »  qui s’approprieraient l’âme des nouveau-nés…

L’étrange comme une science pour les jeunes

Nous nous posons cependant la question de savoir pourquoi Amarnath Hosany propose-t-il le phénomène de l’étrange comme une science pour les jeunes ? S’agit-il ici d’un moyen pour démystifier le phénomène ? En tout cas, il s’agirait d’un roman initiatique où les personnages doivent surmonter des difficultés qui se dressent devant eux, comme dans une mise en scène de ce qu’est le monde réel. L’imaginaire nourrit l’esprit si bien qu’il peut en être un catalyseur pour une meilleure compréhension de la vie réelle, pour pousser à comprendre son prochain, bref pour s’entraider. D’ailleurs, Rico, le meneur, ne dit-il pas : « Ensemble, nous réussirons » (2018: 24) » ? En apprenant à vaincre ses démons intérieurs, le personnage se construit petit à petit et apprend à maîtriser ses pires ennemis comme ses craintes, ses hésitations et son angoisse. Les orphelins sont habités par un humanisme sans égal qui les anime. Serait-ce peut-être par leur situation d’orphelins qu’ils parviennent à mieux s’entendre. Cette fraternité qui s’installe chez eux sonne comme un optimisme pour un monde meilleur. Le roman d’Amarnath Hosany démontre par quels moyens maîtriser l’étrange permet de devenir un être puissant. Autre fait majeur à retenir est l’importance qu’accorde le narrateur à la représentation de la jeune fille dans le roman. Bien que jeune, Tania participe à une forme de transgression d’un univers souvent masculin réservé au monde de l’étrange où le seul rôle de la femme est d’être une sorcière. Tania fait ressortir un nouveau dynamisme en participant activement à combattre le Mal même si les habitants de Camp Maudit n’acceptent pas l’arrivée dans le village des orphelins, parce que laisser pénétrer les « Autres » dans leur milieu habituel est perçu comme une souillure, une blessure déjà causée par la disparition des nouveau-nés. L’étrange comme une science s’inscrit bien alors dans un parcours initiatique. Utilisant des procédés langagiers qui étoffent le sentiment de peur, comme « une grosse chatte noire » (2008 : 59) avec l’antéposition et la postposition de l’adjectif autour du nom commun « chatte », la peur de l’étrange est alors bien représentée. L’étrange y est même presque ornemental.

La figure du monstre pour combattre la peur

La figure du monstre a largement été représentée dans la littérature. Elle a engrangé une multitude de formes comme la métamorphose, la thérianthrophie ou zooanthropie, la cynanthropie ou la lycanthropie. Dans l’Ancien Testament, le roi Nabuchodonosor fut transformé en bœuf pendant sept ans (Daniel, IV, 30: 89). Lycaon, dans Les Métamorphoses d’Ovide, est apeuré lorsqu’il est transformé en loup, bien qu’il semble conserver des traits de caractère humain : « il se met à hurler ; en vain il s’efforce de parler […] » (1992: 50). Combattre le monstre hideux en face de soi équivaudrait à combattre le monstre d’abord à l’intérieur de soi-même. Si le monstre hosanien apparaît « naturellement » comme ayant « une tête de sanglier surmontée de cornes, des yeux globuleux, la gueule grande ouverte, montrant des crocs longs et acérés. Son corps massif et imposant était rouge, avec des bosses noires. Elle leur barrait la route » (2008: 106), c’est à une leçon de vie qu’il nous confronte. Tuer le monstre, c’est tuer la sorcière androphage (qui se nourrit de la chair humaine pour gagner plus de pouvoir), c’est aussi tuer les plus grandes perversités de l’homme comme la manipulation et le narcissisme. La mort de la sorcière est symbolique ; en la tuant, on se libère de l’oppresseur pour enfin redevenir soi.

Conclusion

Amarnath Hosany

Amarnath Hosany soigne son écriture en portant une attention particulière au suivi de la description de l’étrange dont l’interprétation passe par un décodage qui requiert un énorme travail sur soi. Comme s’il fallait faire éclater les cloisonnements imposés par la société pour enfin se trouver. Le monstre représenté est en réalité un monstre plus abstrait, plus invisible que celui que l’on connaît ; celui qui est en nous et que nous devons vaincre. L’étrange chez Amarnath Hosany passe d’abord par un refus des conventions mais il passe aussi par une esthétique d’une conscience qui cherche à se renouveler. Si les orphelins parviennent tant bien que mal à vivre ce renouveau, le fait demeure qu’une organisation secrète va tenter de les pister…

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* Docteur en Littérature et civilisation françaises de l’université Paris-Sorbonne, Sonia Dosoruth est Senior Lecturer au département de français de l’université de Maurice. Elle est également Maître de conférences qualifié par le Conseil National des Universités en France (Section CNU : 9°- Littératures francophones).

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