LITTÉRATURE: René Noyau, Jean Erenne, ange d’airain, homme de demain

La parution la semaine dernière du premier tome de l’oeuvre de René Noyau, présentée et commentée par son propre fils Gérard, lui-même ancien professeur de langues en Angleterre, doit être considérée comme un événement d’ampleur nationale et même internationale. Un premier pas a été franchi le lundi 24 septembre quand le responsable de la cellule Culture et Avenir du bureau du Premier ministre Alain Gordon-Gentil a présenté aux journalistes et invités l’ouvrage imprimé sur les presses du gouvernement. Mais cet exercice mondain était presque anecdotique par rapport au nouveau pas qui va être accompli cette semaine avec la livraison gratuite d’un exemplaire de cet ouvrage dans chaque école et bibliothèque du pays, puis avec la distribution en librairie.
Tous les établissements scolaires et toutes les bibliothèques du pays recevront un exemplaire de René Noyau, l’oeuvre (volume I) à partir de cette semaine. Enseignants et élèves pourront alors découvrir la plume fulgurante de cet homme dont les poèmes et chroniques nous indiquent l’existence d’une littérature singulièrement mauricienne, extraordinairement moderne par rapport à l’époque à laquelle elle a été écrite, tout à fait pertinente et encore en avance dans l’actuel 21e siècle. L’Ange aux pieds d’airain, tout comme le recueil Le Labyrinthe Illuminé ou bien sûr le subtil Séga de liberté, nous montrent à quel point ce poète savait mettre la langue au pas du feu qui l’animait, sculptait les mots dans la singularité d’une pensée complexe et profonde mais jamais hermétique, toujours tournée vers son public, singulière et originale.
Une passion dévorante pour toutes les expressions artistiques et pour un journalisme libre, éthique et presque chevaleresque, une foi communicative dans l’île Maurice en devenir dont il n’a cessé de défendre l’Indépendance, une attention sans cesse renouvelée aux plus démunis et aux plus injustement traités ont nourri la vie de cet homme. S’il a livré maintes et maintes fois des batailles sur le terrain des idées, il ne s’est jamais attaqué bassement à ses adversaires, contrairement à certains de ces derniers, qui n’ont pas hésité à l’insulter et à s’en prendre à son physique.
Gérard Noyau, qui prépare ce travail depuis de nombreux mois avec la méticulosité du moine copiste couplée à la patience du rat de bibliothèque, a montré lundi combien l’émotion d’un tel accomplissement fréquentait les limites du supportable. Enrichi par la satisfaction d’être arrivé au bout d’un magnifique chantier, il a rappelé au passage par ses mots et plus encore par l’émotion contenue dans sa voix et son regard, que son père avait souvent été maltraité par la bonne société mauricienne. Trop pudique pour dire qu’il est mort isolé, malade et sans revenu, il a seulement, vite rappelé quelques méchancetés présentes dans les archives du pays (“analphabète” !!! faune erratique, chien errant, etc.).
Pour réinventer la critique
Cet homme à la stature imposante, cet homme « long comme un jour sans pain » était à la fin de sa vie d’une impressionnante maigreur, peut-être consumé par la passion qui n’a cessé de l’animer. Gérard Noyau rappelle que son père estimait « avoir quelque chose à entreprendre pour briser les moules étroits » et qu’il se sentait « élu pour mener ce combat » aux côtés d’autres intellectuels mauriciens. Il précise à tout bon entendeur qu’il a mené ce combat toute sa vie… Né le 14 avril 1912, René Noyau a publié son premier recueil, L’ange aux pieds d’airain, en 1934. Il lançait alors sans le vouloir une pierre dans le camp des surréalistes auxquels Marcel Cabon le rattachera plus tard, ce mouvement littéraire et artistique animant alors l’avant-garde en France.
Ce poème comme tous ceux qui suivront mériteraient certainement que les critiques et chercheurs les plus impartiaux, et aussi les plus ouverts, viennent en nommer les trésors, caractéristiques d’une poésie nouvelle et singulière, qui n’aurait pu être façonnée ailleurs qu’ici et autrement que par un homme tel que cet auteur. Cette littérature devrait inventer son propre discours et cela n’a pu advenir depuis des décennies qu’aucun ouvrage de cet auteur n’a été disponible en librairie. Dans les années 50, René Noyau a amené l’africanisme à Maurice, puis dans les années 60, de pertinentes réflexions sur l’Indépendance. En 1971, il défendait la langue créole alors qu’elle était encore dénigrée, avec Tention Caima (qui vient de sortir aux éditions Pamplemousses accompagné d’une illustration de Diana Noyau).
Ce premier volume retrace en une cinquantaine de pages la biographie de ce poète et penseur de l’île Maurice moderne. Ensuite sont proposées à la lecture les poèmes, essais, aphorismes, nouvelles et chroniques réalisés de 1931 à 1959. Chaque page offre ici un réjouissement littéraire et intellectuel. Les chroniques apportent assurément des outils de réflexion pour l’histoire contemporaine car elles traitent de la vie publique, des idées et de la création à une période où Maurice – comme de nombreux autres pays africains – reconstruisait son histoire politique en s’affranchissant du joug colonial.
L’objectif initial de Gérard Noyau était de rassembler les oeuvres complètes, mais à l’heure où il fallait boucler quatre volumes dont les trois prochains seront disponibles en mars 2013, il savait qu’il lui manquait encore des textes… Aussi a-t-il eu le bonheur de retrouver ensuite d’autres écrits, tels qu’un essai intitulé Graine de discorde, 40 pages présentées à une commission d’enquête sur la police (1957), une étude critique du livre vert de Khadafi, un conte en créole (Ton Zil), 200 autres chroniques et enfin Frontières 40 qui regroupe d’intrigants textes en prose et poèmes. En attendant un nouveau mécène pour ce complément d’édition, vivement mars 2013 pour découvrir les trois volumes consacrés aux périodes suivantes…

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