Me Robin Mardemootoo (homme de loi du Groupe Réfugiés Chagos) : « Il faut désormais négocier avec les Américains »

Quel est le sentiment dégagé sur le dossier Chagos des mois après l’avis consultatif de la Cour internationale de justice ainsi que la position des Nations Unies pour le retour des Chagossiens sur leurs îles ?

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Vous savez chaque question juridique est différente. Chaque cas est différent. Pour répondre à votre question, il faut regarder le contexte du problème. Il s’agit d’une affaire où Maurice et les insulaires des Chagos sont contre deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, les Anglais et les Américains. Chaque pas que vous faites est un pas dans la bonne direction. Il n’y a rien que Maurice est en train de faire que je ne ferais pas et il n’y a rien que je ferais qu’ils ne font pas. Je pense que l’Ile Maurice n’a jamais été aussi forte qu’elle ne l’est actuellement sur ce dossier des Chagos et elle doit continuer à trouver des moyens de faire pression sur le Royaume-Uni et les États-Unis. L’inscription récente du sega tambour des Chagos sur la liste des patrimoines culturels immatériels de l’Unesco en est un parfait exemple. Nous devons sensibiliser le monde au problème des Chagos et, avec des actions comme celles-ci, notamment l’avis consultatif de la CIJ ou encore la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, vous gardez le dossier vivant sur le plan international et au niveau des droits de l’homme. Je suis donc très heureux en ce moment, compte tenu du combat que nous avons entre nos mains.

À ce stade, le Royaume-Uni n’a montré aucune intention de mettre en œuvre ce que les Nations Unies ont recommandé. N’est-ce pas une situation qui indique clairement la loi du plus fort ?

C’est vrai qu’on assiste au diktat des puissants et à la loi du plus fort. C’est le droit international pour vous. Le droit international a été dans une large mesure rédigé par les superpuissances auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Comment exécutez-vous un jugement dans notre système ? Vous avez recours à « la force publique », c’est-à-dire à la police qui vous aide, par exemple, à expulser un occupant illégal conformément à une ordonnance du tribunal. Comment appliquez-vous le droit international ? Par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais comment faites-vous cela lorsque vous faites face à deux membres permanents avec droit de veto ? Le Royaume-Uni et les États-Unis sont des superpuissances et ils opèrent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a d’énormes pouvoirs en vertu de la Charte des Nations Unies. Cela devient beaucoup plus compliqué et l’opinion publique joue soudain un rôle important. Maurice fait tout bien. Et le peuple insulaire des Chagos sous la direction d’Olivier Bancoult fait également tout ce qu’il faut. Olivier Bancoult y consacre sa vie depuis environ 25 ans pour le droit au retour de son peuple et les progrès accomplis jusqu’ici sont immenses. Si nous continuons sur cette voie, nous deviendrons « les plus forts » et nous atteindrons notre objectif.

Êtes-vous optimiste à l’effet que Maurice sera en mesure de poursuivre des négociations sur l’échiquier international pour un dénouement ?

Je pense que la clé dans cette affaire, ce sont les États-Unis. Il faut, selon moi, désormais négocier avec les Américains. Le président américain Donald Trump n’est pas un politicien de carrière. Je n’ai rien contre les politiciens de carrière, mais il serait beaucoup plus difficile de négocier avec Hilary Clinton par exemple qu’avec le président Trump. Lui, il a été un homme d’affaires toute sa vie et il verrait immédiatement l’avantage de conclure un accord avec Maurice sur Diego Garcia. N’oubliez pas que Maurice ne veut pas que les États-Unis quittent Diego Garcia; au contraire, nous voulons que les États-Unis restent sur Diego Garcia, mais à des conditions différentes. Le forfait comprendrait idéalement le paiement du loyer par les États-Unis à Maurice et également un accord commercial avec l’armée américaine selon lequel toutes les fournitures pour la base sont achetées à Maurice. À l’heure actuelle, ils s’approvisionnent des Philippines, du Sri Lanka et du Singapour. Cet accord avec les États-Unis serait formidable pour Maurice, qui pourrait ainsi affirmer sa souveraineté sur les îles, agir comme un véritable propriétaire pour Diego Garcia et un propriétaire légitime des droits d’exploitation de l’immense zone économique autour des Chagos. Aller à la table des négociations avec le président Trump et les Américains serait ma priorité et, si les lobbyistes actuels nommés par Maurice ne donnent pas de résultats concrets, alors Maurice devrait envisager de les remplacer. Le temps est essentiel et Donald Trump ne sera pas là pour toujours.

La défaite électorale en Angleterre du Parti travailliste de Jeremy Corbyn, qui était considéré comme un allié du peuple chagossien, est-elle un coup dur ?

Je connais Jeremy Corbyn depuis 15 ans maintenant. Il a été un merveilleux supporter et ami des Chagossiens. La position qu’il a prise dans sa campagne électorale est également un grand pas en avant pour promouvoir le dossier des Chagos. Il est dommage qu’il ait perdu, sinon, les choses auraient été différentes pour les Chagossiens aujourd’hui. Mais c’est la vie, c’est le combat pour les Chagos, personne n’a dit que ça serait facile.

Quel est votre avis sur les initiatives des Britanniques d’organiser des voyages pour que les Chagossiens puissent visiter les îles ? 

Cela fait partie de la stratégie du gouvernement britannique de diviser la communauté chagossienne et le pouvoir. Ayant vu que la majorité des Chagossiens se sont rangés du côté du gouvernement mauricien, leur objectif est d’essayer de faire basculer ce soutien vers la communauté chagossienne et une telle visite dans les îles s’inscrit parfaitement dans cette stratégie. J’en pense quoi ? Eh bien, la Cour internationale de Justice, ayant confirmé que l’occupation britannique des îles est illégale, mon avis, en droit, est que le gouvernement britannique devrait arrêter ces visites parce qu’il n’a aucun droit ou titre sur ces îles et ne peut plus passer pour le propriétaire légitime de ces îles. D’un point de vue humanitaire, je suis heureux pour tout Chagossien d’avoir l’opportunité de visiter leurs îles natales.

Maurice n’encourt-elle pas des risques au niveau de ses relations bilatérales économiques et des affaires avec les Britanniques à cause de cette quête des Chagos ?

Je ne pense pas. Je pense que le Royaume-Uni, avec la situation du Brexit, fera preuve de prudence et ne réduira pas les échanges à la légère. En tout état de cause, nous devons être prêts à nous tenir debout et à défendre nos droits. Nous ne pouvons pas nous effondrer simplement parce que nous appréhendons des représailles du Royaume-Uni. Je suis sûr que Maurice discute déjà avec l’Union européenne de la manière de se défendre contre toutes représailles du Royaume-Uni. C’est le moment où Maurice doit rester ferme et unie.

Selon vous, qu’est-ce qui serait approprié pour la revendication chagossienne dans l’immédiat ? Quels sont les plans possibles ?

La communauté chagossienne vivant au Royaume-Uni et en Europe devrait se rallier à Olivier Bancoult. Il est, de par la loi, le seul chef légitime des insulaires des Chagos, étant donné qu’il a été élu conformément aux dispositions de la loi mauricienne. Ils devraient faire pression sur leurs députés respectifs où qu’ils soient installés et cet effort devrait être concerté. Il est regrettable qu’une poignée de Chagossiens se soit laissé laver le cerveau et soit la proie de la stratégie de division et de domination de nos adversaires. Olivier Bancoult et son groupe nous ont fixé plusieurs objectifs et nous y travaillons actuellement. Cela comprend le recours à la Cour pénale internationale contre le gouvernement britannique.

Doit-on donc s’attendre à d’autres batailles juridiques pour le peuple chagossien ?

Oui, il y a des cas qui sont toujours actifs et d’autres qui sont en cours de préparation aux États-Unis et à l’Union européenne. Le contexte est extrêmement excitant pour tous les avocats travaillant pour le peuple des Chagos et l’avis consultatif de la CIJ nous a donné beaucoup de possibilités d’augmenter la pression sur le Royaume-Uni et les États-Unis.

Où en sommes-nous dans les plans du CRG et du gouvernement mauricien de partir sur les îles Chagos l’année prochaine ?

Je ne suis pas en mesure de commenter spécifiquement cela. Mais en tant que projet, il est ambitieux et courageux et sensibilisera certainement davantage l’opinion internationale sur le dossier Chagos. Ce voyage mettra une fois de plus le Royaume-Uni et les États-Unis dos au mur.

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