MALCOLM DE CHAZAL: entre faussaires et plagiat

EELAM KANAKSABEE BUISSON
Paris, FRANCE

Un grand homme deviendra encore plus grand si les critiques à son égard pleuvent de part et d’autre. Il parviendra à un tel sommet où nulle âme ne peut l’atteindre dans le firmament de l’art ou de la littérature. Il est dit que notre imaginaire est un champ fertile et propice à la création des merveilles tous azimuts. Rares sont ces personnes où les regards objectifs et analytiques sont dirigés vers eux car ils se retranchent dans leur tour d’ivoire en regardant le monde d’un seul œil. On fait de la littérature que de la ‘wishful thinking’ ! Ils veulent un monde à leur image contrairement à Malcolm de Chazal, qui provoque et agace et crée un monde mythique.

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Des Faux Chazal

Il est rapporté que des faussaires sont à l’œuvre pour écouler des faux Chazal sur le marché de l’art à Paris et peut-être dans d’autres parties du monde pour des raisons mercantilistes et peu honorables. Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’à première vue c’est doublement honteux et qu’il y ait une absence totale d’éthique. Il y a tout lieu de faire de cette défaite une victoire en leur retournant l’ascenseur. Voyons !

Avant de répondre à cette question posons-nous une autre question. Existe-t-il une seule personne dans le monde des lettres qui n’ait pas copié quelqu’un quelque part? Y a-t-il une exception comme exige la règle, tant décriée ? C’est ce que nous allons voir à tête reposée pour insuffler une nouvelle dynamique à tout ce qui touche au patrimoine littéraire.
Quand je préparais ma dissertation sur Loys Masson il y a certes des vérités qu’on évoque peu pour des motifs purement didactiques. Pour revenir aux interrogations citées plus haut, je répondrai sans ménagement aucun que c’est très bon signe qu’on copie ce génie mauricien ou comme va l’adage c’est un mal nécessaire. Or on note donc plusieurs angles à cela. On ne copie pas les artistes qui n’ont pas brillé. Dès qu’on commence à faire des faux des travaux d’un artiste on se réjouira que celui-ci soit véritablement grand. Chazal, comme les grands artistes, a eu ses vrais faussaires. Donc Chazal demeure un grand parmi les grands. Venus de Milo en perdant ses bras ne les a pas baissés pour autant… Cette sculpture en marbre est un chef-d’œuvre universel. Vive Alexandros d’Antioche, qui nous a légué cette leçon, qui réside en la compréhension de l’art sous d’autres perspectives. À quelque chose malheur est bon pour l’art. Je suis tellement habituée à voir des Chazal en les contemplant et en les étudiant dialectiquement chez nous depuis ma tendre enfance qu’il m’est arrivé de dire sans ambages qu’on peut facilement reproduire ces œuvres. Où est l’intrigue? Alors quel élément chazalien est-il pratiquement impossible d’imiter ? Tout d’abord, faut comprendre que Malcolm de Chazal, tout philosophe et penseur qu’il est, reste un mathématicien pur-sang. Concluons que ce serait impossible de reproduire sa signature fidèlement. Elle cache un terrible secret dans ses six lettres accrochées l’une à l’autre. Sachons néanmoins que l’art de la peinture est tantôt calqué sur la simplicité tantôt sur la complexité. Les œuvres picturales de Malcolm de Chazal nous permettent de déduire que l’art transcende la notion du beau et du laid. On découvre dans une réplique de sa gouache intitulée « Peinture de l’île Maurice, l’Île Maurice proto-historique, folklorique et légendaire », qui porte la signature de Chazal, de deux impressions de G. de Spéville en 1987, 5 ans après la mort du penseur qui nous fait remonter au temps des dinosaures en nous montrant tous les éléments de la préhistoire sur ses toiles à travers un microscope. On peut songer ici aux révélations de Jules Hermann.

« Dilo, dilo, dé verres ène sou »…

Maintenant si je vous dis que Malcolm de Chazal a bel et bien plagié une citation célèbre d’un auteur. Il ne s’agit pas d’inspirations car cela est légitime comme ‘cette fleur qui nous regarde’; ‘cette théière qui nous boit’; ‘cette cigarette qui nous fume’ et tant d’autres hypallages chères à Chazal. Sans plus de suspense voici le déroulement de ce film: en 1962 à l’occasion du 150e anniversaire de la fondation du Mauritius Turf Club en 1812 Malcolm de Chazal sortira un livret d’une cinquantaine de pages, qui a pour titre « Les courses à l’Ile Maurice à l’occasion du cent cinquantenaire du Mauritius Turf Club, 1812-1962 ». Et il conseilla même aux responsables du MTC d’en faire autant. C’est un livre de première édition qui porte la signature de Malcolm de Chazal, avec une dédicace à son ami Roger de Commarmond, « l’ami et le centaure ». Le livre quoiqu’en français, l’auteur a répété en sept fois une expression: « Dilo, dilo, dé verres ene sou ».

Cela fait certes la beauté de notre turf d’antan car la langue créole recèle dans son pénible parcours des images grandiloquentes. À remarquer que ces quelques mots, « Dilo, dilo, dé verres ène sou », est l’axe central de ce récit sur les courses à Maurice. Pour éviter d’être pris comme un plagiaire Malcolm de Chazal a modifié quelques lettres maladroitement en imitant les mêmes caractères italiques tout en conservant le fond. Cela paraît inélégant de sa part sur le plan littéraire. Cette belle et nostalgique citation n’est pas de lui; il l’a empruntée d’un autre texte. Mais comment n’a-t-il pas osé citer l’auteur du livre où est fait mention de cette expression? Allant plus loin, Malcolm de Chazal fait encore un signe symbolique pour montrer la puissance du vocable créole en disant qu’un séga de ‘petit frère’ (Ti Frer) de Brisée Verdière serait souhaitable. L’ambiance au Champ de Mars, avec comme décor des Indiens et des charrettes, est semblable dans les deux textes. Il n’a rien mentionné de tel du commencement jusqu’à la fin de son livret qui, malgré tout, reste une œuvre très enrichissante en matière d’informations sur notre passé.

« Petit Paul », d’Evenor Mamet…

Le livre en question, Petit Paul, n’a jamais été commercialisé; or seulement 75 exemplaires numérotés ont été tirés à l’intention de ses proches. Le nôtre portant le numéro 32 est dédié à son ami, Clément de la Giroday. C’est du rarissime dans le monde de la bibliophilie. Malcolm de Chazal, grand lecteur qu’il était, savait fort bien que le tirage était très restreint. Il a sans vergogne copié cette expression croyant du coup que personne ne tombera sur cet ouvrage d’Evenor Mamet intitulé Petit Paul édité en 1913, une année après le centenaire de la fondation du Mauritius Turf Club, le plus vieux de l’hémisphère sud.
À la page 71 on peut lire comment Evenor Mamet a entendu cette phrase de ceux qui courraient dans tous les sens et hurlaient, « di l’eau, di l’eau, dé verres ène sou, dé verres ène sou ». Evenor Mamet avance un fait fort intéressant de notre réalité sociologique de l’époque en relatant dans la préface que l’ouvrage est bourré de créolismes parce que tous les enfants mauriciens de toutes les couleurs parlaient ce ‘patois’ avec un bel avenir comme lingua commun de tout un peuple. Chazal avait 11 ans lors de la parution de Petit Paul. Inquiétant, n’est-ce pas !


C’est bon signe qu’on ait copié Malcolm de Chazal mais ce n’est pas bon signe que notre barde, qui dépasse largement maintenant les frontières de notre territoire, ait copié les autres et de surcroît ne fait aucune mention de ses sources combien vitales pour la santé littéraire et artistique. Qu’en est-il de la déontologie en matière d’art, de culture et de littérature ? Malcolm de Chazal n’est-il pas le monument de l’originalité!?
Cet article a pour objectif d’évoquer la vérité inconnue et je n’ai nullement l’intention de porter atteinte à la renommée de ces anciens qui ont tant œuvré pour nous transmettre le livre identitaire de notre riche passé. Sans eux, qui sommes-nous?

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