L’océan – Bien commun de l’humanité

SHAAMA SANDOOYEA
Licenciée en sciences marines et environnementales de l’Université de Maurice
L’ossature de la planète

L’océan recouvre plus de 70% de la planète que nous connaissons à peine. Les scientifiques estiment que cet environnement magique abrite des millions d’espèces, mais 91% des formes de vie présentes ne sont pas encore répertoriées (Mora et al., 2011). La biodiversité marine varie des algues microscopiques aux plus grands mammifères de la planète. Chaque espèce joue un rôle dans les différents cycles biogéochimiques de la planète. Par exemple, les phytoplanctons sont responsables de la production de 50% à 70% de l’oxygène que nous respirons. L’océan est davantage capable d’absorber environ 30% du dioxyde de carbone de l’atmosphère (Sabine et al., 2004) et le stocke dans ses écosystèmes dans le sol tels que les herbiers marins ou les forêts de varech et même dans les profondeurs.

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Moyen de survie et de subsistance pour plusieurs

Trois milliards d’êtres humains dépendent directement de l’océan pour leur principale source de protéines pendant que des centaines de millions sont employés dans ce milieu à travers le tourisme, inclus les centres de plongée, les clubs d’activités nautiques et les plaisanciers, ou la pêche. Les gens qui dépendent de l’océan pour leur survie sont très vulnérables car ils sont rapidement touchés par la crise écologique et climatique, par la pollution marine, et tout récemment par la crise sanitaire du Covid-19.

Les scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme

Ban Ki-moon, alors secrétaire général des Nations unies, avait fait ressortir en 2012 que l’océan a perdu la moitié des stocks de poissons et 27% des stocks restants sont exploités. Les puissances de l’industrie de la pêche sont la Chine, le Taiwan, le Japon, l’Indonésie, l’Espagne et la Corée du Sud, qui constituent 77% des navires de pêche en haute mer. La pêche commerciale s’ajoute à la problématique de la pêche illicite, non-déclarée et non-réglementée qui non seulement détruit l’environnement marin, mais est associée à des pratiques inhumaines.

La pollution plastique est un sujet qui a pris de l’ampleur également. Bien qu’il soit impossible d’évaluer le volume de plastique dans l’océan, une étude menée suite à 24 expéditions de 2007 à 2013 montre qu’il y aurait peut-être 5,25 trillions de particules plastiques s’ajoutant à une totalité de 268 940 tonnes de plastique en mer (Eriksen et al., 2014). Il est estimé qu’environ 1,15 à 2,41 millions de tonnes de déchets plastiques finissent leur trajectoire en mer chaque année (Lebreton et al., 2017). En 2018, un groupe de chercheurs a enquêté sur la pollution par des métaux lourds et a vu que 45% des cas d’empoisonnement au mercure aux États-Unis proviennent des fruits de mer. L’industrie la plus polluante de la planète reste l’industrie du transport maritime qui détruit des écosystèmes pélagiques. De plus, le dérèglement climatique perturbe le bon fonctionnement des écosystèmes marins. Depuis 1955, plus de 90% de la chaleur produite par l’excès de gaz à effet de serre sont absorbés par l’océan. Ce surplus d’énergie a contribué à l’expansion de l’océan dont le niveau a donc augmenté. Un océan plus chaud multiplie les catastrophes naturelles telles que les cyclones.

Ces défis politiques qui troublent

Ces opérations destructrices démontrent un manque de régulation en haute mer. Des failles au sein des conventions et lois existantes permettent la surexploitation des ressources marines, et des espèces comme les tortues de mer, les requins et les albatros déclinent drastiquement. La Convention des Nations unies sur les Droits de la Mer (CNUDM) reconnaît le devoir des utilisateurs de la mer de conserver les ressources marines et de protéger et préserver l’environnement, dont les écosystèmes et habitats fragiles, mais elle n’est pas appliquée. Moins de 5% de l’océan sont actuellement protégés contre la pêche commerciale, les plateformes pétrolières, et autres, et ces aires protégées se trouvent dans des zones côtières ou dans les eaux territoriales.

L’océan Indien : une bombe à retardement ?

La superficie de l’océan Indien le case automatiquement à la troisième place, après les océans Pacifique et Atlantique et au-dessus de l’Antarctique et l’Arctique. Puisque la partie nord de cet océan est entourée de terre (l’Afrique, l’Asie, et l’Océanie), l’océan Indien reste plus ou moins chaud tout le long de l’année. Selon une étude menée par Sang-Ki Lee et al. (2015), le contenu thermique du bassin a augmenté de 2,1 x 1022 joules de 2003 à 2012, représentant 70% de la chaleur accumulée dans les 700 mètres de l’océan autour de la planète. Pour cause, des alizés transportant des courants d’eaux chaudes se sont frayé un chemin du Pacifique vers l’océan Indien. Le projet Building Resilience in the Indian Ocean (BRIO) a tout récemment permis aux chercheurs régionaux d’établir des modèles de prédictions et leurs études montrent une baisse de précipitations dans la région sud-ouest du bassin et un réchauffement de 3 à 5℃ d’ici 2100. De 1993 à 2011, le niveau de la mer est monté de 3,8 mm en moyenne par année à la surface et 70% de cette élévation sont attribués à l’expansion des eaux (Beltrando, 2012). La biodiversité marine a significativement diminué dans l’océan Indien avec 960 000 requins soyeux qui disparaissent chaque année ainsi que quatre espèces de thon à cause de la surpêche. 40% des thons capturés par l’Union européenne proviennent de l’océan Indien (Shah, 2018) et en 2019, l’UE a capturé 70 000 tonnes de thons, soit six fois plus que Maurice (CTOI). Alors que 40% de la production pétrolière en mer sont issus de l’océan Indien (CIA, 2018), plusieurs accidents maritimes, dont des marées noires, ont eu lieu dans le bassin provoquant ainsi des catastrophes écologiques. Les puissances mondiales telles que la Chine, l’Inde, les États-Unis, et les pays européens, se sont imposées dans l’océan Indien à travers le secteur de la pêche, le transport et la sécurité maritimes, l’exploitation du sol marin, et le militaire. À titre d’exemple, l’archipel des Chagos, dont les terres ont été colonisées par le Royaume-Uni depuis plusieurs décennies, qui à son tour a validé la présence d’une base militaire américaine sur Diego Garcia.

La protection de l’océan…

pas sans la justice sociale !

Les Chagossiens ont été inhumainement expulsés de leur terre et n’y ont toujours pas accès. Le Royaume-Uni a utilisé la science pour proclamer les archipels comme une aire marine protégée sans droit de pêche malgré la pollution marine par la base militaire, une décision qui ne sera pas en faveur des Chagossiens car celle-ci les empêche de rentrer chez eux. Malheureusement, cette tendance est plus fréquente qu’on ne le croit. L’histoire se répète à Agaléga avec des infrastructures suspectes et une présence militaire sur l’île, chose qui non seulement inquiète les Agaléens mais qui détruit aussi la biodiversité marine et ce, avec la subsistance des habitants de l’île. La protection de l’océan ne peut pas être un outil politique pour la colonisation ou la privatisation des ressources naturelles. L’océan est crucial pour la sécurité alimentaire des habitants des îles et des zones côtières. Pendant que les îles de l’océan Indien deviennent des dommages collatéraux des conflits ou stratégies des puissances mondiales, les populations locales sont affectées par le dérèglement climatique. Toute la population maldivienne est menacée par la montée des eaux ainsi que 60% des Réunionnais et 40% des Mauriciens et des Seychellois (Beltrando, 2012).

L’enclenchement d’une décennie

d’actions urgentes dédiées à l’océan

Afin de freiner l’érosion de la biodiversité et de mitiger les impacts de la crise climatique, il est urgent de protéger au moins 30% de l’océan d’ici à 2030 pour diminuer les activités destructrices afin que la vie puisse se régénérer dans les décennies à venir. Ce plan de protection consiste en zones identifiées par des scientifiques se distinguant par une biodiversité particulièrement riche et diverse, un habitat marin identifié comme une zone clé pour la vie marine et une zone marine sauvage. Ces aires répertoriées se trouvent principalement dans les hautes mers, au-delà des juridictions nationales. Cependant, nous n’avons actuellement pas de texte juridique ou de convention qui permet la protection de ces régions. La rédaction du « Global Ocean Treaty » pourrait permettre la mise en œuvre d’un plan pour la protection de la biodiversité et des écosystèmes en haute mer en désignant un réseau d’aires protégées et en mettant en place des lois et régulations internationales qui pourront interdire les activités destructrices. Plusieurs millions de citoyens, de scientifiques, d’organisations non-gouvernementales internationales, et d’activistes ont déjà exprimé leur soutien à ce projet de loi.

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