ME SANJEEV TEELUCKDHARRY : « Avec la carte identité biométrique, la liberté de l’individu sera remise en question »

L’avocat Sanjeev Teeluckdharry, qui représente la plateforme citoyenne No to biometric identity card, mène une rude bataille pour contester l’introduction de la nouvelle carte d’identité biométrique. Pour cet ancien chargé de cours en Human Rights and Civil Liberties de l’Université, c’est le combat du citoyen contre l’État et aussi celui de la liberté contre la violation massive des droits fondamentaux. Il est d’avis que très peu de Mauriciens sont vraiment conscients des dangers que représente cette nouvelle carte avec le développement dans le domaine de la technologie biométrique à l’ère du cybercrime. « Avec la carte identité biométrique, la liberté de l’individu sera remise en question », soutient-il.
Vous êtes un des hommes de loi qui ont initié la bataille juridique contre l’introduction de la nouvelle carte identité biométrique que l’État décrit comme une avancée technologique moderne. Combien de plaintes ont été logées ?
À ce jour, il y a trois constitutional plaints sur ce sujet devant la Cour suprême. Tout d’abord, il y a l’affaire Rajah Mahadewoo qui est soutenue par la plateforme citoyenne qui est représentée par moi-même et mes jeunes confrères Ericson Moneeapillay et Niven Muneesamy.
Il y a une autre plainte qui a été logée par l’avocat Neelkanth Dulloo et qui est représentée par mon ami Rama Valayden. Et il y a aussi une autre plainte qui a été logée par l’avocat-politicien Pravind Jugnauth représenté par Ivan Collendavelloo, Senior Counsel, et Roshi Bhadain.
Ceci dit, je dois faire ressortir que chacun se bat de son côté comme des francs-tireurs sans aucune liaison les uns avec les autres. Je tiens aussi à saluer, entre autres, la prise de position des militants des droits du citoyen, en particulier Lindsay Collen, Rajni Lallah, Jocelyne Minerve, Eddy Chadien, Jeff Lingaya, Jameel Peerally, Rajah Mahadewoo et également des confrères du barreau, entre autres Me Penny Hack et d’autre part des journalistes engagés comme Abdoolah Earally et aussi des informaticiens à l’instar de Nitish Sookun qui nous a démontré les failles du système biométrique préconisé par l’État.
Pourquoi contester cela ?
La plateforme citoyenne n’a rien contre la modernité ou une nouvelle carte d’identité. C’est bien qu’un pays se développe et se modernise mais il faut toujours voir l’aspect légal et technologique — les dispositions légales entourant cette nouvelle carte d’identité et aussi bien toutes les implications et les dangers technologiques imminents que représente cette carte.
Première observation : La loi n’est pas claire à ce sujet et on doit se référer voire faire une gymnastique juridique entre plusieurs textes de loi et ceci enfreint le principe de rule of law.
Deuxième observation : certaines dispositions ont à mon avis une portée assez large voire dangereuse. Par exemple, selon cette nouvelle loi, tout individu peut exiger à un autre citoyen de produire sa carte d’identité et ce dernier a une obligation légale de produire sa carte sur le champ ou dans un délai raisonnable. Est-ce que n’importe qui pourra demander aux Juges de la Cour suprême ou aux membres du Cabinet de produire leurs cartes ? S’ajoute à cela, le fait que cette carte est biométrique et contient tous les détails personnels du citoyen, entre autres ses empreintes. Donner ses empreintes devient une obligation avec des conséquences graves. Une personne qui n’est ni accusée d’un délit criminel, ni condamnée devra obligatoirement donner ses empreintes digitales. Ses données seront à la portée non seulement de toutes les institutions mais aussi des hackers. Est-ce qu’il y a une garantie concernant « storing and confidentiality » de ces données ? Sous la correction des informaticiens – j’ai l’impression que ce système utilise le système cloud de Google, c’est-à-dire que les données biométriques des Mauriciens sont envoyées à Google qui se trouve aux États-Unis et sont supervisées par des Singapouriens – quelle sécurité donc ?
On a aussi entendu dire que les autorités comptent enregistrer des données privées des citoyens tels que les problèmes médicaux et les maladies dont ils souffrent ou même leurs previous criminal records. Cela pourrait être très préjudiciable à l’individu qui risque d’être pénalisé à chaque étape de sa vie.
Quelle est la situation dans d’autres pays ?
En Angleterre, un individu avait donné ses empreintes lors d’une enquête policière. À la suite de sa poursuite devant les tribunaux, après la fin de son procès, il avait demandé à la police de détruire son fichier qui contenait ses empreintes digitales. Sa demande avait été rejetée. Il avait fait une requête à la Cour – la requête avait été refusée. Il avait alors interjeté appel devant la House of Lords. Son appel a été une nouvelle fois rejeté. Il a fait appel à la Cour européenne des Droits de l’Homme qui est le dernier rempart. La Cour européenne des Droits de l’Homme a statué de façon salutaire et à l’unanimité que c’était une violation grave des droits humains, en particulier, le droit du citoyen à la vie privée et que c’est anticonstitutionnel pour l’État et pour la police de garder indéfiniment les données biométriques d’une personne. Notre législateur et ceux qui nous gouvernent veulent-ils nous faire croire à l’adage que « Everybody is out of bound except us » ?
Mais la mise en place de cette carte a coûté une fortune à l’État. N’est-ce pas sa responsabilité de s’assurer qu’elle soit efficace ?
Un fardeau de Rs 1,4 milliard de roupies pour ces cartes biométriques sur le dos des contribuables et ceci sans le consentement du citoyen pour prélever ses empreintes et sans référendum populaire pour introduire ce projet ! Rs 1,4 milliard que les citoyens mauriciens doivent donner aux institutions singapouriennes et ceci pour hypothéquer leur liberté ! Les démocraties modernes, l’Angleterre, l’Inde, entre autres, ont toutes refusé les cartes biométriques.
En Inde, un ancien Chef juge avait demandé et obtenu une injonction contre l’introduction de la « Aadhar Card ». L’Inde a même demandé aux éminents juristes d’Oxford de faire une étude comparative – Biometric Identification and Privacy – University of Oxford. En France, où le contrôle de constitutionnalité se fait a priori, le Conseil Constitutionnel fut d’avis qu’un tel projet est contraire aux droits fondamentaux constitutionnels et enfreindrait le droit à la vie privée. On se demande s’il n’est pas grand temps d’avoir un sénat à Maurice pour étudier scrupuleusement les projets de loi. En Angleterre, 14 000 cartes biométriques avaient été déjà fabriquées et même distribuées et les citoyens avaient payé 30 livres sterling par carte mais là également, ce projet avait été annulé et la loi a été amendée même si l’État britannique a dû faire marche arrière malgré des pertes de millions de livres sterling.
Mais quel est exactement le problème avec la carte d’identité biométrique ?
C’est une question fondamentale de sécurité qui se pose dans cette ère de technologie informatique. Beaucoup d’avocats pénalistes sont très souvent malgré eux au courant des cybercrimes assez fréquents, fraudes bancaires, détournements informatiques de compte bancaire, vols d’identité, fausses cartes de crédit. Cette carte biométrique nous rend tous très vulnérable. On n’a hélas aucune garantie. Quelle garantie donne l’État au citoyen que ses données seront sauvegardées sans aucun risque ? Aucun système informatique au monde n’est infaillible. On a déjà vu des hackers à l’oeuvre, des données les plus confidentielles piratées. Il y a des hackers partout et c’est un phénomène mondial. Ils ont même piraté des données des gouvernements, des sites officiels, des banques, cartes de crédits, entre autres. Quelle garantie a-t-on que la carte d’identité biométrique mauricienne est infaillible face à des criminels informatiques ?
Vous pourrez vous réveiller un matin et voir votre compte bancaire dévalisé, votre « lump sum » disparaître sans trace. On sait qu’avec le développement de la technologie, il serait très facile de télécharger les données d’une carte biométrique. On pourrait suivre et espionner tous les mouvements d’un détenteur d’une carte biométrique. On pourrait fausser les élections générales en temps réel si on introduit l’electronic voting. Imaginez l’impact que cela peut avoir dans une élection avec vos empreintes qui sont stockées dans un système qui peut avoir des failles à n’importe quel moment. Dans un passé récent, en Cour d’assises, on a pu constater avec dédain comment certains enquêteurs ont placé des biscuits sur la table du lieu du crime dans le dessein obscur de piéger des innocents — l’affaire Michaela Harte – imaginez maintenant si la police détient des empreintes digitales. Imaginez que vos empreintes digitales soient retrouvées sur la scène du crime où vous n’avez jamais été et sur l’arme du crime que vous n’avez jamais utilisée.
Bon nombre de Mauriciens font tout de même leur nouvelle carte biométrique. Est-ce par peur des conséquences — des sanctions de peines de prison et d’amendes ? Que conseillez-vous aux Mauriciens ?
Votre question me fait penser à Lord Lane qui avait dit ceci : « Loss of freedom seldom happens overnight. Oppression doesn’t stand on the doorstep with toothbrush moustache and swastika armband — it creeps up insidiously… step by step, and all of a sudden the unfortunate citizen realises that it is gone… »
Ces jours-ci, le gouvernement mène une campagne publicitaire quotidienne pharaonique sur cette nouvelle carte — au lieu d’attendre l’appel concernant la demande d’injonction dans l’affaire Mahadewoo v The State et au lieu de repousser le procès sur le fond pour la plaint with summons. Je comprends cette inquiétude mais attendez : dans ce litige entre le citoyen et l’État, le judiciaire aura à trancher et c’est le judiciaire qui aura le dernier mot. La décision d’accepter ou de ne pas accepter cette carte biométrique est une décision qui remet en question la liberté même de l’individu. Pensez aux dangers irréparables et aux risques imminents que représente cette carte d’identité biométrique.One must always stand up for righteousness, justice and liberty even if one has to stand up all alone against the whole world. And extremism in the defence of liberty is no vice and moderation in the pursuit of justice is no virtue.
 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -