MARIE THÉRÈSE HUMBERT, romancière mauricienne : « La misère est la plus grande tragédie que l’on peut vivre »

Si Marie Thérèse Humbert, âgée de 73 ans, est connue pour ses oeuvres littéraires, sa passion pour la politique l’est moins. Et pourtant, elle a été candidate socialiste aux élections cantonales dans l’Indre et était en campagne ces dernières semaines pour les municipales dans l’endroit où elle habite, à Saint-Julien de Vouvantes, un petit village à quinze kilomètres de Châteaubriand en Bretagne. Lors de son passage à Maurice le mois dernier dans le cadre de Confluences, elle nous a parlé de la genèse de son engagement politique depuis sa jeunesse à Maurice. Sa première motivation : la justice sociale. « La misère, c’est la plus grande tragédie que l’on peut vivre », explique-t-elle dans l’entretien qu’elle nous a accordé.
Nous connaissons la Marie-Thérèse Humbert romancière mais pas du tout la politicienne. Parlez-nous d’elle…
Mon engagement politique ? Quand j’ai commencé, j’étais toute jeune. J’étais encore à l’île Maurice. Le vagabond des lépreux, Raoul Follereau était venu à l’île Maurice. Les dames des Lorettes avaient organisé une sortie et nous étions allées écouter M. Follereau. Il avait commencé par nous dire : Ah, vous êtes toutes mignonnes avec vos uniformes, vous êtes chics. Et en changeant de ton, il a paraphrasé Beaumarchais en nous disant : mais qu’avez-vous fait pour autant de bien. C’est une question qui m’a touchée en plein coeur et je me suis dite : tu es privilégiée. Ma famille n’était pas vraiment riche mais nous étions à l’aise et je voyais des gens qui souffraient de la pauvreté autour de moi. Je me suis demandé qu’est-ce que j’ai fait pour avoir autant de bien et à partir de ce moment-là, j’ai trouvé que ce n’était pas normal qu’il y ait des gens qui aient des privilèges en naissant avec des choses entre les mains et que d’autres en soient privés. Je me suis dit qu’il faut qu’il y ait une justice et qu’il faut que je m’engage pour la faire triompher où que j’aille. Il y avait à cette époque la montée du Parti travailliste.
 
Vous aviez quel âge à l’époque ?
Je devais avoir douze ou treize ans. Cela a été une prise de conscience et cela a continué à travailler en moi sans compter le message de l’Évangile : le Christ qui vante l’amour et le respect des uns des autres. C’était des paroles mais je ne le voyais pas autour de moi, même pas chez les chrétiens. Cela me scandalisait de voir qu’on payait au lance-pierre ceux qui travaillaient chez les autres. Ce n’était pas possible. Je me disais que si on ne peut pas payer, qu’on n’ait pas de domestique mais on n’emploie pas de gens pour les entretenir dans un statut de dépendance et de misère. La misère c’est la plus grande tragédie que l’on peut vivre. C’est une privation de liberté. C’est comme ça que je me suis sentie devenir travailliste. Quand j’ai quitté Maurice, j’étais travailliste dans l’âme.
 
En quelle année êtes-vous partie ?
En 1957, j’avais 16 ans et demi.
 
Qu’est-ce qui vous attirait au Parti travailliste ?
La revendication d’une justice sociale. Cela m’a beaucoup attirée. C’est vrai aussi que j’ai un peu de sang indien et j’en suis très contente. J’ai beaucoup d’admiration pour l’Inde. À l’époque, beaucoup de leaders du Parti travailliste étaient hindous. Quand je suis partie faire des études universitaires, j’ai découvert des auteurs qui partageaient les mêmes vues que moi.
 
En France ?
Non, à Cambridge d’abord, où j’ai fait un bref passage. Je n’ai pas fait grand-chose mais j’ai quand même décroché un certificat avec mention très bien en Advance mathematics. J’ai fait du grec et du latin mais je ne suis pas allée aux écrits. Ensuite, j’ai fait des études à La Sorbonne à Paris, en lettres et littérature comparée.
 
Pourquoi les mathématiques d’abord ?
J’étais bonne en maths comme en lettres. Les mathématiques avancées me fascinent et je voulais voir ce que cela donnait au niveau universitaire. Cela m’a beaucoup plu. J’avais déjà l’idée d’écrire. J’étais fascinée par des écrivains et par la littérature. J’ai voulu rejoindre ma spécificité qui est la littérature et l’écriture.
 
Au moment de cette prise de conscience qu’est-ce que vous avez fait ? Et comment cela a-t-il été accueilli ?
Mon père était plutôt un homme de droite, conservateur, mais il était tolérant. En revenant à Maurice un jour, j’ai lu dans un livre que René Humbert avait aidé à mettre en place certaines lois sociales et je ne suis dit : tu es un peu la fille de ton père. Sinon, enfant, j’étais silencieuse. Je ne crois pas que les autres se rendaient compte de ce qui se passait et je me suis sentie un peu en hiatus avec la famille et le milieu où je vivais.
 
Cette revendication était plutôt dans la tête ou n’y avait-il pas des actions qui suivaient ?
Non, j’étais trop jeune, je ne pouvais pas mettre mes idées en action. Mais, j’ai fait une chose : j’avais un chien blanc qui s’appelait Robin. Un jour, je l’ai peint en rouge, sauf la tête, pour démontrer mes idées travaillistes. Par la suite, il a fallu le raser.
 
Êtes-vous d’une famille nombreuse ?
Oui, je suis l’aînée de six enfants. Mon frère et mes soeurs sont toujours à Maurice. Malheureusement je ne les vois pas beaucoup, je suis loin d’eux mais je pense que mes soeurs sont assez proches de mes opinions.
 
Où êtes-vous née et où avez-vous grandi ?
Je suis née à Quatre-Bornes mais j’ai grandi dans beaucoup d’endroits. Mon père était un grand cardiaque et il fallait qu’il se rapproche de son travail à Port-Louis, donc la famille a dû déménager. Le médecin disait que partir de la plaine pour aller sur les plateaux risquait d’être mauvais pour son coeur. Nous avons vécu quelques années à Port-Louis. Ensuite, nous sommes allés vivre à Beau-Bassin quand mon père allait un peu mieux, ensuite nous sommes retournés à Quatre-Bornes.
 
Vous avez poursuivi cet engagement politique en Europe…
Oui, mais pas pendant que j’étais étudiante. Dès que j’ai commencé à enseigner, je me suis inscrite au Parti Socialiste et j’ai eu ma carte du PS. J’ai continué à militer mais un peu moins maintenant parce que je suis une vieille dame. J’ai été candidate socialiste aux élections cantonales dans l’Indre et en ce moment (ndlr : 9 mars 2014), je suis en campagne pour les municipales dans l’endroit où j’habite. C’est à Saint-Julien de Vouvantes, un petit village à quinze kilomètres de Châteaubriand en Bretagne.
 
Comment est-ce que ça se passe pour une femme active en politique ?
Il faut dire que je ne me suis pas engagée assez loin en politique. Donc c’était assez facile. J’étais moi-même étonnée d’avoir des fans lorsque je me suis engagée dans l’Indre. Ils me suivaient partout et j’étais complètement ahurie lorsqu’ils m’ont applaudie : je n’avais jamais été autant applaudie que le jour où j’ai été battue. En fait, j’avais failli passer puisque j’étais arrivée en tête de la plus grosse commune du Canton et tout le monde avait applaudi. Même quand j’ai eu un prix littéraire important comme le prix des lectrices d’Elle, je n’ai pas été applaudie comme ça.
 
Qu’est-ce qui vous a menée à être candidate ?
À chaque fois, on est venu me chercher. Le PS n’avait personne à présenter en face d’un élu local, M. de Machin. Un homme charmant et très bien implanté, du Rassemblement pour la République (RPR). On se disait que de toute façon quel que soit le candidat devant lui, il passerait. Il était très connu et les gens de ce canton sont plutôt de droite. On est venu trouver quelqu’un qui voulait bien aller au charbon, qui voulait bien être battu, qui n’avait rien à perdre.
 
Mais vous vous engagez quand même jusqu’au bout et avec conviction !
Oui, tout à fait. Je me suis engagée à fond. Par exemple, je connais le nombre de lits à l’hôpital de Château Rouge. Je me suis bien documentée et je fais le tour des mairies.
 
Est-ce que vous vous engagez contre un adversaire ou pour apporter quelque chose aux habitants ?
On ne se présente jamais contre quelqu’un. Je ne me suis jamais présentée contre un autre être humain mais pour faire triompher une idée. Même l’adversaire peut avoir de très bonnes idées. Il faut toujours le respecter.
 
Faites-vous du social aussi ?
Pour la première fois dans ma vie, quand je suis arrivée au village personne ne me connaissait mais ils m’ont accueillie tellement bien que je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour eux. J’ai proposé d’animer un atelier d’écriture et je donne des leçons bénévolement. En ce moment, j’ai un élève en anglais.
 
Quels sont vos projets d’écriture ?
Je viens de terminer un gros livre que j’ai envoyé à deux éditeurs. Il y en a un autre, inspiré de la mort d’une dame qui travaillait chez moi, que j’ai commencé. Elle a travaillé chez moi environ 15 ans. Elle faisait deux heures de ménage deux fois par semaine mais après mon déménagement, quand j’ai appelé son mari pour avoir de ses nouvelles, il m’a dit qu’elle était morte. Quand je suis partie, elle était forte, avait l’air solide et était gaie. J’ai eu un choc quand j’ai appris cette nouvelle et je me suis aperçue que je l’aimais profondément. Pour moi, elle était à la fois une mère, une soeur, une fille même. Je me figurais son enfance : elle était née dans une famille paysanne et c’était très dur. C’était une grande fille et on pouvait se dire qu’elle va se débrouiller, elle n’a pas besoin d’être protégée. Moi, j’ai toujours pensé qu’il fallait la gâter. Elle était un peu ma grande fille. J’ai commencé quelque chose sur la relation entre deux femmes, tout à fait différentes. Elles vivent dans deux univers complètement différents mais en même temps, elles peuvent s’entraider et s’aimer. Elles se voient toutes les semaines, il y a une qui travaille pour l’autre mais à la fin, on ne sait pas qui travaille pour qui.
 
Parlez-nous de ce livre que vous avez envoyé à vos éditeurs.
Il est très complexe. C’est l’histoire d’une folie, de la folie humaine. L’histoire commence en Louisiane où j’ai passé six mois qui m’ont profondément marquée. Comme les tragédies de Corneille, je raconte en 60 pages, dans le vestibule, ce qui se passe en Louisiane avant d’entamer l’histoire. Celle d’une femme qui devient folle parce qu’elle est abandonnée par l’homme qu’elle aime. Elle se lance à sa recherche. Elle est riche et a les moyens de payer un détective privé. À chaque fois que le détective lui dit qu’on a trouvé l’homme quelque part, elle déménage et elle suit cet homme. C’est un roman de l’errance. Elle déménage pour une île que j’imagine et que j’ai baptisée Vesania. Vésanie est synonyme de folie en français même si on ne l’emploie pas. Donc, elle vit dans l’île de la folie et elle entraîne avec elle son fils et une amie noire qui est écrivain. Elle s’attache à elle. J’évoque les raisons de cet attachement dans la première partie du livre. C’est un clan domino composé de noir et de blanc.
Le narrateur est le fils de cette jeune femme qui hait son père parce que ce dernier est la cause de ses déménagements continuels. À un moment du livre, le détective apprend à la mère qu’il a une piste sérieuse, mais lorsqu’elle reçoit la lettre qui lui fait état de cela, elle décide qu’il est mort et ne cherche plus. Sa quête est une quête de l’inaccessible. Elle ne cherche pas un homme mais quelque chose au-delà de cet homme. Et son fils reprend le flambeau…
 
Quel est le titre de ce roman ?
Désancrage. Parce que ce sont des personnages qui se désancrent continuellement et qui sont obligés de se reconstituer sans arrêt. À la fin, c’est le désancrage total : ils rejoignent l’humanité tout entière en acceptant de quitter cette île où ils sont enfermés.
 
Vous êtes toujours habitée par une île ?
Tout le temps. Je crois que toute ma littérature, même quand l’intrigue ne se déroule pas dans une île, est une littérature insulaire. C’est pour cela que je dis je suis un auteur insulaire mais pas un auteur mauricien. Je suis un auteur né à Maurice mais profondément marquée par son pays.
 
Quel regard jetez-vous sur la littérature à Maurice ?
Je suis fascinée. Je trouve qu’il y a une multitude de talents et que Maurice est particulièrement originale. Même au sein de la Francophonie, Maurice a un statut particulier : elle a été française et britannique. Nous avons donc ce bilinguisme naturellement et le biculturalisme. Nous avons nos racines plongées dans la littérature française et anglaise avec Shakespeare, Dickens, Jane Austen parmi tant d’autres. J’en ai parlé récemment dans un colloque à Strasbourg et les gens découvraient. Ce n’est pas La Réunion, ce n’est pas le même système. Ce qui est fascinant aussi : Maurice a ce côté unique d’être une petite Inde.
 
Avez-vous toujours écrit à l’étranger ?
Oui. Je mets deux ans pour écrire un livre et là, pour le dernier, j’ai mis plusieurs années. Ce sont des gros livres comme des livres anglais mais en français. Je ne suis pas un auteur qui fait des petits livres bien ficelés à la mode française, avec un seul thème comme on aime en France. Je suis plus proche des auteurs britanniques parce qu’il y a une multitude de thèmes dans mes romans. L’intrigue est extrêmement complexe et il y a beaucoup de personnages différents.
 
Avez-vous un message pour les nouveaux auteurs mauriciens ?
Je leur souhaite de se faire entendre et de faire entendre la voix unique de Maurice. Il faut qu’ils prennent confiance en eux. Ils ont vraiment quelque chose à dire et pas seulement à Maurice mais au monde. Il y a énormément de talents qui sont en train d’éclore. Je les encourage à écrire et d’avoir la plus grande diffusion possible.

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